Coupe du monde : non, le Brésil n'a pas écrit, contre l'Allemagne, la pire page de son histoire footballistique
L'humiliation subie en demi-finale par la Seleçao n'est rien à côté du "Maracanazo" de 1950, qui continue de hanter les mémoires.
"Massacre", "humiliation historique", "la plus grande honte de l'histoire"... La presse brésilienne n'a pas pris de gants pour qualifier la correction (1-7) infligée par l'Allemagne au Brésil, mardi 8 juillet, en demi-finale de la Coupe du monde.
Mais, malgré son ampleur, et toute dramatique qu'elle soit, cette déroute ne risque pas de hanter les supporters auriverde pendant des décennies. "Nous savions que nous avions une équipe avec plusieurs failles et que, peut-être, nous n'irions pas en finale", explique ainsi Michel Castellar, journaliste au quotidien sportif brésilien Lance.
Un état d'esprit bien différent de celui qui régnait dans le pays en juillet 1950, lorsque le Brésil a vu lui échapper un premier sacre mondial, qui lui tendait les bras. Récit d'une journée qui continue de donner des sueurs froides à tout un peuple.
Un parcours sans fausse note
Impossible de trouver une place dans le stade Maracana de Rio, ce dimanche 16 juillet 1950. 200 000 personnes se tassent dans l'enceinte, prévue pour accueillir 174 000 spectateurs. Tous veulent assister au dernier match de la Coupe du monde, organisée pour la première fois au Brésil, et qui oppose leur équipe à l'Uruguay.
Le format du tournoi est alors bien différent de ce que nous connaissons aujourd'hui. Le vainqueur est désigné au terme d'une phase de poules qui oppose les meilleures équipes du tour préliminaire, lui-même disputé sous forme de groupes. La Seleçao aborde cette dernière rencontre dans la peau du grandissime favori : lors du tour final, les hommes du sélectionneur Flavio Costa ont déployé un jeu offensif qui leur a permis d'étriller la Suède 7-1, et l'Espagne 6-1. Un nul leur suffit contre leur dernier adversaire, le modeste voisin uruguayen, pour remporter leur première Coupe du monde.
"Voici les champions du monde !"
Le matin de cette finale qui ne dit pas son nom, un quotidien met à sa une une photo de l'équipe barrée du titre "Voici les champions du monde !". A quelques minutes du coup d'envoi, prévu à 15 heures, le maire de Rio se permet même une ultime hardiesse, racontée par l'ancien correspondant du Guardian au Brésil dans son livre Futebol.
L'édile s'empare du micro, et se tourne vers les joueurs, vêtus d'un maillot et d'un short blanc. "Vous serez dans quelques heures salués comme des champions par des millions de vos compatriotes ! Vous, qui n'avez aucun rival dans cet hémisphère ! Vous, qui dominez n'importe quel adversaire ! Vous, que je salue déjà en tant que vainqueurs !", lance-t-il devant une foule chauffée à blanc.
"Notre Hiroshima"
La suite, rapportée par le Wall Street Journal (en anglais), semble être écrite d'avance : après avoir ouvert le score au retour des vestiaires, le Brésil se fait rejoindre à la 66e minute de jeu. A la 79e, l'ailier uruguayen Alcides Ghiggia déboule sur le côté droit. Son coéquipier, l'avant-centre Oscar Miguez, pénètre dans la surface brésilienne. "Passe-la-moi, allez !" Ghiggia ne l'écoute pas. Il tire, trompe le gardien qui avait anticipé un centre, et plonge le Maracana dans un silence de cathédrale. L'Uruguay est sacré champion du monde.
L'écrivain brésilien Nelson Rodrigues, cité par Les cahiers du football, décrira ce "Maracanazo" ("le choc du Maracana") en des termes lourds de sens : "Chaque pays a son irrémédiable catastrophe nationale, son Hiroshima. La nôtre, notre Hiroshima, est cette défaite face à l’Uruguay en 1950."
"Celui qui a fait pleurer le pays tout entier"
Aux yeux de l'opinion publique brésilienne, le coupable de cette sensationnelle débâcle est tout trouvé : il s'agit du gardien de but Moacir Barbosa, pourtant élu meilleur portier de la compétition par les journalistes, rapporte So Foot. Soumis à la vindicte populaire, il alla même jusqu'à brûler dans son jardin le bois des poteaux des buts du Maracana en 1963, dans une pathétique tentative de chasser de sa vie ce maudit deuxième but qui coûta le sacre à son équipe.
Sans succès. En 1970, alors que le Brésil de Pelé remporte le Mondial pour la troisième fois, une mère de famille reconnaît Barbosa à la sortie d'un supermarché. "Regarde, mon fils. C'est celui qui a fait pleurer le pays tout entier". Vingt-quatre ans plus tard, alors qu'il se rend à Teresopolis pour saluer les joueurs de la Seleçao qui préparent la Coupe du monde aux Etats-Unis, il se fait fermement éconduire par la sécurité, qui veut éviter de porter la poisse aux Auriverde.
"Je paie depuis 43 ans pour un crime que je n'ai pas commis"
"Au Brésil, la peine maximale pour un crime est de 30 ans. Moi, je paie depuis plus de 43 ans pour un crime que je n’ai pas commis", déclare-t-il alors à des journalistes, selon des propos rapportés par Eurosport. Le site internet, comme celui des Cahiers du football, émet l'hypothèse que cette mise au ban populaire et médiatique était en fait liée à sa couleur de peau. Il faudra en effet attendre 1999 pour revoir un joueur noir garder les cages de la Seleçao.
Signe que le Brésil a tout fait pour conjurer le sort du "Maracanazo", l'équipe a troqué la tunique blanche portée jusqu'à ce 16 juillet 1950 pour un maillot jaune et vert, devenu depuis son symbole, rapporte la BBC (article en anglais). Une décision radicale qui ne devrait sans doute pas se reproduire après la déroute de David Luiz et ses coéquipiers.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.