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Copa America : le football sud-américain est-il en déclin ?

Avec des résultats en berne en Coupe du monde et une nouvelle génération qui peine à s'imposer, le football sud-américain traverse une passe difficile.

Article rédigé par franceinfo: sport - Elias Lemercier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
Lionel Messi face à la Bolivie le 28 juin lors du premier tour de la Copa America 2021.  (GIL GOMES / AGIF / AFP)

Avec des joueurs légendaires (Pelé, Garrincha, Kempes, Maradona, Batistuta, Ronaldo, Ronaldinho) et neuf Coupes du monde remportées, le continent sud-américain a souvent rappelé aux Européens qu'ils n'étaient pas les seuls détenteurs du savoir footballistique. Mais alors que le Vieux Continent a façonné une nouvelle génération qui s'annonce brillante (Mbappé, Haaland, Havertz...), le football sud-américain peine à identifier la relève des Lionel Messi, Neymar ou Edinson Cavani.

Des nations moins effrayantes en Coupe du monde

Ce trou générationnel s'est fait sentir lors de la dernière Coupe du monde. En Russie, pour la cinquième fois de l'histoire, aucune équipe sud-américaine n'était présente en demi-finales. C'était le cas également en 2006. En 2018, quatre équipes en huitièmes, deux en quarts et puis c'est tout. Les nations européennes ont coupé les têtes de l'hémisphère Sud. Symbole de ce recul : le Brésil, quintuple champion du monde, qui enchaîne les désillusions depuis son dernier sacre, en 2002. 

"On les as démystifiés", analyse Elton Mokolo, journaliste spécialiste du football chez Le Club des 5"Les joueurs des nations européennes les affrontent et les battent de manière régulière en Europe, le seul fait de remporter la Copa America ne suffit plus pour faire en sorte que le Brésil soit craint de partout. Ce sont des équipes qui auront toujours le respect car elles évoqueront toujours quelque chose dans l'histoire du football mais elles sont moins mythiques qu'avant".

Le Brésil face aux équipes européennes en phase finale de Coupe du monde depuis 2002.  (FRANCEINFO / ELIAS LEMERCIER / AFP)

Depuis son 5e titre remporté en finale contre l'Allemagne (2-0) en 2002, la Seleção n'a jamais battu une équipe européenne en match à élimination directe. À chaque fois, l'Europe lui a montré la sortie. Le constat est moins amer sans être glorieux pour l'Argentine sur la même période. Finalistes en 2014 après avoir sorti trois équipes européennes (Suisse, Belgique, Pays-Bas), les coéquipiers de Lionel Messi ont buté sur la quatrième, l'Allemagne, en finale. "Les équipes comme le Brésil ou l'Argentine sont de plus en plus standardisées, avant elles avaient une étiquette bien définie en terme de jeu, il y avait un style bien identifiable, là c'est plus compliqué quand on a beaucoup de joueurs qui sont en Europe et pas forcément dans les plus grands clubs", ajoute Elton Mokolo. 

De son côté, l'Uruguay, troisième nation sud-américaine à avoir remporté une Coupe du monde (en 1930 et 1950) semble en fin de cycle avec un quart de finale en 2018. Enfin, le Chili, double vainqueur de la Copa America en 2015 et 2016, n'a jamais su capitaliser sur sa génération dorée (Vidal, Alexis Sanchez...) comme en témoigne sa non-qualification pour la dernière Coupe du monde. "Le trou entre l'Europe et l'Amérique du Sud a grandi", explique Nicolas Cougot rédacteur en chef de Lucarne Opposée, journal spécialisé dans le football sud-américain "il ya un facteur économique très clair, en terme d'infrastructures, de logistique, d'organisation, liés à une puissance économique que l'Europe a et que l'Amérique du sud n'a pas". 

Derrière Lionel Messi et Neymar, le grand vide

Plus que les résultats en Coupe du monde, la qualité des joueurs sud-américains interroge pour le futur. Si l'Argentine a offert l'un des plus grands joueurs de l'histoire en la personne de Lionel Messi, la relève est à la peine. Paulo Dybala, longtemps annoncé comme la future star de l'Albiceleste, n'a jamais réussi à s'imposer, plombé par les blessures (2 buts en seulement 29 sélections). Il n'a pas été convoqué pour la Copa America. "La composition de l'équipe de l'Argentine pour la Copa America c'est loin du début 2000 où tu avais une constellation de stars, là tu as des joueurs qui sont dans des clubs plus anonymes", analyse Elton Mokolo. 

Le Brésil n'est pas mieux loti et cherche désespérément un nouveau Neymar (29 ans) qui a toutefois encore de belles années devant lui. Comme depuis quelques années, le secteur offensif de la Seleção semble en-deçà des standards habituels avec des joueurs tels que Richarlison, Gabriel Jesus, Gabriel Barbosa et Roberto Firmino. 

Neymar et son coéquipier Richarlison lors de la victoire 4-0 du Brésil face au Pérou le 17 juin dernier.  (CARL DE SOUZA / AFP)

Si Firmino a déjà empilé les buts décisifs avec Liverpool, les trois autres ne semblent pas avoir les épaules pour porter la sélection. Barbosa est rentré au Brésil après son échec à l'Inter Milan. Richarlison n'a pas encore joué une seule rencontre européenne avec Everton. Enfin, Gabriel Jesus a perdu sa place de titulaire à Manchester City. Les prometteurs Vinicius Junior et Rodrygo, recrutés à prix d'or par le Real Madrid, ne possèdent pas encore l'aura de Ronaldo, Ronaldinho ou Neymar à leur âge. 

Selon Nicolas Cougot, c'est le départ précipité des pépites sud-américaines vers le Vieux Continent qui explique cette baisse de niveau : "Il y a un pillage incessant fait par l'Europe, les joueurs partent de plus en plus tôt avec de moins en moins d'expérience sur le continent, de moins en moins de matches avec les clubs sud-américains. On a des jeunes joueurs qui signent partout et nulle part et derrière ce sont les sélections qui trinquent".

Ces trajectoires précipitées tranchent avec celle d'un joueur comme Neymar, qui lui a quitté le Brésil plus mature. "Neymar a pris le temps de grandir au Brésil, il est arrivé très tôt à Santos, il a gagné des matches de championnat, il a remporté une Copa Libertadores, il avait déjà quatre saisons dans les pattes avant de signer au FC Barcelone, il a eu le temps d'avancer dans sa carrière, il a pris le temps de grandir dans son club formateur". 

Le constat d'un manque de renouvellement est le même dans les autres nations sud-américaines. Le duo Cavani-Suarez, 34 ans chacun, qui a fait les beaux jours de la Celeste, touche à sa fin. Derrière, seul Federico Valverde, milieu de 22 ans du Real Madrid, semble avoir la carrure pour devenir un joueur de classe mondiale.

Edinson Cavani donne le bracelet de capitaine à son remplaçant, Luis Suarez, lors de la rencontre de phases de poule face au Paraguay le 28 juin dernier.  (CARL DE SOUZA / AFP)

Le souci est le même en Colombie : parmi les six joueurs de l'effectif ayant joué une rencontre de Ligue des champions cette année, seulement deux ont moins de 30 ans, Luis Diaz, milieu gauche du FC Porto et Wilmar Barrios, milieu du Zenit Saint-Pétersbourg. Enfin, le Chili ne compte qu'un seul joueur ayant participé à la Ligue des champions cette saison, l'inépuisable Arturo Vidal (34 ans). Un élément concret existe pour illustrer cette baisse de niveau : ce sont les résultats des équipes U20 sud-américaines. Ultra-dominatrices pendant 20 ans, avec 8 titres de champion du monde entre 1993 et 2011, les sélections de jeunes sont rentrées dans le rang et depuis 2013, aucune n'a remporté le titre mondial. 

Un déclin global qui se fait sentir lors des habituelles récompenses de fin de saison. Depuis 2017, seul un joueur sud-américain, qui n'est ni Lionel Messi ni Neymar, a terminé dans le top 10 du Ballon d'Or : Alisson, le gardien brésilien de Liverpool en 2019. "On a toujours eu des joueurs qui percent, le problème c'est qu'avant on avait le temps de les voir commencer à grandir, on disait toujours, oui c'est un diamant mais il est pas encore poli, les clubs prenaient le temps de les laisser éclore chez eux. Ce n'est plus le cas et les sélections n'ont aucun contrôle là-dessus", ajoute Nicolas Coujot. 

Une "Copa Corona" sans grand charme

Censée redorer l'image des nations qui y participent, l'édition 2021 de la Copa America se déroule dans des conditions très compliquées, et notamment sur le plan extra-sportif. Les deux organisateurs désignés se sont retirés en raison de la pandémie de Covid-19 pour l'Argentine, d'émeutes et de manifestations politiques pour la Colombie.

Le Brésil a finalement repris le flambeau. Un geste jugé politique, destiné à montrer une forme de "normalité" dans un pays qui enregistre le deuxième plus grand nombre de décès liés au Covid sur son territoire (515 000 morts). Une situation compliquée à gérer pour les équipes : "Certaines sélections passent leur temps à faire des allers-retours entre leur pays et les stades brésiliens, parce qu'ils restent dans leur bulle sanitaire pour s'entrainer" explique Nicolas Cougot

Place désormais aux demi-finales après un premier tour disputé dans des stades vides et des équipes dispersées dans deux groupes de cinq sans réel enjeu (seul le dernier était éliminé) puis des quarts de finale hachés (4 cartons rouges). Charge à deux rencontres alléchantes de réveiller l'intérêt du public : le remake de la finale 2019, Brésil-Pérou, dans la nuit de lundi à mardi et Argentine-Colombie le lendemain. 

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