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Comment le Barça a vendu son âme

Le club catalan est englué dans l'affaire Neymar, a perdu son président, pourrait vendre le nom de son stade et perd plusieurs joueurs emblématiques. Il est où, le club le plus classe du monde ? 

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Lionel Messi chute lors du march de Coupe du roi Barça-Getafe, le 8 janvier 2014. (ALBERT GEA / REUTERS)

"Nous sommes peut-être les derniers romantiques du sport", estimait en 2000 le directeur financier du Barça, Xavier Aguila, cité par Sport Business Daily (article en anglais). Le FC Barcelone, qui dispute les 8es de finale de la Ligue des champions face à Manchester City, mercredi 12 mars, s'est rendu célèbre par son maillot vierge de tout sponsor, par ses supporters-propriétaires, par son hostilité à la course à l'argent et par ses grands joueurs qui passaient leur carrière au club.

Mais cette époque paraît de plus en plus lointaine...

Le Barça se veut l'égal de Coca-Cola

A Barcelone, ce sont les 180 000 socios qui élisent l'équipe dirigeante du club. Les socios sont des supporters-propriétaires du club, qui payent une cotisation de 150 euros pour en faire partie. La liste d'attente est de sept à huit ans. En 2000, les amoureux du club destituent Josep Lluis Nunez, magnat du BTP qui veut introduire le club en Bourse. Refus du foot-business ? Pas sûr. Trois ans plus tard, ils élisent massivement Joan Laporta, qui a promis la signature de l'attaquant Ronaldinho. Une fois au pouvoir, Laporta instaure une politique agressive pour trouver des fonds.

Joan Laporta a de grandes ambitions pour le club, dont il multiplie les revenus par trois en cinq ans. En 2007, il résume sa stratégie : "Si les extraterrestres débarquent sur Terre, les premières choses qu'ils doivent connaître, c'est Coca-Cola, Disney et le Barça. Il y a encore du travail." Son objectif affiché est de faire du club une "marque globale d'entertainment", comprenez de divertissement. 

La philanthropie ne pèse pas lourd face aux dollars

Marque globale ? Le Barça s'y emploie, en effectuant de lucratives tournées d'été en Asie, et en signant des contrats de sponsoring à tout va. Le club est lié depuis longtemps à la bière Estrella en Espagne, mais a signé un contrat avec la bière Chang pour le marché asiatique. "On s'intéresse à tous les marchés", reconnaît Javier Faus (vice-président du club) après la signature d'un accord avec une banque des Emirats arabes unis, cité par le site Gulf News (article en anglais)Le nombre de partenaires du club est en constante augmentation : sur les 22 actuels, seuls six sont liés au Barça depuis plus de cinq ans.

Symbole de ce changement d'ère : l'arrivée du premier sponsor maillot payant sur le maillot du club. Le principe est voté en 2003, malgré l'opposition d'une légende du club, le Néerlandais Johan Cruyff, qui parle de "souillure sur le maillot". La transition est habilement menée : d'abord un sponsor gratuit, l'Unicef, à qui le Barça verse même de l'argent. Puis la Qatar Foundation, autre organisme non-lucratif... mais qui paye pour apparaître sur la tunique des joueurs. Javier Faus explique au Guardian (article en anglais) que le club a même cherché à "mélanger les deux logos" des organisations caritatives pour les faire figurer ensemble à l'avant du maillot. En vain. L'Unicef est reléguée à l'arrière, sous le numéro. En 2013-14, la compagnie aérienne Qatar Airways prend le relais, moyennant 170 millions d'euros sur cinq ans. Le Barça a même vendu un emplacement à l'intérieur du maillot à Intel (on le voit donc quand il est retourné...), pour 18 millions d'euros sur cinq ans, d'après Forbes (article en anglais).

L'attaquant du Barça, Neymar, soulève son maillot et laisse voir le nom du sponsor, Intel, le 2 mars 2014.  (ALBERT GEA / REUTERS)

Stars, paillettes et fraude fiscale

Tout ça pour financer le projet sportif. Le Barça, c'est d'abord une identité de jeu unique au monde... mais aussi de gros transferts et des stars qui font rêver. Dernière en date, le Brésilien Neymar, arrivé à l'été 2013. Un transfert officiellement annoncé à 57 millions d'euros. Ce montant, qui paraît faible pour celui décrit depuis deux ans comme le futur crack du foot mondial, intrigue un socio, Jordi Cases, pharmacien de son état. Cases lance une action en justice pour obtenir les détails du transfert, et il apparaît très vite que le Barça a sous-évalué le transfert, fruit d'un montage financier compliqué. Après enquête, El Mundo (en espagnol) rapporte que le club a payé 95 millions et aurait maquillé le prix pour économiser 10 millions d'euros d'impôts.

Le Barça se drape dans sa dignité, mais le président du club, Sandro Rosell, est contraint à la démission. Quelques jours plus tard, le club verse 13 millions d'euros au fisc espagnol. Pourtant, pas question de reconnaître une quelconque fraude fiscale. Allez comprendre... "Quelqu'un éloigné du club pourrait croire que l'image du club est abîmée, que la situation n'est pas claire. Mais elle l'est, et nous avons toujours agi de façon honnête", se défend le nouveau président, Jordi Bertomeu, sur la BBC (article en anglais). 

Nom du stade, exode de joueurs : ces futurs sujets épineux

Les dossiers chauds s'accumulent sur le bureau du président du club. Le Barça va faire voter les socios pour vendre "partiellement" le nom du stade à une société. Tout est dans le "partiellement" : le club pourrait par exemple s'appeler Camp Nou Microsoft, en conservant le nom d'origine, pour 4 millions d'euros par an. Un sujet sur lequel les socios sont beaucoup plus hostiles qu'au sponsoring maillot, d'après un sondage interne cité par le site Total Barça (article en anglais). "C'est un moindre mal, entre ne pas toucher l'argent et débaptiser complètement le stade", se défend le conseil d'administration du club.

Dernier point bien plus épineux, l'exode des joueurs majeurs du Barça. Sur les quatre joueurs emblématiques du club, trois pourraient faire leurs valises à la fin de la saison. Le gardien Victor Valdés s'en va, déçu par les nouveaux dirigeants, a-t-il reconnu dans une interview au Guardian. Le défenseur Carles Puyol, 36 ans, conscient que son corps n'arrive plus à suivre, va quitter le navire. Le capitaine Xavi, 16 saisons au club, pourrait lui aussi partir. Et Lionel Messi s'est fâché avec Javier Faus, qui a regretté de devoir revaloriser le contrat de la star tous les six mois. Faus préfèrerait apurer la dette du club (elle dépasse les 300 millions d'euros). "C'est une personne qui ne sait rien sur le football, attaque Messi, et qui veut gérer le club comme une entreprise, qu'elle n'est pas." En est-on bien sûr ?

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