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"Je ne gagne pas assez avec le foot" : c'est du sport d'être joueuse de haut niveau en France

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
L'entraîneur de l'équipe féminine du LOSC Rachel Saïdi en discussion avec sa joueuse Marine Dafeur lors du match de D1 contre Guingamp le 16 mars 2019. (MAXPPP)

Le Mondial, qui se déroule en France, est la vitrine du football féminin depuis le 7 juin. Mais la pratique du foot au haut niveau relève plus du parcours de la combattante, à des années-lumières de ce que connaissent les joueurs masculins de l'élite.

A quelques jours de leur match d'ouverture de la Coupe du monde féminine, les joueuses de Corinne Diacre, qui se préparaient à Clairefontaine, ont dû laisser leur place aux hommes de Didier Deschamps avant leur match amical contre la Bolivie (2-1). La situation a suscité une polémique qu'ont tenté d'éteindre les deux sélectionneurs. Mais elle envoie un message "terrible"pour la sociologue Marie-Cécile Naves : "Le foot des femmes, c'est un sous-foot."

Cette péripétie dans la préparation est une ligne supplémentaire dans le long chapitre des différences entre football masculin et féminin. Les Bleues n'en prennent pas ombrage pour autant, trop contentes de bénéficier des infrastructures dernier cri de Clairefontaine. Un vrai plus par rapport à leur quotidien en club. Car derrière l'Olympique lyonnais, le club locomotive du championnat, se cache une forêt de joueuses vivant leur passion à fond, malgré de nombreux obstacles.

"Etre joueuse de Division 1 demande énormément de sacrifices, affirme Rachel Saïdi, joueuse lilloise devenue entraîneuse de l'équipe première en cours de saison. Il faut être armée psychologiquement pour jouer à ce niveau."

Obligées de travailler à côté

L'élite compte un peu plus de 300 joueuses, d'après Footofeminin.fr, le site de référence de la discipline en France. Parmi elles, 174 ont signé un contrat fédéral, rapporte l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), et ne vivent que de leur passion. "La joueuse fédérale est une salariée occupant un emploi dans le secteur du football", décrit la FFF. "Ce statut dépend de la convention collective nationale du sport, il est plus flou et moins spécifique que le statut professionnel d'un joueur masculin de Ligue 1", explique Fabien Safanjon, vice-président de l'UNFP en charge du football féminin, contacté par franceinfo.

Les conditions de travail de cette élite féminine sont toujours à des années-lumières de celle des hommes. Sollicitée par franceinfo, la Fédération française de football affirme que le salaire mensuel moyen d'une footballeuse professionnelle en France est de 2 494 euros brut – à titre de comparaison, un joueur de Ligue 1 touche en moyenne 73 000 euros par mois. A l'Olympique lyonnais et au Paris Saint-Germain, les deux principaux clubs du championnat de France, les salaires des joueuses grimpent et peuvent atteindre l'équivalent de la rémunération d'un joueur de Ligue 2. A Montpellier, qui a terminé troisième de Division 1, les salaires oscillent entre 2 500 et 6 000 euros brut par mois, révèle une source au sein du club. 

"Les différences de salaire et de prime avec les hommes restent abyssales, confirme Laurence Prudhomme-Poncet, auteure de L'Histoire du football féminin au XXe siècle (éd. L'Harmattan). Le football au féminin demeure essentiellement une pratique amateure ce qui contraint la plupart des joueuses à concilier pratique sportive et vie professionnelle y compris à haut niveau."

Les femmes ne sont qu’une poignée à pouvoir vivre décemment du football.

Laurence Prudhomme-Poncet

à franceinfo

Si dans l'Hérault, toutes les joueuses ont un contrat fédéral, dans les autres clubs moins huppés, avoir une activité professionnelle est un choix doublé d'une obligation. Peintre en bâtiment, professeure de sport ou encore étudiantes, les exemples de "doubles vies" sont légion. "C'est un choix, car les contrats chez les filles sont précaires", assure Ophélie Cuynet, joueuse à Dijon et également professeure d'EPS dans un collège de la ville.

Je ne gagne pas assez avec le football, et puis j'ai 26 ans, je veux une situation stable car ma carrière ne va pas durer.

Ophélie Cuynet

à franceinfo

Sa coéquipière Laura Bouillot, qui a commencé sa carrière à 17 ans, cumule les activités de footballeuse et de peintre en bâtiment. "J'ai toujours travaillé, j'ai commencé mon apprentissage et j'ai trouvé un CDI parallèlement à ma carrière. Je ne me suis jamais posée la question de choisir l'un plutôt que l'autre", précise-t-elle. Céline Chatelain, joueuse au Football Club Fleury 91 dans l'Essonne, travaille dans le domaine de la sécurité et n'a "jamais joué pour l'argent". A 33 ans, l'idée d'abandonner son travail pour se consacrer au foot ne l'a jamais effleurée. Même chose pour Rachel Saïdi qui, lors des onze années passées à naviguer entre D1 et D2, n'a jamais pu vivre du football.

Je n'ai jamais touché plus de 300 euros par mois grâce au ballon rond durant ma carrière, je n'avais aucun intérêt financier à jouer au haut niveau.

Rachel Saïdi

à franceinfo

A Metz, au sein de la section féminine, Christy Gavory, 21 ans, possède un contrat apprenti et mène des études en BTS management des unités commerciales. Elle ne néglige aucune de ses deux activités. "Je ne privilégie pas les études au foot, mais la carrière d'une footballeuse n'est pas assurée, il faut préparer l'après", souffle-t-elle.

Des semaines bien remplies

Lena Jouan, 22 ans, évolue aussi à Fleury et suit un master pour devenir professeure des écoles. Elle aussi joue sur les deux tableaux depuis le lycée. Elle a su dribbler les écueils jusqu'ici, même si la dernière année a été compliquée. Ses études l'accaparaient durant une bonne partie de la journée, "je devais ensuite enchaîner avec l'entraînement", raconte-t-elle. Au départ, les séances se tenaient à Fleury, à 10 minutes de l'université d'Evry (Essonne). Mais leur délocalisation à Ballainvilliers, à une demi-heure de la faculté, l'a obligé à manquer certains entraînements ou à partir avant la fin des cours. Un casse-tête. "Chaque dimanche soir, j'envoyais le planning de ma semaine à mon entraîneur. J'essayais d'assister à trois entraînements par semaine", explique-t-elle. Cette situation la pousse aujourd'hui à réfléchir à mettre sa carrière de footballeuse entre parenthèses pour finir ses études.

Tu fais quoi après ta carrière si tu n'as pas de diplôme ? Pour moi, c'est impossible de ne pas être diplômée.

Lena Jouan

à franceinfo

Pour celles qui ont un emploi, les contraintes sont les mêmes. Laura Bouillot travaille 40 heures par semaine. Et quand elle range sa tenue de travail à 17 heures, elle enfile les crampons pour se rendre à l'entraînement une heure plus tard. "C'est du non-stop ! Il y a des semaines où c'est difficile", souffle-t-elle. Mais "la passion du ballon rond prend toujours le dessus"

Durant l'hiver, c'est dur. L'entraînement n'est pas une corvée, mais il y a des soirs où c'est plus compliqué que d'autres.

Ophélie Cuynet

à franceinfo

Ophélie Cuynet se lève parfois à 6h45 pour aller travailler. "Quand je dis ça à mes coéquipières, elle me regarde avec des yeux...", sourit-elle. Une vie bien remplie pour 2 500 euros par mois (700 euros avec le foot et 1 800 euros en tant qu'enseignante), une rémunération qui lui permet de "bien vivre".

Pas de repos pour les braves

Mais cette double vie force aux concessions. Lors de matchs à l'extérieur le week-end, les joueuses qui travaillent sont parfois contraintes de poser des jours de congé pour accompagner l'équipe. "Quand on joue à Bordeaux, on part le vendredi matin, explique Ophélie Cuynet. Heureusement, ma cheffe d'établissement est compréhensive et me donne mes vendredis après-midi." Laura Bouillot bénéficie aussi de la mansuétude de son patron, qui "adore le foot". "Il me donne mon vendredi, assure-t-elle, mais je perds de l'argent."

Les vacances sont une autre source de sacrifice. Et là où ses coéquipières ayant un contrat fédéral vont pouvoir souffler, la peintre en bâtiment, elle, devra faire un choix :

Mon entreprise ferme du 21 juillet à la première quinzaine d'août, il serait légitime que je veuille couper un peu, mais cela m'handicape car je raterai la préparation physique d'avant-saison.

Laura Bouillot

à franceinfo

Charlotte Fernandes, elle, n'a plus à choisir entre le ballon rond et son métier. La saison dernière, la latérale de Fleury jonglait entre son poste de secrétaire au club de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), les entraînements avec le FCF91 et ses deux enfants. "L'année dernière, je me levais tôt pour déposer les petits à l'école, puis je me rendais au travail. A midi, j'allais à la séance de musculation, je retournais au travail à 13h30 jusqu'à 16h30, heure à laquelle j'allais chercher les enfants", décrit-elle. Elle prenait ensuite le chemin de l'entraînement à 19h30.

Mais cette saison, elle a obtenu un premier contrat professionnel, avec un salaire compris entre 1 500 et 3 000 euros par mois, et ça change tout. "J'ai le temps de prendre un petit-déjeuner, de faire une sieste, je mange mieux", estime-t-elle. Et sur le terrain ? Là aussi, la différence est visible. "Avant j'étais souvent remplacée en cours de match, je terminais 'cramée'. Cette année, c'est nettement mieux et j'ai participé à 100% des rencontres", se réjouit la Francilienne.

Des heures et des heures sur la route

Celles qui ne sont pas footballeuses à plein temps, et manquent un ou deux entraînements par semaine, se heurtent à un plafond, celui du haut-niveau et de l'exigence qui l'accompagne. "La joueuse qui n'assiste pas à toutes les séances ne peut pas jouer régulièrement en D1", acquiesce Rachel Saïdi, la coach de Lille. Ainsi, Céline Chatelain, la milieu de terrain du FCF91, sort parfois frustrée de ses week-ends : "On fait des concessions dans nos vies pour jouer au foot au plus haut niveau, mais quand on ne rentre pas sur le terrain, c'est assez dur." 

D'autant plus dur qu'il faut parfois traverser la France, encaisser de longs trajets en mini-bus pour jouer un match de D1. Tous les clubs n'ont pas les moyens de l'OL ou du PSG. "Quand il faut faire dix heures de mini-bus pour jouer à Guingamp... Il faut des conditions pour être performantes, lance Lindsey Thomas, joueuse à Dijon. Au-delà de trois heures, il faudrait trouver d'autres moyens de transport."

L'amélioration des conditions de vie des footballeuses est un combat qui reste d'actualité. Mais toutes les joueuses interrogées rêvent de meilleurs lendemains. "La pratique évolue énormément et d'ici quelques années, j'espère qu'il n'existera plus de filles comme moi", appelle de ses vœux Ophélie Cuynet.

J'espère que les futures générations pourront vivre grassement, sans forcément avoir le salaire des garçons.

Laura Bouillot

à franceinfo

Elles comptent sur la Coupe du monde féminine de football et un bon parcours de l'équipe de France. Un titre "générerait un engouement terrible", selon Fabien Safanjon. "Cela créerait une émulation, on s'identifierait à notre équipe de France, détaille-t-il. Qu'est-ce qui permet de développer la pratique de masse ? C'est l'icône, la référence, ce sont les résultats qui donnent l'élan."

Un bon parcours des Bleues peut contribuer à augmenter la visibilité du football pratiqué par les femmes car seule une équipe féminine performante peut intéresser les médias.

Laurence Prudhomme-Poncet

à franceinfo

"Il peut amener aussi davantage de jeunes filles à oser le premier pas vers le foot", poursuit l'historienne du sport. Le rétrécissement du fossé avec les garçons passe par là. 

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