Cet article date de plus de dix ans.

Coupe du monde : j'ai vécu France-Suisse au séminaire des Carmes

Pendant la Coupe du monde, la France compte 60 millions de supporters. Même ceux qui ont fait le choix de consacrer leur vie à Dieu.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'entrée de l'Institut catholique de Paris, en décembre 2007. (MAXPPP)

Comment se passe une soirée foot au séminaire des Carmes, situé en plein Paris, dans les locaux de l'Institut catholique ? Le catholicisme est-il soluble dans le football et la bière ? Suivez le guide à l'occasion de France-Suisse, vendredi 20 juin.

Avant-match

Dans la grande salle du réfectoire du séminaire, presque déserte, vacances scolaires oblige, huit séminaristes partagent le repas du soir, servi à 19h05 précises.

Ambiance short et sandales pour les séminaristes, qui ont fini leur année scolaire - certains ont même eu leur bac, le baccalauréat canonique, délivré après cinq ans de séminaire - mais profitent du calme de l'endroit.

Adalbert, séminariste supporter du Cameroun, ressasse la correction reçue par les Lions Indomptables la veille contre la Croatie (0-4). "Ce genre de défaite reflète l'état non pas seulement de l'équipe, mais d'un pays. Comme Knysna pour l'équipe de France il y a quatre ans." 

Feuille de match

Cinq séminaristes assistent à la rencontre. Une dizaine de bières aussi. Andreas, un séminariste suisse, brille par son absence. Après coup, on peut se dire qu'il a bien fait de ne pas venir. Manque aussi à l'appel Pierre, l'entraîneur de l'équipe du séminaire des Carmes, qui a brillamment terminé finaliste du tournoi inter-séminaires. Ce supporter du PSG voit le match avec des amis avant d'entamer une retraite d'un mois dans un monastère trappiste - sept offices par jour, première prière à 3h30. Sa Coupe du monde est terminée, mais c'est lui qui l'a voulu. "Pas de télé, pas de résultats pendant un mois. Je ne prendrai pas mon téléphone. Tant pis. Ça me fera un pincement au cœur. Mais je préfère faire une retraite qu'être dans un stade."

Terrain

L'une des deux salles télé du séminaire dispose d'un home cinema. Sur des étagères, une impressionnante collection de DVDs. Seule référence (lointaine) à la religion, la célèbre photo des Tontons Flingueurs avec Lino Ventura et Bernard Blier agenouillés sur les bancs d'une église, à la fin du film. Ludovic, un non-footeux qui a suivi le mouvement pour assister au match, lâche : "si je voulais regarder un film, je serais prioritaire, vous seriez obligés de bouger dans la petite salle." Cinéma 1 - foot 0. Heureusement, il ne met pas sa menace à exécution.

Causerie du coach

Match

Cinquième minute : la tête du défenseur suisse Steve von Bergen fait connaissance avec le pied d'Olivier Giroud. Von Bergen sort, fracture de la pommette. "Il nous arrive de prier sur le foot, explique Jean-Louis, séminariste en short pour l'occasion. Mais on prie pour les joueurs, souvent délaissés, pas pour le résultat d'un match." D'ailleurs, l'assemblée pronostique 2-1 pour la France et un match serré. Moralité : les voies du Seigneur sont impénétrables, même pour ceux qui annoncent sa parole.

Dix septième minute : la France mène déjà 2-0, grâce à deux buts de Giroud et Matuidi. "Va falloir rapidement refaire le stock de bière", entend-on. Heureusement, le frigo de la cafétéria est plein. Ce genre de soirée foot est assez rare au séminaire. Non pas qu'on manque d'amateurs, mais parce que le père supérieur n'a pas jugé bon de souscrire un abonnement à Canal + et à beIN Sports. "La communauté des séminaristes n'est pas fan absolue de sport, mais sur les gros évènements, on se mobilise", détaille Anthony.

Mi-temps. On argumente sur la solubilité du foot dans l'Eglise. "Le prêtre qui m'a donné la vocation était aussi entraîneur de foot, raconte Anthony. Sa plus grande fierté était d'être entraîneur aussi de la section féminine". Le pape François, dans un message vidéo, souhaite que le football reste "un jeu, une occasion de dialoguer, de compréhension, un enrichissement réciproque". Le contraire des sifflets des 10 000 supporters suisses qui accompagnent les passes françaises pendant le premier acte, en somme. "C'est nul", tranche un séminariste. Quand la France porte son avantage à 5-0, on n'entend plus les Helvètes. "On les a calmés".

Les séminaristes lors du match France-Suisse du 20 juin 2014, au Séminaire des Carmes à Paris. (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

Le jeu très offensif de l'équipe de Didier Deschamps séduit. Plus encore, le comportement des joueurs sur le terrain : "ce qui est fantastique, c'est que là, ils sont humbles. De vrais modèles à qui on peut s'identifier", reprend Anthony, marqué par la grève du bus en Afrique du Sud. Jean-Louis voit plus loin : "on pourrait peut-être diffuser les matchs à la paroisse, réunir les jeunes autour de ça. Quand j'étais plus jeune, on assistait au disco-forum : on passait une chanson de musique à la mode, et chacun devait dire ce qu'il en avait retiré."

Les deux buts suisses en fin de match alourdissent à peine l'ambiance. Pour les séminaristes, la messe était dite depuis longtemps.

L'après-match

Pas de crucifix dans la salle télé, pas de bénédicité avant le début du repas, pas de soirée foot en soutane. Les clichés sur les aspirants prêtres ont la vie dure. Contrairement aux moines, leur rôle est de s'insérer dans la société, et donc de partager les préoccupations de leurs ouailles. "Les gens nous voient vraiment comme des extraterrestres, s'amuse Jean-Louis, au moment d'entrer dans sa 106 et de faire le chemin du retour vers Evry, sa paroisse d'attache. "Alors qu'en fait, on est des gens normaux, non ?"

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.