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Mondial féminin 2019 : pourquoi sépare-t-on les filles des garçons à l'âge de 15 ans dans le foot en France ?

C'est une règle imposée par la Fédération française de football à laquelle personne n'échappe, qu'on s'appelle Amandine Henry ou Emma Dupont. 

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une équipe de football composée de filles et de garçons, à Fleury-Mérogis (Essonne), le 20 mai 2019. (FRANCK FIFE / AFP)

Quand Maëlys a commencé à taper dans le ballon à 8 ans, c'était avec les garçons. Tout se passait bien jusqu'à ce que certains commencent à lui faire comprendre que "ça allait peut-être poser problème un jour". "Je n'osais même pas penser que j'allais devoir arrêter, explique la lycéenne aujourd'hui âgée de 17 ans. Mais c'était une possibilité." L'actuelle capitaine de l'équipe féminine de l'AS Beaune (Côte-d'Or) aurait pu se retrouver sur la touche à l'époque, parce que la Fédération française de football n'autorise les filles et les garçons à jouer ensemble que jusqu'à l'âge de 15 ans, voire 16 "dans certains cas", mais pas après.

Et c'est pour tout le monde pareil : Gaëtane Thiney, l'actuelle milieu offensive des Bleues engagée dans la Coupe du monde féminine, a par exemple été contrainte de dire au revoir à ses copains de l'ASS Brienne-le-Château (Aube) à l'adolescence. "J'ai pris conscience vers 14 ans de l'existence d'un football féminin, lorsqu'on m'a signifié que je n'avais plus le droit de jouer avec les garçons du club", raconte-t-elle dans une interview à la revue Informations sociales. Sa capitaine Amandine Henry n'y a pas coupé non plus : après une saison de rab avec les garçons de l'Iris Lambersart (Nord), la milieu de terrain a bel et bien dû rejoindre la section féminine du voisin Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) l'année suivante.

Puberté et différences athlétiques

Cette règle de la "mixité", qui figure dans l'article 155 des règlements généraux de la FFF, s'appuie essentiellement sur des critères physiques. A partir de cet âge-là, "les différences athlétiques entre filles et garçons sont trop marquées", explique à franceinfo Jean Lapeyre, le directeur général adjoint de la Fédération.

Dans le football, les différences dans la vitesse de course et dans la puissance de frappe commencent à être visibles à cet âge-là.

Jean Lapeyre, de la FFF

à franceinfo

Vraiment ? "Oui, vraiment, acquiesce la sociologue Christine Mennesson, spécialiste de la construction du genre dans le monde sportif. C'est clair que la puberté est un moment particulier dans le développement des corps. Quand on regarde les études et les travaux en physiologie, c'est à cette période de la vie que le développement de la puissance musculaire commence à être significativement plus important chez les garçons que chez les filles."

"Un gâchis"

Mais dans le milieu, cette règle de la fin de mixité ne fait pas toujours l'unanimité. Les clubs amateurs que franceinfo a contactés ne la comprennent pas forcément. "Elle induit que tout le monde dispose des structures et du nombre de candidates suffisantes pour monter une équipe féminine, soupire un dirigeant dans la région nantaise. Mais on a déjà du mal parfois à boucler une équipe masculine ! Résultat, dans les petites communes, certaines joueuses arrêtent de taper dans la balle une fois l'âge limite atteint."

Comme elles ne trouvent pas de club, les filles abandonnent, alors qu'elles sont parfois meilleures que les garçons.

Un entraîneur près de Nantes

à franceinfo

C'est en voyant ce "gâchis" qu'Anthony Morlot, entraîneur à l'AS Beaune, a décidé de prendre les choses en main. "J'ai profité de mon rôle de surveillant de collège pour convaincre les filles de venir jouer. Je voyais bien dans la cour de récré qu'il y avait de la demande", explique le coach. En 2015, il crée une section féminine au sein du club. "Ça a été un soulagement pour beaucoup de joueuses et leurs parents, savoure-t-il. Avant, celles qui souhaitaient continuer à jouer devaient faire vingt ou trente bornes pour trouver un club prêt à les accueillir. Là, elles jouent à domicile." Quatre ans après, l'AS Beaune compte une trentaine de joueuses parmi ses licenciés.

"Une représentation très ancienne du sport"

"Le fait qu'il y ait une interdiction absolue de mélanger les sexes me dérange, soupire la sociologue Christine Mennesson, qui a fait de la socialisation des filles et des garçons sa spécialité. J'entends dans la bouche de certains que le vestiaire ne serait pas gérable en mélangeant garçons et filles à cet âge-là. Je crois que c'est une fausse raison ! Dans tous les clubs, il y a possibilité de trouver une solution pour que les filles se changent confortablement."

Quand elle était en section foot du collège Marouzeau à Guéret (Creuse), dans les années 1980, l'actuelle sélectionneuse des Bleus Corinne Diacre avait par exemple l'habitude d'enfiler ses crampons et son short dans le vestiaire des arbitres. "Je restais devant la porte pour que personne ne la voie, confie à franceinfo son entraîneur de l'époque, Gérard Fontenay. Ça n'avait pas l'air de l'embêter, mais moi je la trouvais courageuse."

Corinne Diacre en classe de troisième au collège Jules- Marouzeau de Guéret (Creuse), en 1988. (JACQUES AGIS)

La pédopsychiatre Marie Rose Moro a également deux ou trois choses à redire sur "cette règle de la fin de mixité qui n'a pas vraiment lieu d'être". "On nous explique que c'est une manière de protéger les filles, mais en réalité cela correspond davantage à une représentation très ancienne du sport", analyse la spécialiste.

A l'école, filles et garçons suivent les cours d'EPS ensemble, et personne ne dit que c'est mal.

Marie Rose Moro, pédopsychiatre

à franceinfo

Rétrograde, le foot français ? Pour en avoir le cœur net, franceinfo a demandé aux fédérations des autres principaux sports collectifs en France d'expliquer leur propre fonctionnement. Au rugby, "les entraînements ne sont mixtes qu'en école de rugby, jusqu'en catégorie U14, explique la FFR. Donc à 14 ans, filles et garçons sont séparés." En handball, "il n'y a pas de règle écrite, c'est en fonction du niveau que la séparation se fait". Au basket, "à quelques rares exceptions", garçons et filles sont séparés à partir de 12 ans.

"On va dans le bon sens"

Aujourd'hui à la tête de la section féminine du centre de formation de l'Olympique lyonnais, Sonia Bompastor ne voit, elle aussi, pas que du bon dans cette règle. "Il faut davantage de souplesse si on ne veut pas arriver à des situations qui vont contre l'éthique et l'essor du football féminin", souligne l'ancienne internationale tricolore dans les colonnes de Ouest-France.

Les choses commencent malgré tout à bouger. A la mi-juin, la FFF a décidé d'allonger d'un an sa règle sur la mixité. "A partir de la saison prochaine, filles et garçons pourront jouer ensemble jusqu'à 16 ans, se félicite Jean Lapeyre, le directeur général adjoint de la Fédération. On va aussi dans le bon sens en autorisant les équipes féminines U15 à participer à des épreuves régionales ou départementales contre des garçons." Aujourd'hui, selon les chiffres que la FFF a fournis à franceinfo, 3 100 des 14 770 clubs amateurs disposent d'une section féminine en France.

Au fil des ans, de moins en moins de joueuses vont se retrouver sur le carreau, tant cela se développe vite.

Jean Lapeyre, de la FFF

à franceinfo

Voilà qui va ravir les U15 féminines du FC Nantes, qui ont beaucoup fait parler d'elles ces derniers mois. Il faut dire qu'elles se baladaient tellement en championnat départemental féminin (24-1, 31-0 et même 40-0 !) qu'elles avaient exceptionnellement fini par être autorisées à affronter des garçons… lors de matchs amicaux, qu'elles ont parfois remportés.

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