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Coupe du monde 2019 : la France défie le Brésil, le pays du foot où les femmes ont du mal à se faire une place

L'adversaire de la France, dimanche en 8e de finale du Mondial, n'a pas grand-chose d'une terre promise pour les joueuses de foot, contrairement à leurs homologues masculins.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La meneuse de jeu de l'équipe du Brésil, Marta, est félicitée par ses coéquipières après son but sur penalty face à l'Italie, le 18 juin 2019, au stade du Hainaut de Valenciennes (Nord). (JULIEN MATTIA / NURPHOTO / AFP)

France-Brésil en football, c'était, jusque-là, surtout une histoire d'hommes. Fermez les yeux et vous verrez Zinedine Zidane en embuscade au second poteau glisser le ballon entre les jambes d'un Roberto Carlos interloqué, un joli soir de juillet 1998, au Stade de France.

Mais l'affiche des huitièmes de finale du Mondial féminin oppose une équipe de France à la progression régulière depuis dix ans à des Brésiliennes qui seraient plutôt sur la pente descendante, à l'image de leurs stars Marta (33 ans), Cristiane (34 ans) et Formiga (41 ans). Il faut dire que la relève tarde à éclore dans un pays où devenir joueuse de foot tient du sacerdoce.

Un mois du salaire de Neymar

"Le Brésil, pays du football ? Du football masculin vous voulez dire ?", résume sur le site Roads and Kingdoms Aline Pellegrino, ancienne capitaine des Canarinhas, l'équivalent féminin de la Seleçao. Au dernier pointage, on ne comptait que trois cents footballeuses professionnelles dans le pays, réparties dans seize équipes qui vivotent dans une première division bâtie de bric et de broc. Une fragilité endémique d'un football qui survit grâce aux subsides de la fédération (six millions d'euros par an, une paille par rapport aux 35 à 40 millions dévolus à ces messieurs) et de l'Etat. Souci, le nouveau président d'extrême droite, Jaïr Bolsonaro, a décapité le ministère des Sports et entend tailler dans le vif des crédits qui ne lui paraissent pas indispensables.

Quand Santos décide de conserver Neymar deux ans de plus (en décuplant ses émoluments), le mythique club carioca qui a vu éclore Pelé bazarde l'intégralité de son équipe féminine. "Ce n'était pas sa faute, il a essayé d'obtenir l'argent de ses sponsors. En vain. Le résultat, c'est quand même qu'un mois du salaire de Neymar aurait couvert l'intégralité des coûts liés à l'équipe féminine pendant un an", soupire Caitlin Fisher, activiste, citée sur le site du World Justice Project. Voilà à quoi en sont réduits les clubs féminins : à disparaître, faute de moyens. Prenez le CV de Marta, qui a une collection de trophées de meilleure joueuse du monde sur sa cheminée. Sept des dix clubs où elle a évolué ont mis la clé sous la porte.

Un DTN sexiste, un entraîneur critiqué

Si l'exemple vient d'en haut, il n'est guère encourageant. Le DTN pour le foot féminin "n'y connaît rien", persifle l'éphémère sélectionneuse Emily Lima. Son dernier titre de gloire ? S'être publiquement félicité que "les joueuses ne ressemblent plus à des garçons" grâce à des maillots plus ajustés, des shorts plus courts et des coiffures "qui ressemblent à quelque chose." Un avis pas si isolé dans le pays, de nombreux clubs refusant encore les filles aux cheveux courts ou jugées pas assez féminines.

Le sélectionneur du Brésil, Vadao, lors du match Italie-Brésil, le 18 juin au stade du Hainaut de Valenciennes (Nord). (PIER MARCO TACCA / GETTY IMAGES EUROPE)

Vous comptiez sur le sélectionneur pour rattraper le coup ? Raté. La présence du placide Vadao à un si haut niveau de responsabilités demeure un mystère. Le technicien n'a brillé qu'une poignée de saisons, il y a trente ans, quand il avait la chance de compter le jeune Rivaldo (Ballon d'or 1999) dans son équipe. Tactiquement, c'est faible. L'équipe actuelle évolue dans un 4-4-2 qui a tendance à se déformer en 4-2-4 et la dernière fois qu'une approche aussi suicidaire a payé sur le long terme, Pelé avait encore des crampons aux pieds. Mentalement ? "Je sais gérer les femmes, s'est défendu Vadao dans El Pais Brasil. Je suis marié depuis 38 ans et j'ai une fille. Après, si vous vous mettez à dos les trente joueuses, c'est différent."

Vadao avait pourtant été remercié en 2016 pour laisser place à Emily Lima, à l'approche plus novatrice et qui avait jeté les fondations d'un plan de jeu ambitieux. Une année en demi-teinte plus tard, on lui montrait la porte pour remettre ce bon vieux Vadao sur le banc. "Pourquoi n'a-t-elle pas eu plus de temps ?", s'insurgeait l'attaquante vedette Cristiane dans une vidéo furibarde. Parce que c'est une femme ?" Une lettre ouverte et une menace de grève des cadres de l'équipe plus tard et la fédération mettait en place une commission sur la féminisation du football brésilien. Deux mois après la remise d'un rapport préliminaire, ladite commission était dissoute sans autre forme de procès.

Chronique de la galère ordinaire

Le quotidien des joueuses brésiliennes, ce sont les questions insidieuses sur leur sexualité (100% des joueuses interrogées par l'EFDeportes affirment avoir dû répondre à des questions sur ce thème), les agressions verbales (89%), les agressions physiques (77%) et le rejet de la famille (55%). Comme le résume la gardienne remplaçante de l'équipe, Aline : "Jouer au foot en étant une femme, c'est se placer dans le camp des minorités." Et de la pauvreté, omniprésente. On sourit devant le récit des débuts de Cristiane, qui jouait au foot matin, midi et soir, dans la rue ou avec ses poupées, en bâclant la vaisselle, en postant une amie au coin de la rue pour faire le guet quand sa mère rentrait du travail. "Mais j'étais toujours trahie par mes pieds, qui étaient couverts de poussière", confie-t-elle au site américain The Equalizer. Mais combien de ces femmes ont réussi à sortir de leur favela ?

L'attaquante brésilienne Cristiane lors du match Brésil-Australie au stade de la Mosson de Montpellier (Hérault), le 13 juin 2019. (ELSA / GETTY IMAGES EUROPE)

Signe qu'il y a encore pas mal de boulot, l'Etat de l'Alagoas, dans le nord-est du pays, essaie de faire rebaptiser le stade de Maceio, sa capitale, au nom de la "reine Marta", l'enfant du pays. Ce qui a entraîné une levée de boucliers, indique le site NSC Total. Car cela entraînerait la disparition du nom de Pelé, dont c'est le seul stade à la gloire dans le pays. Même si l'intéressé s'est dit favorable au changement de nom, les mentalités ont du mal à évoluer.

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