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Hoffenheim, symbole de la fracture du football allemand

Pris pour cible par des groupuscules de supporters du Bayern Munich, du Borussia Dortmund ou encore de l'Union Berlin, Dietmar Hopp, le président et mécène du TSG Hoffenheim, divise le football allemand en raison de son apport financier important à son club. Une situation rare qui crée une fracture sociétale entre certains supporters des clubs historiques et les clubs considérés comme “nouveaux riches". 
Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
 

"Alles beim alten, des DFB bricht sein Wort, Hopp bleibt ein Hurensohn !". Comprendre : "Comme toujours, la DFB (la fédération allemande) ne tient pas parole, Hopp reste un fils de p***". La banderole brandie à plusieurs reprises par des supporters du Bayern Munich samedi contre Hoffenheim avait un message clair, et surtout ad hominem : s’en prendre violemment à Dietmar Hopp, le richissime mécène du club de cette petite ville de 3000 habitants, perfusé financièrement depuis l'arrivée de Hopp au club en 1990.  

Qu'a fait la 15e fortune allemande, ancien co-fondateur de SAP (logiciels informatiques) de si terrible pour s’attirer le courroux des supporters ? Dépasser l’application classique de la règle économique du "50+1", qui empêche un seul homme de détenir à majorité un club de football allemand.

Hopp a pourtant légalement utilisé un article qui indique qu’après 20 ans de mécénat, il est possible d’enjamber cette règle, comme l’explique Albrecht Sonntag, enseignant-chercheur à l’ESSCA. "Ce n’est pas déroger à la règle que d’activer un article de ladite règle. Dans le cas où quelqu’un s’engage pendant 20 ans de manière ininterrompue et conséquente dans son club, on ne peut plus considérer que c’est un investisseur temporaire. Ce n’est pas un jouet pour lui, il a décidé d’investir de manière extrêmement durable et raisonnable dans une région qui n’a jamais eu de grand club."

Une décision très mal digérée par une frange traditionnelle des clubs historiques. Avoir un investisseur seul détenteur d'un club à la majorité est habituel dans beaucoup de championnats, c'est un crime de lèse-majesté en Bundesliga. Peu avant la scène surréaliste au PreZero Arena, les ultras de Dortmund avaient eux aussi brandi une banderole du même acabit face à Fribourg. Dimanche, ce fut au tour du match entre l’Union Berlin et le VFL Wolfsburg, un autre club catalogué comme nouveau riche.

Historiques contre nouveaux riches

Lorsque Hopp reprend la club où il a joué plus jeune, c’est une équipe anonyme de huitième division qui ne soupçonne pas un instant qu’elle jouerait la Ligue des champions presque 30 ans plus tard. L’histoire a pourtant été cahoteuse depuis sa promotion en Bundesliga en 2008. Le PDG du Borussia Dortmund Hans-Joachim Watzke avait au moment de la montée déjà grincé des dents, estimant que le championnat n'avait "pas besoin de tels clubs".

S’en sont suivies des banderoles moqueuses "Hasta la vista Hopp", des pièces de monnaie jetées en référence à sa fortune. "Les banderoles ne sont absolument pas nouvelles. Même du temps de la 2e voire la 3e division, Hopp a été vu par une partie des supporters comme le fossoyeur du football allemand, continue Albrecht Sonntag. On les as vues très régulièrement, certains groupes sont plus obsédés par lui que d’autres mais ce n’est pas nouveau."

Les incidents de ce week-end ont fait franchir un pas dans l’escalade dans la violence verbale vis-à-vis de Hopp, autant que l’action commune de plusieurs groupes de supporters confirme une plaie ouverte. "Le football allemand est actuellement dans un état très fébrile et nerveux. Il n’y a pas vraiment une grosse résurgence de racisme dans les tribunes, bien qu’on puisse la constater. Cet épiphénomène du racisme se joue devant une société qui était calme et presque ennuyeuse sur le plan politique pendant 70 ans, et qui se voit aujourd’hui gangrenée par un discours d'extrême droite comme celui de l’Alternative für Deutschland (Afd) et des actes - pour l’instant encore relativement isolés mais qui commencent à s’accumuler - de violences physiques. C’est une violence verbale, qui introduit une rhétorique qui encourage à la violence, dans la tribune mais dans la société dans son ensemble. On s’aperçoit que certains éléments de langage se libèrent à nouveau en tribunes", décrypte l’enseignant-chercheur.

Hoffenheim est le plus ciblé car Hopp a le privilège du traitement de défaveur. Mais il n’est pas le seul. Le RasenBallsport Leipzig, fondé en 2009, détenu par le fabriquant de boisson énergisante Red Bull, a lui aussi subi des railleries depuis sa création, autant que deux autres clubs étroitement liés à des multinationales, qui ont outrepassé la lettre classique du "50+1" : le Vfl Wolfsburg, affilié à Volkswagen, et Leverkusen, géré par le géant Bayer. "Le Bayer et Wolfsburg ont traditionnellement contourné la règle du 50+1 car ce sont des clubs dont la marque est tellement intégrée dans le club qu’on ne peut pas leur reprocher”, précise Albrecht Sonntag.

De quoi créer une scission entre certains groupes de supporters, défenseurs d’une certaine version du football traditionnel, et des clubs émergents à la réussite rapide. “Si une certaine idée du football est incarnée par des clubs gérés de manière catastrophique, limite légale, comme Kaiserslautern, Hambourg et Stuttgart, tous ces clubs qui devraient être en première division et qui ne le sont pas, alors je constate simplement que Hoffenheim est mieux géré que d’autres. Il lui est reproché d’acheter des joueurs car - apparemment - il n'a pas des limites, mais ils n'ont pas de stars à Hoffenheim. Dès qu’ils ont une offre pour un joueur comme Roberto Firmino (en 2015), ils le vendent car ils n’en ont pas besoin. Ils sont parmi les dix meilleurs clubs de jeunes sur les dernières années. C’est très durable et intelligent ce qui est fait à Hoffenheim", appuie Albrecht Sonntag.

Indignation sélective

Après la scène ubuesque sur la pelouse, où les joueurs ont fini le match en se passant la balle, le président du Bayern Munich Herbert Hainer est monté au créneau pour désolidariser le leader de Bundesliga de l’action de quelques individus. "Dietmar Hopp a été diffamé, de loin, anonymement, sans nom, lâchement. Nous ne permettons pas à quelques uns d'endommager notre club. Des gens qui ne s'intéressent pas au football et au Bayern, mais à leur expression sur une scène qui ne leur appartient pas." Hansi Flick questionne, lui, l’hypocrisie de ces individus : "Chacun de ces étourdis a probablement quelqu'un dans sa famille qui a déjà bénéficié de Dietmar Hopp", a grondé celui qui a entraîné Hoffenheim entre 2000 et 2005. 

Si l’indignation et les réactions en chaîne sont sincères, elles sont parfois à deux vitesses, notamment vis-vis-vis des questions de racisme, plus fréquentes dans les autres divisions que l'élite. "Ce n’est pas le premier match menacé d’interruption, il y en a eu pour des questions racistes dans des ligues inférieures. Je trouve ça ambigu car l’indignation pour les menaces contre M. Hopp sont prises bien plus au sérieux que celles à l’encontre de joueurs de couleur. On assiste à une indignation sélective avec un manque de cohérence. Si le football allemand veut être présentable, il doit être en mesure de mieux identifier les acteurs individuels d’actes répréhensibles, le racisme comme les menaces contre Hopp", conclut l’enseignant-chercheur.

Dans un communiqué, le club de Schalke 04 s’est à son tour désolidarisé de ces banderoles, les condamnant fermement. "Le FC Schalke 04 attache une grande importance à clarifier une chose : nous nous éloignons clairement de ces affiches, déclarations diffamatoires et insultes personnelles et n'acceptons aucune banalisation." Le club de la Ruhr a indiqué que le match mardi contre le Bayern Munich en Coupe d’Allemagne serait immédiatement interrompu en cas de banderoles anti-Hopp, alors même que la rencontre va voir deux historiques de Bundesliga s’affronter. C’est dire si la crainte est grande et la fracture profonde.

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