Contre Carrefour, un club argentin fait jouer Viggo Mortensen et France Gall
A Buenos Aires, les supporters de San Lorenzo se sont lancés dans une lutte pour exproprier l'enseigne française, qui a construit un supermarché à l'emplacement de leur stade de foot historique.
Qu'ont en commun les supermarchés Carrefour, un club de foot argentin, un tube de France Gall et l'acteur Viggo Mortensen ? A priori, pas grand chose, si ce n'est une affaire de stade, celui du club de San Lorenzo, à Buenos Aires. Et pour ses supporters, c'est l'affaire de la décennie.
Acte 1 : la dictature subtilise le stade et le revend à Carrefour
Tout commence en 1979, quand la dictature militaire force la main au club pour vendre son stade, el Viejo Gasometro ("le vieux gazomètre") situé en plein centre-ville, dans un des plus beaux quartiers de Buenos Aires, le Boedo. Une vente à prix d'ami à une société fantôme, qui s'empresse de faire payer l'emplacement et le stade neuf fois plus cher aux hypermarchés Carrefour, à la recherche d'un site privilégié dans cette partie de la ville. Trente ans plus tard, une crise diplomatique commence à poindre entre l'Argentine et la France au sujet de ce terrain.
La fin de la dictature militaire a beau dater de 1983, l'Argentine a du mal à en solder les comptes. Des procès pour crime contre l'humanité ont lieu régulièrement - 81 condamnations en 2011 sur près de 300 au total -, de vieilles affaires de matchs achetés par le régime ressurgissent, et les musées faisant le bilan de cette page noire de l'histoire du pays sentent encore la peinture fraîche. Ce n'est qu'au milieu des années 2000 que les supporters du club ont émis l'idée d'une "loi de restitution historique" des spoliés de la dictature. Loi qui arrangerait au premier chef le club.
Acte 2 : San Lorenzo déménage dans un quartier coupe-gorge
Depuis 1979, San Lorenzo a connu deux périodes distinctes. Une longue errance, de 1979 à 1993, quand le club squattait les stades des autres clubs de Buenos Aires. Ensuite, une installation douloureuse dans son stade actuel, que les supporters se sont empressés de baptiser le Nouveau Gazomètre. Un Nouveau Gazomètre qui n'a jamais fait oublier l'ancien : autant l'enceinte d'origine était situé dans un quartier historique de Buenos Aires, autant son successeur a hérité d'un quartier malfamé où on déconseille de se promener seul après le match. Les dirigeants ne font rien pour que les supporters s'approprient ce stade, au contraire : le Nouveau Gazomètre est constitué de tribunes amovibles, qui s'en iront par camion dès que San Lorenzo aura récupéré son emplacement privilégié au cœur de la capitale.
Acte 3 : San Lorenzo se rebiffe contre Carrefour
Reste un écueil de taille. Depuis 1983, Carrefour, leader de la grande distribution en Argentine, a bâti un supermarché sur cet emplacement. Les manifestations des supporters contre l'enseigne, les tentatives de conciliation entre les deux parties pour que Carrefour cède au moins son parking pour pouvoir rebâtir le stade ont échoué. Dernier moyen de pression du club azulgrana (bleu et rouge) : Viggo Mortensen. Outre le fait qu'il incarne Aragorn dans Le Seigneur des Anneaux, l'acteur danois est un fan déclaré de San Lorenzo. Dans un message vidéo adressé aux fans rassemblés lors de la dernière manifestation, le 8 mars, il a déclaré : "Je vais parler au président de Carrefour pour que nous devenions amis et qu'il sponsorise le club."
Acte 4 : San Lorenzo se retourne contre la France
Après avoir fait beaucoup de bruit dans le pays, les supporters de San Lorenzo entendent désormais médiatiser leur combat dans la patrie d'origine de Carrefour, la France. Cela passe par des pages Facebook en français sobrement intitulées : "Carrefour, complice de la dictature militaire", où on peut lire leurs revendications. Mais aussi par cette vidéo dans la langue de Molière, où pour en appeler à la révolte des Français, les supporters utilisent la chanson de France Gall, "Ella, elle l'a". Oui, c'est vrai, ils auraient pu choisir "Résiste, prouve que tu existes"...
Acte 5 : les riverains préfèrent un supermarché à un stade
A remuer ciel et terre pour convaincre Carrefour, les supporters de San Lorenzo ont peut-être un peu vite oublié l'autre écueil sur la route du Viejo Gasometro : les riverains. Ces derniers se répandent dans les médias, comme La Nacion, pour s'opposer à tout prix au retour des azulgranas dans leur arrière-cour. Comme Mario, qui se définit lui-même comme supporter du club : "Je veux le meilleur pour San Lorenzo, mais pas ici". Ou Daiana, qui dit la même chose de façon plus imagée : "C'est dangereux d'avoir un terrain de foot au milieu d'un quartier. Les supporters pissent, vomissent, sortent sur le balcon et tu es obligé de voir ce que personne n'aimerait voir."
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