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Coupe du monde 2018 : pouvez-vous vous faire virer si vous suivez France-Uruguay au travail ?

Certains matchs se déroulent à l'heure où de nombreux fans de foot seront au travail. 

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des journalistes de l'AFP regardent un match entre le Japon et le Cameroun lors de la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud, le 14 juin 2010 à Paris. (FRED DUFOUR / AFP)

Cet article a été publié une première fois au début de la compétition.


Le quart de finale France-Uruguay commence à 16 heures… Si vous comptiez regarder les matchs du Mondial confortablement installé dans votre canapé à l'heure du dîner, vous avez peut-être oublié quelques détails : le léger décalage horaire avec la Russie – où se tient la compétition – et les desiderata des diffuseurs de la compétition ! Si certains matchs débuteront bien à 20 heures (heure française), de nombreux autres débuteront en revanche à 17 heures, 16 heures, 14 heures et même midi. Autrement dit, à l'heure où vous serez peut-être au travail...

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Thibault*, 26 ans, cogite déjà. "Il faut vraiment que je trouve un stratagème", confie ce surveillant dans un collège des Hauts-de-France. Jeudi 21, pour le deuxième match des Bleus, il sera devant l'établissement, en train de surveiller la sortie des élèves. "À part prendre un abonnement beIN Sport Connect, je n’ai pas encore d’idée, mais même avec un abonnement, ce sera très compliqué de pouvoir surveiller efficacement les élèves et suivre les matchs sur mon portable", poursuit le jeune homme. A défaut, il se rabattra sur une application pour suivre l'évolution du score en direct.

"C'est une faute"

Lucas*, 30 ans, a plus de chance. Chargé de projet dans une entreprise parisienne, il dispose d'un bureau personnel. "Je mettrai le match sur mon téléphone portable avec le son et ne regarderai que les moments intéressants – buts, actions – grâce aux commentaires", expose-t-il. Une technique "pas scandaleuse puisque je ne me cache pas pour regarder les matchs en entier mais uniquement des temps forts", se convainc le trentenaire. Par précaution, il n'utilisera pas le wifi de l'entreprise mais son forfait mobile. "J'ai peur qu'ils puissent plus ou moins repérer le truc", confie-t-il.

Lucas a raison de se méfier. Sur le sujet, le Code du travail est très clair. "Si vous regardez un match de football sur votre téléphone ou votre ordinateur, c'est une faute", explique Nathalie Lailler, avocate au barreau de Caen et spécialiste du droit du travail. L'article L3121-1 rappelle que "la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles". Même les cadres, libres d'organiser leur travail, sont concernés. "Cette liberté est en rapport avec le travail. Elle n'enlève rien au fait fautif de se distraire sur son temps de travail", rappelle l'avocate.

"Tout est une question de proportionnalité"

Voilà pour le principe. Dans la pratique, "tout va être une question de proportionnalité, décrypte Nathalie Lailler. S'il y a eu des précédents avec ce salarié, qui regarde son compte Facebook, fait ses courses en ligne au bureau et qui, en plus, après avoir regardé Roland-Garros, regarde la Coupe du monde, la coupe va être pleine, si j'ose dire." Le climat social de l'entreprise compte également dans l'appréciation de ce petit écart footballistique. "Pourquoi ne pas profiter d'un match pour organiser un moment convivial autour du foot ?" propose la juriste. Un moyen d'éviter un "absentéisme incontrôlé" et une chute de productivité.

L'entreprise informatique strasbourgeoise où travaille Dorian*, 19 ans, l'a bien compris. "Les matchs seront diffusés dans le café. C'est un étage entièrement dédié au repos où l'on peut dormir, travailler sur des canapés, manger", détaille le jeune informaticien. Il compte bien poser son ordinateur portable devant la télévision, prêt à reprendre le travail si on le sollicite. Après quelques hésitations, son employeur a toutefois préféré interdire les bières et autres alcools.

C'est une idée de l'entreprise qui est toujours à la recherche du bien-être des salariés.

Dorian

à franceinfo

Un vigile licencié en 2014

Toutes les entreprises ne sont pas si conciliantes. Le 4 juillet 2014, le quart de finale de Coupe du monde perdu de la France contre l'Allemagne n'a pas seulement brisé les rêves des Bleus. Il a mis Christian, 39 ans, et Daniel, 50 ans, au chômage. Les deux hommes travaillaient au service sécurité du supermarché Auchan de Châtellerault (Vienne). "Il y avait eu beaucoup de pub dans le magasin autour de ce match, avec des loteries, les caissières grimées en bleu-blanc-rouge et des annonces à l'accueil sur l'évolution du score", resitue Daniel, pas du tout fan de football.

Christian, son subordonné, lui demande s'il peut braquer l'une des caméras de surveillance du PC sécurité sur une télévision qui diffuse le match dans le magasin. "Il n'y avait pas beaucoup de monde. Je l'ai laissé faire, c'était un grand fan de football. Mais on a continué à fonctionner comme d'habitude. Il n'y avait qu'une seule caméra détournée sur une soixantaine", poursuit cet ancien gendarme, qui se souvient que, dans sa caserne, "il y avait toujours la télé allumée sur le foot ou le tennis". "Je n'ai pas arrêté de travailler, c'était pour voir au fur et à mesure le résultat, en jetant un coup d'œil de temps en temps", témoigne Christian.

Tout le magasin regardait ce match. Je ne pensais pas qu'il y aurait des conséquences.

Christian

à franceinfo

Le lendemain, les deux hommes sont convoqués par leur hiérarchie. Leur supérieur a rembobiné les bandes de surveillance et vu que la caméra avait été détournée. "Ils m'ont mis à pied, je suis rentré chez moi et je ne suis plus revenu", se souvient Daniel, licencié pour faute grave dans la foulée. Protégé par son statut syndical, Christian ne quitte l'entreprise qu'en février 2015, après plusieurs mois compliqués. "On m'a fait payer ça en me mettant au poste debout, à l'entrée, plus de vidéos", raconte-t-il. Aujourd'hui, Christian est salarié dans une usine. "Il n'y a pas de télévision, je ne risque pas de recommencer", plaisante-t-il. Cette année, s'il travaille pendant les matchs de l'équipe de France, il les regardera en replay.

* Les prénoms ont été modifiés.

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