Le Cameroun, géant d'Afrique et maudit de la CAN
Lorsque la Confédération Africaine de Football (CAF) avait désigné en 2014 le Cameroun pour accueillir l’édition 2019 de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), beaucoup y ont vu la fin d’une interminable attente depuis la seule édition hébergée par le Cameroun, en 1972. Six ans plus tard, le pays de Roger Milla n’a toujours pas vu l’ombre d’un match estampillé CAN. Pire, il ne le verra pas avant encore au moins un an et demi a minima. Sur le terrain, les Lions Indomptables, quintuples vainqueurs (seule l'Egypte fait mieux avec sept succès), restent une nation phare du continent. Mais le pays vit une histoire plus que contrariée avec la CAN.
Le passage à 24 équipes, coup fatal
Le 21 septembre 2014 à Addis-Abeba (Ethiopie), le président de la CAF Issa Hayatou esquisse un sourire en coin : le Cameroun, d’où il est originaire, est désigné pays-hôte de la CAN 2019. Une sorte d'accomplissement après 27 ans passés à développer le football africain. Mais l'euphorie subit un coup d’arrêt brutal en mars 2017 : Hayatou est battu de 24 petits bulletins par le Malgache Ahmad Ahmad pour la présidence, après sept mandats consécutifs. Très vite, son remplaçant montre des signes d'inquiétude quant à l’avancée du cahier des charges du Cameroun en vue de la CAN 2019. Quelques mois plus tard, la CAF change son fusil d’épaule : la CAN passe de 16 à 24 équipes, et troque son habituel mois de janvier pour se déplacer à l’été. Défi alors relevé par le gouvernement de Paul Biya.
Le 29 septembre 2018, lors d'un comité exécutif organisé en Egypte, la Confédération africaine pointe pourtant "un retard important dans la réalisation des infrastructures" nécessaires à la tenue de la CAN 2019, notamment quant à l’avancée de la construction des stades. "Le Cameroun a accepté le changement à 24 équipes, mais malgré tout ça rien n’a été fait : la situation était chaotique, les stades n’étaient pas finis, le parc hôtelier n’était pas aux normes. Il y avait beaucoup de trous dans le dossier", explique Lassana Camara, journaliste à mauritaniefootball.com et consultant pour la BBC Afrique et RFI.
Ecarté de l'organisation à sept mois de la CAN
En retard et sous pression à cause des investissements gigantesques déjà consentis, le Cameroun fléchit face aux multiples inspections des têtes pensantes de la CAF. Le couperet tombe en novembre 2018 : le Cameroun se voit retirer l'organisation en faveur de l’Egypte. "Cette décision a été unanime", confirmait à l’époque l’un des participants. "Aucun des vingt membres présents ne s’y est opposé." L’ajout soudain de huit équipes, obligeant l’hôte à revoir son plan de bataille en cours de route, a périclité un projet déjà vacillant. "Pendant plusieurs mois, le Cameroun s'est arrêté à cause de problèmes de paiements, des problèmes de pluies qui ont retardé les travaux... Mais nous ne pouvions pas aller au-delà de cette date", expliquait Ahmad Ahmad pour justifier la décision tardive de la CAF, seulement sept mois avant le début de la compétition.
"La CAN au Cameroun, on a l’impression que c’est une malédiction."
Dans sa grande mansuétude, la CAF lui accorde malgré tout l’édition 2021, "pour arranger les choses de manière vraiment humaine" selon son président, faisant glisser la Côte d’Ivoire et la Guinée, prévus en 2023, à l’édition suivante.
La FIFA et Infantino s'en mêlent
En octobre 2019, la FIFA vient enfoncer un nouveau clou. Elu président en 2016, Gianni Infantino parvient finalement à mettre en oeuvre son serpent de mer : la Coupe du monde des Clubs est élargie à 32 équipes et se déroule dorénavant tous les quatre ans au début de l’été. La première édition est prévue pour juin 2021 en Chine. Un camouflet pour la CAF, déjà placée sous la tutelle "d'une mission" de la Fifa depuis le 1er août dernier à la suite de soupçons de corruption qui éclaboussent Ahmad Ahmad. Mais aussi pour le Cameroun, qui voit une compétition télescoper médiatiquement "sa" CAN. "La CAN au Cameroun, on a l’impression que c’est une malédiction", désespère Lassana Camara. En janvier 2020, la CAF et le Cameroun décident alors de concert de rétropédaler et de replacer la compétition en début d’année, invoquant des raisons climatiques pourtant a priori évidentes à deviner lors du choix initial.
En avril dernier, le Cameroun semblait finalement paré à toute éventualité de voir la compétition repoussée. "On attend la fin des chantiers du Stade Olembe et tout sera prêt pour janvier 2021 si la compétition s’y tient toujours. On n'a pas d’inquiétude du côté des travaux car ils avancent bien. Notre seule inquiétude c’est ce Covid-19", expliquait Seidou Mbombo, le président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot). L’inquiétude sanitaire s’est transformée en crainte, la crainte en capitulation.
Mondialisée, la pandémie de Covid-19 s’est invitée au bal des reports, obligeant la CAF à la plus grande précaution, malgré la volonté de certains, comme Stéphane Bahoken, de maintenir l'événement. "Personnellement, je ne suis pas favorable à un report. C'est vraiment un casse-tête", annonçait l'international camerounais Stéphane Bahoken début mai sur RFI.
" A l’image de toute l’Afrique francophone, le Cameroun est à la traîne, on ne met pas les budgets là ou il faut les mettre."
Un gouffre financier pour le Cameroun
Alors qu’il restait quatre journées d’éliminatoires à disputer, la Confédération a finalement préféré assurer le 30 juin en repoussant l’édition 2021 à janvier 2022. Une éternité pour un pays quintuple vainqueur de la CAN. Sera-t-il enfin prêt pour l'échéance ? "Au niveau des infrastructures des stades, ils seront au rendez-vous, avance Lassana Camara. S’il y a des manquements lors de l’organisation du Championnat d’Afrique des Nations (la deuxième plus grande compétition africaine, prévue en janvier 2021), ça va se savoir. Ce sera un rendez-vous important pour tâter le terrain et valider les acquis."
Si aujourd’hui, la tenue de la CAN en temps voulu au Cameroun est à l’ordre du jour, la Fecafoot devra gérer plusieurs écueils importants : l’entretien des infrastructures présentes, qui n’apportent aujourd’hui aucun revenu, et qui doivent être utilisées sur le long terme pour être rentabilisées. "Ca va être un gouffre financier s’il n’y pas de projet derrière, comme pour le Gabon il y a quelques années. Là-bas, les stades construits pour la CAN s’effondrent car aucun club ne peut prendre le relais. Le Cameroun est un pays qui ne devrait pas être à la traîne à ce point. Lors de la CAN en Egypte en 2019, c’était une démonstration de force, d’infrastructures. Tout était au point, les terrains d'entraînement étaient au niveau international. A l’image de toute l’Afrique francophone, le Cameroun est à la traîne, on ne met pas les budgets là ou il faut les mettre.", estime le consultant.
Mais surtout, l’élection du nouveau président de la CAF en mars 2021 pourrait à nouveau bousculer l’ordre établi, comme a pu l’être celle d’Ahmad Ahmad. "Si le nouveau président décide que tout ça a trop traîné, on peut à nouveau retourner en arrière. Ça avance d’un pas, ça recule de trois pas. On a l’impression que le Cameroun est maudit dans cette histoire."
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