Reims, le stade de la discorde
Avec 13 377 spectateurs de moyenne par match, le Stade de Reims réalise sa pire saison en la matière depuis sa remontée en Ligue 1 en 2012*. Sur le plan sportif, les Champenois sont pourtant plus performants qu’ils ne l’ont jamais été sur cette période. Pas de quoi attirer la foule dans les 21 000 places du stade Auguste-Delaune. "Il faut se faire à l’idée qu’on n’est pas une terre de foot comme Lens, Saint-Etienne ou Strasbourg", a avancé le président du club, Jean-Pierre Caillot, dans l’Equipe fin décembre. Directeur général du club, Mathieu Lacour a dans la foulée évoqué le souhait de rénover le stade, ou de le quitter pour en bâtir un autre : "L’environnement sociologique et culturel, les attentes ici, nous poussent à réfléchir à toutes les solutions. Sur ce site ou ailleurs. Cela fait partie de nos axes de développement." Une bombe lâchée dans le microcosme rémois. Ensuite ? Silence radio.
Un vrai problème de taille
Depuis, le club refuse tout commentaire, laissant ce sujet brûlant dans les mains de la mairie, propriétaire de l’enceinte. A quelques semaines des élections municipales, la ville se fait elle aussi discrète sur le sujet. Le maire LR, Arnaud Robinet, évoque toutefois un "projet qui consiste à investir dans la rénovation et la restructuration du stade" et des réunions de travail qui visaient à "étudier les conditions juridiques qui pourraient permettre à la ville […] de donner au Stade de Reims des droits à bâtir pour entreprendre ces travaux et des responsabilités élargies en termes d’exploitation". Comprenez : oui, Auguste-Delaune est un problème pour le Stade de Reims. Non, le club ne bâtira pas une autre enceinte. Et par conséquent : oui, sa rénovation est à l’ordre du jour. Et donc des élections municipales.
Car rénover un stade sorti de terre il y a à peine douze ans, cela fait forcément tache. "C’est du gaspillage d’argent et d’énergies" pour Léo Tyburce, candidat EELV à la mairie de Reims, qui poursuit : "Et je vois mal comment une entité privée peut investir dans un lieu public qui ne lui appartient pas. La ville devra forcément payer à un moment." Pour Minox, le président des Ultras rémois, "le stade est trop grand, il a été construit à la va-vite. Malgré nos performances actuelles, on a quoi ? 8000 fidèles ?." Un constat partagé par le club, mais pas par tous dans une métropole de 300 000 habitants, au cœur d’un département de 570 000 têtes, dont le Stade de Reims est le fleuron sportif. Dans l’opposition au conseil municipal lors de la construction, Eric Quenard, candidat PS, relativise le problème de capacité : "A l’époque de la reconstruction, on s’interrogeait sur 35 000 ou 30 000 places. Je pense que 20 000 places pour la métropole, c’est très bien."
Saut générationnel et enclavement
Si Delaune ne fait pas le plein, ce n’est pas seulement à cause de sa taille. D’abord, les trente-trois années passées loin de la Ligue 1 ont éloigné le public local de son club. En d’autres mots, il y a eu "un saut générationnel" pour Minox : "Beaucoup de trentenaires et de quadras n’ont pas connu le club en L1 dans leur jeunesse. Ils s’identifient donc à d’autres équipes." L’emplacement du stade fait aussi débat. A part Monaco, aucun club de Ligue 1 ne dispose d’un stade aussi proche du centre-ville que celui de Reims. Ce qui est une force pour certains, notamment pour les commerçants et pour les supporters qui aiment refaire le match dans les bars et restaurants. Mais ce qui est aussi un calvaire pour les riverains, et pour ceux qui viennent à Delaune en voiture. Et ça, le club l’a bien compris en regrettant publiquement le faible nombre de parkings autour de l’enceinte.
Pourtant accolé à une ancienne autoroute, Auguste-Delaune est paradoxalement mal desservi, enclavé entre cette quatre-voies et un parc, avec un seul arrêt de tramway à proximité. L’idée d’un parking à étage sur le site actuel est avancée par certains, même si les solutions sont ailleurs pour Eric Quenard (PS) : "On pourrait envisager la gratuité des transports en commun les soirs de match, ou l’aménagement de l’ex-autoroute voisine en un boulevard urbain avec des places", imagine le candidat socialiste, presque d’accord sur ce point avec Gérard Chemla, son adversaire En Marche : "Le stade est pour les Rémois mais aussi pour tout les gens du département. Il faut réfléchir à des infrastructures pour rendre ça plus polyvalent et efficace."
Une rénovation à 30 millions d’euros
Pour Minox et les Ultrem , "le parking c’est un prétexte. S‘ils agrandissaient le parking actuel, il y aurait peut-être un peu plus de monde. Le vrai problème, c’est la capacité d’être chez soi dans son stade." Et c’est là tout l’enjeu pour le Stade de Reims. Car au delà de ces critiques, le club veut surtout pouvoir faire de Delaune sa vraie demeure. Et ainsi s'offrir les retombées économiques qui en découlent. Minox abonde : "Le club a raison de rentrer dans ce combat. Ne pas posséder Delaune, c’est un frein au développement. D’autant que personne d’autre ne l’utilise." Dès lors, faut-il vendre l’enceinte au club ? Le socialiste Eric Quenard met toutefois en garde : "Le club a une responsabilité envers la collectivité qui a porté un investissement de 60 millions d’euros pour ce stade, il y a à peine 12 ans. La ville doit tirer profit de cet investissement." Comme ce fut le cas avec l’accueil du mondial féminin en juin 2019.
A l’heure actuelle, le flou demeure autour de cette question. Comment permettre au Stade de Reims de mener les travaux qu’il réclame : par une vente, un bail emphytéotique ou un compromis entre les deux ? Dans tous les cas, un projet de rénovation à 30 millions d’euros serait déjà dans les cartons. Plusieurs réunions ont même eu lieu pour imaginer le Delaune de demain, qui tiendrait en trois axes : une capacité réduite à environ 15 000 places, une tribune populaire debout, et beaucoup plus de loges. Car au pays du champagne, les affaires pétillent dans les salons VIP de Delaune, seule partie du stade à faire systématiquement le plein. Or, ces loges ne représentent que 5% de la capacité totale, ce que le club a bien l’intention de changer.
Football business vs football populaire
Mais ce projet n’est pas du goût de tous. Outre le débat sur la capacité du stade, une rénovation axée sur le business des loges ne ravie pas Léo Tyburce : "Plutôt que d’investir dans les loges pour faire du foot-business, le club ne serait-il pas gagnant à investir dans le football populaire et ainsi attirer plus de gens au stade", interroge, amer, le candidat écologiste. Dans cette partie d’échec où plus aucun joueur n’ose avancer ses pions, une chose est sûre : le Stade de Reims ne devrait pas quitter Auguste-Delaune. Pas plus que l’enceinte ne devrait être vendue au club. "A moins que ce soit le souhait des Rémois, qui seront consultés si je suis élu", promet Gérard Chemla (LREM).
"Le club veut rénover Delaune, mais pas construire un stade", affirme de son côté Minox, catégorique. Il poursuit : "En revanche, s’il devait en arriver là, je ne serai pas choqué. J’ai un attachement historique à Delaune, on n’a pas envie de le quitter. Mais il faut aussi penser à l’intérêt du club, à son développement. C’est compliqué pour le club de payer des travaux dans un stade qui ne lui appartient pas." Et c’est bien là tout l’enjeu de ce poker menteur entre le club et la municipalité. En attendant que la situation évolue, c’est un Auguste-Delaune plein à craquer qui rugira ce soir contre le PSG, pour espérer rejoindre un autre stade de France, à Saint-Denis, en finale de coupe la Ligue, le 4 avril prochain.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.