Interview Football : "Le marché est totalement dérégulé", déplore Oke Göttlich, président du FC Sankt Pauli, qui milite pour changer les règles du jeu

Le dirigeant du club allemand tranche dans le paysage footballistique et entend profiter du succès sportif de son club, promu en Bundesliga, pour faire évoluer son sport.
Article rédigé par Mateo Calabrese
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 3 min
Oke Göttlich, président du FC Sankt Pauli, lors du match contre le FC Schalke 04 au Millerntor Stadion d'Hambourg (Allemagne), le 23 septembre 2023. (AFP)

A la prestigieuse tablée des présidents des clubs de l'élite allemande, parmi les investisseurs et les hommes d'affaires, un intrus s'est glissé cette année : un représentant désigné par ses supporters. Oke Göttlich (48 ans), ancien journaliste sportif et PDG d'une société de distribution musicale, est président du FC Sankt Pauli, qui retrouve la Bundesliga après treize ans dans l'antichambre. Il se veut le garant d'une institution ouvertement anticapitaliste qui "s'accroche à ses valeurs, dans un environnement de plus en plus commercial".

Elu et réélu depuis dix ans à la tête du conseil de surveillance par ses fans, tant propriétaires que décisionnaires, celui qui a fait ses classes parmi les ultras incarne aujourd'hui l'engagement viscéral du club hambourgeois, qui lutte activement pour l'intégration des réfugiés et contre toute forme de discrimination, arborant fièrement un drapeau LGBT+ sur le toit de son Millerntor Stadion.

Franceinfo: sport : Comment êtes-vous passé de journaliste sportif, puis directeur d'une entreprise de distribution musicale, à président d'un club de Bundesliga ?

Oke Göttlich : Mon "espace utopique" a toujours été Sankt Pauli. Les supporters et les gens dans le stade m'ont inspiré depuis l'âge de 15 ans. Tout ce que j'ai fait dans ma vie était lié d'une manière ou d'une autre au Millerntor Stadion et à Sankt Pauli. J'y ai rencontré les personnes avec lesquelles j'ai commencé le fanzine du club et celles avec lesquelles j'ai fondé ma société de distribution de musique.

"La seule chose qui n'ait rien à voir avec Sankt Pauli dans ma vie, c'est la rencontre avec ma femme à Cologne. Bon, je ne le savais pas lorsque nous nous sommes rencontrés, mais il s'avère qu'elle est elle-même une fan de Sankt Pauli."

Oke Göttlich, président du FC Sankt Pauli

à franceinfo: sport

Pourquoi avez-vous été choisi pour diriger le club ?

Etre président de Sankt Pauli, c'est un travail bénévole à plein temps. Seules des personnes privilégiées peuvent exercer cette fonction. En général, ce sont des vieux hommes blancs riches [rires]. J'ai eu la chance que ma société de distribution musicale connaisse un certain succès, alors les membres du club m'ont demandé, à l'époque où j'étais un homme blanc riche un peu plus jeune, de devenir président. J'occupe cette fonction depuis maintenant dix ans et nous avons pu réaliser un petit rêve : être promus en Bundesliga. Le poste est désormais rémunéré, depuis deux ans, parce que les recettes ont quadruplé. Les membres ont décidé qu'il n'était plus possible de faire ce travail bénévolement.

Pourquoi pensez-vous qu'un club de football doit appartenir à ses fans ?

Notre système participatif et démocratique nous est cher, car nous pensons que la communauté transforme la société plus rapidement que l'ordre établi. C'est pour cela que nous nous battons pour préserver la règle des 50+1 en Allemagne [qui interdit à un même actionnaire extérieur de détenir plus de la moitié des parts d'un club]. Les clubs doivent appartenir à leurs membres, ils doivent toujours rester majoritaires. 

"Dans les clubs dirigés par des investisseurs, leur seule façon de penser le football est de se demander 'comment je peux obtenir deux euros si j'ai investi un euro ?'"

Oke Göttlich, président du FC Sankt Pauli,

à franceinfo: sport

Que reprochez-vous au système actuel du football professionnel ?

Nous avons beaucoup trop peu de réglementations. L'argent circule en abondance, mais le marché est totalement dérégulé, ultra-capitaliste et commercial. L'intégrité de la compétition devrait être prioritaire. Avec l'argent des droits télévisuels, par exemple, nous donnons toujours plus aux grands clubs et moins aux autres. C'est quelque chose que nous voulons changer.

Comment appliquez-vous ces principes au sein du club ?

Nous renonçons à 3 à 5 millions d'euros par an de sponsoring, sans doute plus encore avec la montée en Bundesliga, parce que nos membres ont décidé de ne pas vendre le nom de notre stade. Nous ne nous contentons pas de les proclamer, nous vivons en accord avec nos valeurs. En fin de compte, cela contribue à renforcer notre marque, mais cela n'a jamais été une stratégie. Tout est mis en place, décidé par les membres. Nous pouvons dire avec fierté : "Nous sommes le seul club dirigé par les fans jouant dans l'une des cinq meilleures ligues d'Europe". Bien sûr, en Allemagne, il existe encore des clubs appartenant à leurs fans, mais ils ne sont pas intégrés au conseil d'administration et au processus décisionnel comme c'est le cas à Sankt Pauli.

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