Football : premier titre de champion, record d'invincibilité, foot champagne... Les dessous de la saison historique du Bayer Leverkusen

Le club mené par Xabi Alonso a glané son premier titre de champion d'Allemagne, dimanche. Le point d'orgue d'une saison en de nombreux points exceptionnelle.
Article rédigé par Justine Saint-Sevin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La communion entre les joueurs, le staff et les supporters du Bayer Leverkusen après la victoire contre West Ham, en Ligue Europa, le 11 avril 2024. (Ina Fassbender / AFP)

Du "trop de travail d'organisation pour donner une interview" au "en tant qu'indépendants, on ne communique pas dans la presse", les groupes de supporters du Bayer Leverkusen, champions d'Allemagne pour la première fois de leur histoire grâce au large succès des leurs contre le Werder (5-0) ce dimanche 14 avril, éconduisaient en début de semaine les curieux de manière aussi concise que polie. Comme s'il ne fallait pas tenter le sort et réveiller cette malédiction qui coinçait depuis toujours ce club de l'ouest du pays dans une position d'éternel second (1997, 1999, 2000, 2002, 2011). 

La série d'invincibilité record de 42 matchs (37 victoires, 5 nuls) qu'ils ont chipée au Bayern Munich - désormais portée à 38 victoires en 43 matchs - , et la capacité des hommes de Xabi Alonso à aller arracher de précieux points en fin de rencontre, ne suffisaient pas à tranquilliser les esprits des amoureux d'une équipe dont l'infortune légendaire a accouché d'un sobriquet : "Neverkusen" ("Visekusen" en allemand).

"Malgré les 16 points d’avance, ils ne sont pas sereins. Leverkusen a l’habitude de se foirer dans la dernière ligne droite, confirmait Christophe Kuchly, journaliste et coauteur de plusieurs ouvrages tactiques sur le football, en début de semaine. Ça fait 5, 10 ans déjà que c’est une équipe sympa à voir jouer, mais on peut les comparer à Clermont au rugby, avec cette aura de rois des finales perdues."

Une cadence infernale à faire craquer le Bayern

Même avant qu'ils n'ajoutent ce sacre historique à leur maigre palmarès (Coupe d'Allemagne 1993, Coupe UEFA 1988), nombre d'observateurs jugeaint le cru 2024 plus grand que celui de 2002, année de référence pour le club (2e de Bundesliga, finaliste de la Coupe d'Allemagne et de la C1).

Alors en lice sur les trois tableaux, seule équipe encore invaincue en Europe, Leverkusen avait l'occasion de considérablement dépoussiérer son image. C'est chose faite et avec la manière.

Il met, au passage, fin à la plus longue hégémonie d'un club des cinq grands championnats sur son territoire national : onze saisons que le Bayern règnait sur l'Allemagne. Seuls la Juventus (9 titres consécutifs) et l'Olympique Lyonnais (7) se sont approchés d'une telle domination. Pour Christophe Kuchly, il serait d'ailleurs fort réducteur et injuste d'attribuer cette saison exceptionnelle à l'opportunité laissée par un Bayern à la saison mouvementée. 

"Même le meilleur Bayern de Guardiola ou de Flick auraient eu du mal à suivre la cadence."

Christophe Kuchly, journaliste et auteur spécialisé dans le football

à franceinfo: sport

Avec la longue blessure de son attaquant star Victor Boniface, auteur d'un début de saison canon, et des absences importantes en défense en raison de la Coupe d'Afrique des nations, Leverkusen a aussi eu son lot de défis à relever. "L'écart entre le niveau plafond et plancher d'une équipe est souvent un problème en Allemagne, observait-il. Les gros peuvent dérailler contre un promu. Cette saison, celui de Leverkusen n'est pas bien bas. Comme un Djokovic, même avec un niveau moyen, ça gagne quand même." 

Xabi Alonso, guide providentiel d'un collectif offensif

Une prouesse à décrypter à l'aune de plusieurs facteurs. Il y a d'abord cet "effectif de grande qualité, avec des noms qui devraient prendre du poids dans le futur. Dans quelques années, la saison qu'ils font semblera logique comme ce fut le cas avec Leicester [2016], qui avait été porté par des joueurs qui ont confirmé ensuite au plus haut niveau, Kanté, Mahrez..." Le nom du meneur de jeu du Bayer, Florian Wirtz, nouvelle pépite du football allemand, "sûrement déjà l'un des meilleurs joueurs du monde à son poste", est l'un de ceux à retenir. Le minot de 20 ans a accessoirement claqué un triplé en sortie de banc dimanche pour magnifier la fête.

Ces talents sont habilement guidés par l'ancien international espagnol Xabi Alonso, dans un système de jeu à trois défenseurs, aux côtés animés par des ailiers-pistons "à la réussite aberrante dans la finition". "Ils n'ont pas un attaquant à 25 buts, le danger vient de partout. Ils oppressent l'équipe adverse 80% du temps et finissent toujours par trouver la faille", reprenait Kuchly. Pour preuve, en Bundesliga, les latéraux Alejandro Grimaldo (9 buts) et Jeremie Frimpong (8) composent le trio de buteurs les plus prolifiques avec l'attaquant nigérian Victor Boniface (11).

Ce Bayer, porté vers l'offensive, est un adepte des coups de Trafalgar, presque mystiques, en ce sens qu'ils permettent d'arracher de précieux points sur le gong alors que tout semblait perdu. Un art, signature des grandes équipes comme le Real ou Manchester United époque Ferguson. Si le lien de cause à effet est difficilement quantifiable, la confiance et l'expertise d'un Xabi Alonso qui a tout gagné en tant que joueur et côtoyé les plus grands techniciens de son époque (Mourinho, Ancelotti, Guardiola), ne peuvent être étrangers à une telle réussite.

Les supporters de Leverkusen ne s'y trompent pas et saluent à chaque match le travail de Xabi Alonso. Ici le 11 avril 2024 en Ligue Europa. (CHRISTOPHER NEUNDORF / MAXPPP)

D'autant qu'en 2022, lorsque l'ancien milieu de Madrid, du Bayern et de Liverpool prend les rênes du club, avec pour seule expérience une saison à la tête de l'équipe réserve semi-professionnelle de la Real Sociedad, Leverkusen est relégable. Avec lui, le club amorce une formidable remontée jusqu'à la 6e place, avant d'enchaîner avec la saison que l'on connaît.  

"Guardiola, Flick ont gagné dès leur première saison avec des clubs de cette stature, mais le faire en changeant de pays, possiblement en étant invaincu toute la saison, ce serait sans précédent."

Christophe Kuchly, journaliste et auteur spécialisé dans le football

à franceinfo : sport

"Forcément, on a tendance à être plus à l'écoute de quelqu'un avec un CV pareil", enchaînait Kuchly avant d'appuyer : "C'est plus facile de recevoir les clés d'une telle équipe, mais je n'imaginais pas une telle saison. C'est l'un des coachings les plus impressionnants de ces dernières années." 

Assez pour avoir fait de Xabi Alonso, un temps, la priorité du Bayern et Liverpool pour prendre la relève de Thomas Tuchel et Jürgen Klopp. Mais le natif de Tolosa a choisi de rester. "Nous avons construit tout cela en un an, et je ne voulais pas tout gâcher en partant. Je me suis dit qu'abandonner les mecs après seulement un an n'aurait pas été juste, et m'aurait fait un peu de mal", a-t-il confié à TNT Sports. 

Chasseur de record, Xabi Alonso pourrait faire de Leverkusen le premier club allemand à s'emparer de la couronne nationale sans perdre un seul match. De quoi redélier les langues des plus prudents supporters. Avec lesquelles, ils pourront chanter, une seconde fois : à jamais les premiers.

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