Bundesliga : Schalke 04, club historique en danger
Ce mercredi, le club de Schalke 04 va pouvoir respirer, l’espace d’un instant. Les Knappen - les mineurs, en allemand - disputent ce soir le troisième tour de la Coupe d’Allemagne. Une compétition qui leur réussit bien depuis le début de la saison, avec deux victoires en deux matches contre des équipes de quatrième division. Mais face à Wolfsburg, la tâche s’annonce autrement plus compliquée. Car pour Schalke 04, depuis plus d’un an, la grande difficulté réside dans le fait d’affronter des équipes de Bundesliga.
Le 9 janvier dernier, face à Hoffenheim (4-0), les coéquipiers de Benjamin Stambouli ont mis fin à une terrible série de 30 matches sans victoire en championnat d’Allemagne. Schalke n’avait plus gagné depuis le 25 janvier 2020. Mais depuis cette victoire, le club a de nouveau enchaîné trois défaites et un nul et pointe à la dernière place de Bundesliga, avec neuf points de retard sur le barragiste. Club historique du championnat allemand, choisi parmi neuf équipes en 1963 pour fonder la Bundesliga, Schalke 04 voit poindre à l’horizon le spectre de la relégation en deuxième division.
Pour le club, il s’agirait d’une première depuis la saison 1987-1988. À l’époque, le mur de Berlin n’était pas encore tombé et la ville de Gelsenkirchen, où se situe le quartier de Schalke qui a donné son nom au club, faisait partie de l’Allemagne de l’Ouest. Située dans la Ruhr, la ville a profité de la révolution industrielle pour prospérer mais dans les années 1980, elle voit apparaître un phénomène qui s'apprête à l'impacter profondément : la désindustrialisation.
"Schalke, c’est l’histoire de la Ruhr, de cette zone géographique, puissance économique de l’Allemagne du 19e et du début du 20e siècle, qui souffre aujourd'hui", explique Polo Breitner, spécialiste du football allemand et intervenant très régulier sur RMC.
Gelsenkirchen, ville la plus pauvre d'Allemagne
L’abandon progressif des mines et la tertiarisation anéantissent l’économie locale et les inégalités explosent dans la région. Le phénomène atteint son paroxysme à Gelsenkirchen, qui est proclamée, en 2019, ville la plus pauvre d’Allemagne selon deux études publiées par la fondation Bertelsmann et la fondation Hans-Böckler. "Schalke, c’est comme le Nord. Ce sont des supporters qui habitent une ville pauvre et qui sont marqués par la vie. Les supporters de Schalke racontent à eux seuls l’histoire du 20e siècle", atteste Polo Breitner. Dans ce marasme, Schalke 04 continue d'exister en Bundesliga, alternant très bons résultats et déceptions.
Le club peut notamment compter sur une communauté de supporters impressionnante : en 2020, il comptait 155 000 "socios", à savoir des fans payant une cotisation annuelle. Soit le deuxième club allemand dans ce domaine, derrière le Bayern Munich (293 000) et tout juste devant l’ennemi juré, le Borussia Dortmund (154 000).
Nicolas Plestan, premier Français à avoir porté les couleurs de Schalke 04, lors de la saison 2010-2011, se souvient de cette ferveur : "C’était fou ! L’année où j’y étais, on avait fait un très beau parcours en Ligue des champions (demi-finaliste). On voyageait beaucoup et j’ai pu constater qu’il y avait des supporters du club partout où on allait." Et de manière presque automatique, au fur et à mesure que la ville sombre économiquement, la communauté de supporters se renforce.
"La pauvreté et le manque de perspectives vécus ces dernières décennies n’ont fait que renforcer l’engagement de la région et de la ville de Gelsenkirchen pour le club", témoigne Yohann, franco-allemand qui gère une page de supporters du club sur les réseaux sociaux, avant de poursuivre : "L'ancrage local est tel qu'il dépasse largement l'intérêt des amateurs du football. Toute la population ou presque suit de près ou de loin les résultats et la situation du club."
"Schalke, c’est quelque chose d’énorme pour les supporters. C’est pratiquement la seule chose qu'ont les habitants. Le club, c’est la fierté de la ville", ajoute Nicolas Plestan. Mais en cette saison si particulière, impossible pour eux de venir soutenir leurs joueurs dans la chaude ambiance de la Veltins Arena, où se tassent généralement 65 000 supporters.
"On est Schalke, donc c'est le bordel"
Une situation qui correspond bien au club de Schalke, selon Polo Breitner : "Il y a une forme de fatalité des supporters liée à l’histoire du club et de la ville. Les supporters se disent : 'il faut toujours que ça nous tombe dessus. De toute façon, on est Schalke, donc c’est le bordel'." "Globalement, c’est un sentiment d’impuissance qui règne parmi les fans de Schalke", confirme Yohann.
Loin d’être aussi poussée que la culture de la "lose" du Bayer Leverkusen, l’histoire passée et récente du club n’incite pas forcément à l’optimisme. Ces dernières années, le club a dû jongler entre difficultés financières et incompétence de ses dirigeants, avec en point d’orgue la démission de Clemens Tönnies, président du club, en juin dernier.
Avant cela, le club avait trempé dans le scandale des matches truqués en Bundesliga en 1971 et avait acquis dans les années 1930 la triste réputation d’être proche du parti nazi. Une version démentie par les historiens : seuls deux joueurs - Fritz Szepan et Ernst Kuzorra, grandes figures du club - avaient appelé à voter pour le NSDAP, le parti nazi. Malgré ces épisodes, Schalke 04 continue d’attirer la sympathie en Allemagne, à l’image du RC Lens en Ligue 1.
La situation économique de la ville de Gelsenkirchen et la ferveur des supporters n'y sont pas pour rien. "Les autres supporters trouvent ceux de Schalke géniaux, parce qu'ils n'ont que ça, seulement Schalke", affirme Polo Breitner. En 2001, le club avait même acquis le titre de "champion des cœurs", en terminant deuxième en Bundesliga, un tout petit point derrière le Bayern Munich.
"En cas de relégation, ce serait un monument du football allemand qui descendrait", précise Polo Breitner. Malgré l’émergence du jeune Matthew Hoppe, qui a redonné espoir au club, le retour de la légende Klaas-Jan Huntelaar, les deux changements d’entraîneur, le soutien de toute une ville et de ses supporters, les joueurs n’y parviennent pas cette saison. À son arrivée à Gelsenkirchen à l’été 2017, Amine Harit indiquait que "Schalke, c’est une religion". Pour que ses fans et tous les habitants d’une ville ne perdent pas la foi, Schalke et ses joueurs ont encore 16 matches pour renverser la tendance en Bundesliga.
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