"On est partis de très loin" : les Comores, sélection au vivier très français, aux portes d'une qualification historique à la CAN
Le contexte incite à la mesure et à éviter de s'enflammer inutilement. Depuis le début de l'entretien, Amir Abdou, le sélectionneur des Comores s’applique à utiliser le conditionnel pour évoquer une potentielle qualification de son équipe à la prochaine Coupe d’Afrique des Nations (CAN), en janvier 2022, au Cameroun. Un exploit immense qui serait une première dans l’histoire sportive des Comores. Dans le monde du football, comme en politique, la langue de bois est souvent de mise. Peut-être s’agit-il d’un excès d’enthousiasme, mais celle d’Amir Abdou finit par fourcher.
Sur le moment, l'entraîneur de 48 ans ne peut s’en empêcher : "Ça va être une belle récompense pour nous, après tout le travail fourni ces dernières années". Depuis plus de six mois, et les derniers matches joués par les Coelacanthes (surnom issu d'une espèce de poisson vivant notamment aux Comores), c’est tout un pays qui se prend à rêver d’une qualification qui lui tend les bras. Face au Togo jeudi 25 mars, les Comores, archipel composé de trois îles dans l'océan Indien, n’ont besoin que d’un petit point pour valider leur ticket pour la prochaine CAN. Mieux encore, un succès de l’Égypte qui joue au même moment au Kenya, les qualifierait automatiquement.
Et si le Kenya venait à faire de la résistance, les joueurs d’Abdou auraient une nouvelle chance de qualification face à l’Égypte dans quatre jours. On l’a dit, la qualification tend les bras aux Comores et les scénarios possibles penchent en leur faveur. Mais Amir Abdou n’est pas du genre à envisager une qualification petit bras : "Notre objectif, c’est de finir devant l’Égypte. On veut bien terminer cette campagne de qualifications."
Un bond de 60 places au classement FIFA
Après des années de galère, Abdou savoure. Le sélectionneur, qui partage son temps entre les Comores et son poste d'entraîneur du club mauritanien du FC Nouadhibou, s’est surtout habitué à l’exigence du plus haut niveau. Lorsqu’il prend la tête de la sélection en 2014, ce Marseillais d'origine qui officiait jusque-là au niveau amateur dans le sud de la France, prend conscience du chantier qui l’attend. Le dernier match des Comores remonte à 2012 et la sélection, en proie à des problèmes financiers, occupe la 190e place du classement FIFA, organisation qu’elle n’a rejointe qu’en 2006.
"Ça a été beaucoup, beaucoup de travail pendant des années avec le staff. C’est énormément d’acharnement, de pugnacité. On n’a rien lâché", explique, le sourire aux lèvres, Amir Abdou. Sept ans plus tard, c’est tout le peuple comorien qui s’imagine déjà soutenir les Coelacanthes lors de la prochaine CAN, qui se déroulera en janvier 2022 au Cameroun. Après des bons résultats en novembre 2019 face à l’Égypte et au Togo, la sélection s’est en effet mise dans une position idéale pour la qualification en prenant quatre points en deux matches contre le Kenya, en novembre dernier. Elle occupe désormais la 130e place du classement FIFA et les bons résultats ont poussé l'hebdomadaire Jeune Afrique à classer les Comores sixième meilleure sélection africaine de l'année 2020. Amir Abdou, lui, a été sélectionné pour le titre de meilleur entraîneur africain de l'année.
Des résultats inattendus après de longues années de dur labeur. "On savait qu’on partait de très loin. Mais on a toujours eu l’espoir de réussir à aller le plus haut possible", assure Nadjim Abdou. Capitaine de la sélection, Nadjim - à ne pas confondre avec Amir, le sélectionneur - Abdou a été le premier joueur professionnel à rejoindre les rangs des Comores, au début des années 2010. À l’époque, et encore aujourd’hui, la sélection ne peut pas réellement compter sur le football local pour être compétitive au niveau international. "Aux Comores, le football est encore à la recherche d’un développement. Avec le peu de moyens qu’il y a là-bas, les équipes s’accrochent. Mais il manque encore des infrastructures, une bonne formation pour les éducateurs, un bon suivi des jeunes", souligne Amir Abdou, le sélectionneur.
La communauté comorienne de France, un large vivier
Faute de compter sur les locaux, les Coelacanthes se servent dans un vivier considérable : la communauté comorienne de France, soit environ 150 000 personnes. Jusqu'en 1975, les Comores étaient une colonie française. Depuis l'indépendance, une partie de la population de l'archipel s'est envolée vers la France. Le capitaine Nadjim Abdou est, comme dix autres joueurs de la sélection, issu de l’importante communauté comorienne qui vit à Marseille. Et comme l’intégralité des 23 joueurs des Coelacanthes – excepté l’attaquant Ibroihim Youssouf –, Abdou a connu son premier club en France.
"On profite des règles sur les binationaux. Aujourd’hui, il y a une grosse communauté de Comoriens en France et on a beaucoup de jeunes dans des centres de formation qui sont en train d’émerger", assume le sélectionneur. Grâce à ce système, Amir Abdou et son staff ont progressivement constitué une équipe compétitive. Cependant, aucun joueur de la sélection, au sein de laquelle évoluent notamment Ali Ahamada et Kassim Abdallah, ne joue en Ligue 1, ni dans les quatre grands championnats européens. Au contraire du Togo ou de l’Égypte…
Du niveau amateur à la CAN ?
La majorité des Coelacanthes évolue ainsi dans des championnats de seconde zone, ou en Ligue 2, National, National 2 ou National 3. Certains passent du niveau amateur à des rencontres internationales avec les Comores. "On est obligés de se surpasser. On doit être un cran plus fort que d’habitude, mettre plus de détermination, faire toujours plus", concède Kassim M’Dahoma, titulaire avec la sélection et qui évolue au SC Lyon, en National. "On est capables d’enchaîner des matches de haut niveau mais ça prend beaucoup d’énergie dans le sens où on doit faire plus d’efforts que l’adversaire, être plus concentrés, parce que les autres équipes ont plus l’habitude de ce genre de matches", explique Amir Abdou.
"Jouer avec les Comores, ça permet aussi de participer à des matches à un niveau auquel on n’aurait pas eu accès en club", admet Nadjim Abdou, qui évolue cette saison à Martigues, en National 2. Forcément, avec les succès récents, la sélection des Comores a gagné en crédibilité et peut envisager de convaincre d'autres binationaux. Des joueurs comme Wesley Saïd (Toulouse FC), Myziane Maolida (OGC Nice) ou encore Ismaël Boura (RC Lens) sont dans le viseur du sélectionneur.
"La difficulté, quand on veut convaincre les joueurs de haut niveau de nous rejoindre, c’est de réussir à les séduire. Mais ce qui est sûr, c’est qu’avant on ne pouvait clairement pas le faire", assure Amir Abdou. Malgré les succès des Comores, les jeunes Maolida (22 ans) ou Boura (20 ans) sont encore attirés par la possibilité de jouer en équipe de France, championne du monde en titre. De son côté, Kassim M’Dahoma, également originaire de Marseille, n’a pas hésité une seconde à jouer pour les Coelacanthes, dès ses 21 ans, pour profiter de la ferveur du pays.
"Dès qu'on atterrit dans le pays, c'est la folie"
"C’est une grande fierté de jouer pour les Comores. Le soutien là-bas est incroyable, c’est un pays qui vit pour le football", assure le défenseur du SC Lyon. "Dès qu’on atterrit dans le pays, c’est la folie. Le pays fait la fête et on réalise à quel point la sélection est importante pour le peuple comorien", confirme Nadjim Abdou. "Les gens sont fous de la sélection", ajoute Amir Abdou. Le sélectionneur se remémore le match contre l’Égypte en novembre 2019 dans le nouveau stade Iconi-Malouzini : "C’était incroyable. Le stade fait 13 000 places. Et au bout de trente minutes, les gens ont cassé le portail. Il y avait plus de 25 000 personnes. À la fin du match, les gens ont envahi la pelouse. Le speaker a pris le micro pour leur dire de quitter le terrain parce qu’on risquait de perdre le match sur tapis vert. Et les gens sont sortis en moins d’une minute de la pelouse. C’était impressionnant".
Le tout alors que les Comores venaient d’obtenir… un match nul face aux Pharaons (0-0). Signe que la sélection revient de loin. Et que la population comorienne profite des succès récents des Coelacanthes pour oublier, l'espace d'un instant, une situation économique et sociale fragile dans le pays. "Je crois qu’on a encore du mal à réaliser le parcours qu’on a fait. Mais on peut en être très fier quand on voit la joie du peuple comorien. Tout ce qu’on vit, ce n’est que du bonheur", assure Nadjim Abdou.
En janvier 2022, lors de la prochaine CAN, le capitaine des Coelacanthes aura 37 ans. Au Cameroun, le défenseur de Martigues, qui a tout vécu avec les Comores et qui représente à lui seul le basculement de la sélection dans le monde professionnel, pourrait vivre sa dernière aventure de footballeur. "Ce serait beau de pouvoir terminer avec la CAN", songe Nadjim Abdou. Mais avant cela, les Coelacanthes ont rendez-vous ce jeudi face au Togo, pour transformer le conditionnel et leurs rêves les plus fous en réalité.
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