Blessures, niveau de jeu, avantage maison : les enseignements de la reprise de la Bundesliga
Alors que les championnats espagnol, anglais et italien s'apprêtent à reprendre courant juin, la Bundesliga a défriché des terres jusqu'à présent inconnues du foot européen. Trois semaines après un retour dans l'étrange ambiance des huis clos, la constitution d'un échantillon de 38 rencontres disputées dans ces conditions permet d'effectuer une première interprétation de l'impact à court terme de la crise sanitaire sur le football.
Sur le terrain, ça joue
2-0, 5-2, 5-0, une victoire couplée d'un clean sheet contre son principal rival Dortmund (0-1)... Demandez au Bayern Munich (et à ses adversaires) si ses joueurs ont été affectés physiquement par l’interruption des compétitions. Après un début de saison décevant, le club bavarois n'a jamais semblé aussi dominateur en Bundesliga. A l'aube de la 30ème journée, il compte 7 points d'avance sur son dauphin. Depuis la reprise du championnat allemand, les observateurs ont pu se délecter du jeu bavarois mais aussi retrouver l’alchimie du RB Leipzig ou encore les fulgurances des talents offensifs du Borussia Dortmund.
Dans l’ensemble, le spectacle traditionnellement offert par la Bundesliga ne semble pas avoir été complètement altéré en dépit de deux mois de pause forcée et de seulement deux semaines de vraie préparation. "Le football sans émotion en tribunes demande un peu de temps d'adaptation, autant pour le spectateur que pour les joueurs, mais je suis positivement surpris. Il n'y a rien à remettre en question concernant la motivation des joueurs. Après autant de temps, (...) ils évoluent [tout de même] à un haut niveau", a noté Joachim Löw, le sélectionneur de l’Allemagne, dans une interview publiée sur le site de la Ligue.
D’après le blog spécialisé Trackademic, 56% des équipes ont réussi à maintenir leur volume de course à haute intensité lors de la première journée post-confinement. Un joueur comme Joshua Kimmich a par exemple parcouru un total de 13.73 km face au Borussia Dortmund, record absolu pour un joueur du Bayern Munich. De son côté, Vladimir Darida, milieu du Hertha Berlin, a tout simplement battu le record de la Bundesliga avec pas moins de 14.34 km couverts contre Augsbourg lors du match de reprise. Le maintien d’un volume de jeu aux standards élevés est en partie lié à la nouvelle règle autorisant jusqu’à 5 changements par match. 89% des formations de Bundesliga y ont d’ailleurs déjà eu recours. “Les cinq changements sont une excellente décision. S’il y en avait six, je serais même d’accord”, s’est enthousiasmé Heiko Herrlich, le coach d’Augsbourg.
Attention à la casse
Mais il y a un prix à payer à vouloir faire redémarrer la machine à un niveau proche de son rythme de croisière, le tout dans un contexte aussi défavorable à la recherche de performance. Toujours d’après les relevés effectués par Trackademic, les blessures auraient connu une augmentation exponentielle depuis la reprise, passant de 0.27 blessure par match avant la crise sanitaire à 0.75 en moyenne sur les quatre journées disputées depuis le 16 mai. Le journal espagnol Marca avait d’ailleurs recensé 12 blessures au terme de la première journée post-confinement, s’ajoutant à 29 pépins physiques enregistrés après la reprise des entraînements. Le forfait après l’échauffement de Giovanni Reyna, qui devait être titulaire face à Schalke, est l’illustration d’une vulnérabilité accrue chez les joueurs de Bundesliga. Lors de la 29e journée, 12.2% des joueurs étaient indisponibles à cause d’une blessure ou d’un état de forme insatisfaisant.
Au-delà d’un manque de préparation (15 jours au lieu de six semaines), c’est tout un contexte qu’il faut prendre en compte si l’on en croit Edouard Lipka, ex-médecin des équipes de France de football pendant 42 ans. "Pour les joueurs, il y avait une double angoisse en avril, d'une part économique, financière, et de l'autre médicale et sanitaire. Se retrouver sur un terrain d'entraînement à ce moment là, ça ne devait pas être très drôle", explique celui qui a vu grandir toutes les générations bleues de celle d’Eric Cantona à celle de Benjamin Pavard et Lucas Hernandez. En Angleterre, on sait que N’Golo Kanté a demandé à Chelsea de ne pas reprendre l’entraînement par crainte du coronavirus.
La peur de se blesser ou de contracter le virus peut conduire un joueur à fuir les contacts ou à les jouer à moitié, ce qui peut constituer en soi un facteur de risque, confirme Lipka. Ce dernier imagine un profil type qui pourrait se blesser dans un tel contexte : celui d’un “joueur de plus de 27 ans”, “déjà sujet aux blessures” et “pas bien dans sa tête”. Edouard Lipka insiste aussi sur l’importance de savoir adapter les séances d’entraînement aux profils des joueurs.
"Étant donné ses antécédents de blessures, Kingsley Coman, on ne peut pas lui imposer un entraînement à un rythme très soutenu pendant 15 jours”, explique celui qui connaît bien les Français du Bayern et qui est resté en contact avec Benjamin Pavard. La réduction du temps des soins post-entraînement perturbe aussi la récupération des athlètes. Olivier Giroud s’est notamment plaint de n’avoir droit qu’à “15 minutes” du côté de Chelsea. "Des joueurs ont demandé des bains glacés après l'entraînement et pour le moment ils ne peuvent pas en avoir”, a ajouté mardi Paul Catterson, le médecin de Newcastle.
Cependant, la recrudescence des blessures n’a pas été reconnue de manière officielle en Bundesliga. Le magazine Kicker affirmait encore jeudi que “le nombre de blessures, notamment musculaires, n’avait pas augmenté depuis la reprise”. Reste qu’en Espagne, la pépite de l’Atlético de Madrid, Joao Felix, a été touchée sérieusement au genou à la reprise de l’entraînement. En Italie, on recense déjà 12 blessures musculaires et articulaires, touchant des joueurs de premier plan comme Zlatan Ibrahimovic, Gonzalo Higuain, Sergej Milinkovic-Savic et Papu Gomez. En 2011, après un lock-out de 136 jours et seulement 17 de préparation, la NFL avait payé un lourd tribut : 10 ruptures du tendon d’achille dans les 12 premiers jours de préparation et deux fois plus de blessures au cours du premier mois de compétition.
Tu casa es mi casa
Au-delà du défi de performance et des risques de blessures, le championnat allemand a également pu expérimenter l’étrange expérience du huis clos généralisé. A priori, les simulacres en carton disposés en tribune et les chants de supporters pré-enregistrés n’ont pas suffi à maintenir en vie le 12e homme. Des 38 matches joués depuis la reprise, seulement 9 ont abouti à la victoire d’une équipe à domicile. La Bundesliga est donc passée d’un taux de victoire à la maison de 45% (sur les deux dernières saisons) à un faible 24%. Markus Krosche, le directeur sportif du RB Leipzig, estime que le phénomène touche “surtout les équipes qui puisent leur force dans l’euphorie, les fans et l’ambiance du stade”. Embêtant quand on connaît la réputation et l’investissement des supporters en Allemagne.
L’Union Berlin paraît totalement désemparé sans l’atmosphère habituellement bouillante de son chaudron d’Alte Försterei. Le club promu, actuel 14e de Bundesliga, n’a marqué qu’un seul point depuis la reprise de la compétition. Du côté d’Augsbourg, par l’intermédiaire du manager Stefan Reuter, on le concède : “ce sont surtout les petits clubs comme nous qui vivent d’émotion, de passion et d’enthousiasme” qui subissent le plus les inconvénients du huis clos.
Une autre conséquence estimée des huis clos, cette fois positive, est l’augmentation du temps de jeu effectif. Plus de clameur lourde pour survolter les 22 acteurs et pour écraser les épaules de l’arbitre central, moins de temps de contestation des décisions arbitrales, voilà comment pourrait être interprétée l’équation. Le temps de pur jeu (sans les interruptions arbitrales et les phases arrêtées) a grimpé à 59 minutes en moyenne par match, soit deux minutes de plus que lors des journées disputées avant la crise sanitaire.
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