Coupe du monde : le 18 mai 2002, le jour où les Bleus ont méprisé la Belgique (et ça leur a coûté cher)
Ou comment une reprise de volée de Marc Wilmots dans le temps additionnel a brisé le plan du sélectionneur Roger Lemerre pour briller au Mondial en Corée du Sud et au Japon.
Depuis la qualification des Bleus en demi-finales de la Coupe du monde face à la Belgique d'Eden Hazard et Romelu Lukaku, Didier Deschamps n'a de cesse de prévenir tout excès de confiance chez ses joueurs. La Belgique, souvent prise de haut par les équipes tricolores, a pourtant joué plus d'un mauvais tour aux footballeurs français. Comme ce 18 mai 2002.
Ce France-Belgique, c'est l'histoire d'un drôle de match, rentré au chausse-pied dans le calendrier surchargé des Bleus à la veille d'embarquer pour le Japon pour défendre leur titre mondial. Tenante du titre, la France est programmée en ouverture de la Coupe du monde sud-coréenne et japonaise, douze jours après. La préparation a été tronquée par les saisons à rallonge des uns et des autres. Zinédine Zidane, qui vient de remporter la Ligue des champions grâce à un but magique en finale, est excusé : son épouse vient d'accoucher du petit Théo.
Desailly "incapable de citer le nom d'un Diable rouge"
C'est peu dire que la Belgique, abonnée aux éliminations au premier tour des grandes compétitions, ne fait pas peur. Son sélectionneur, Robert Waseige, a dû promettre du répondant aux journalistes français critiques sur le niveau de l'équipe : "Lemerre voulait un match sérieux, je ne veux pas qu'on le déçoive". En conférence de presse, Marcel Desailly reconnaît être "incapable de citer le nom d'un Diable rouge" et soupire que ce match amical n'est "pas très important". Même la communication du Stade de France a préféré le Manneken-Pis à Marc Wilmots pour symboliser l'équipe du plat pays sur l'affiche officielle du match, où figurent en revanche pas moins de six joueurs français, stylisés façon Star Wars.
Le capitaine des Bleus a la tête en Asie et on le comprend. Depuis des mois, tout le pays baigne dans une douce euphorie quand on lui parle de football : en mars de cette même année, un sondage a indiqué que 74% des sondés n'imaginaient pas autre chose qu'un succès en Corée. Et Adidas a commencé sa campagne sur le thème de la deuxième étoile, comme si les sept matchs attendant les Bleus au Mondial n'étaient qu'une formalité, avec un spot réalisé par Stéphane Meunier, l'homme derrière Les Yeux dans les Bleus, où les joueurs récitent un poème de Rudyard Kipling.
Ce doux soir de mai 2002, la sono du Stade de France crache I Will Survive avant le début du match, comme si rien ne s'était passé depuis le 12 juillet 1998. L'actualité s'est pourtant chargée avec, le 8 mai 2002, l'attentat contre un bus d'ingénieurs français à Karachi, au Pakistan, quelques jours après la réélection de Jacques Chirac. La minute de silence est particulièrement observée dans un Stade de France tout vêtu de bleu, comme désireux d'une union nationale retrouvée.
Ohé, ohé, sélectionneur abandonné
Roger Lemerre aligne une équipe mixte. A moitié forcé par la méforme des uns et des autres (Thierry Henry et Fabien Barthez soignent de petits bobos) et à moitié par souci de donner du temps de jeu à ceux qui pourront jouer les utilités en Corée (le deuxième gardien Ulrich Ramé, Christophe Dugarry...). Une équipe B, pour un match de série B. Si la Belgique joue crânement sa chance et ouvre le score dès la 20e minute, la France n'égalise que grâce à un but contre son camp, consécutif à une partie de billard dans la surface adverse. Résultat : 1-1 à la pause. Cela ne dissuade pas Adidas de déployer un énorme maillot tricolore dans les tribunes, avec la fameuse deuxième étoile. Pas de quoi séduire Christophe Dugarry, qui avait déclaré devant micros et caméras "Je le trouve franchement moyen", ou Marcel Desailly – "De toute façon, on ne nous a pas consultés."
La causerie de Roger Lemerre à la pause a peu de chance de changer quoi que ce soit à ce match mal embarqué. "En 2002, Roger on l'adorait (...) mais on ne l'écoutait plus, ou plus beaucoup. A la fin, on faisait un jeu en mode 'qu'est-ce qu'il a voulu dire ?'", avouera quinze ans plus tard Christophe Dugarry dans l'émission "Le Vestiaire" sur SFR Sport. Déjà brouillon, le jeu tricolore se délite un peu plus lors du second acte. Seule étincelle de la deuxième période, la tête du petit nouveau Djibril Cissé sur la "latte" du but belge. Alors que l'on dispute les arrêts de jeu, Thierry Roland préfère vanter le spectacle prévu au coup de sifflet final plutôt que la rencontre. Et se retrouve surpris, comme les Bleus, quand Marc Wilmots reprend dans la lucarne un centre venu de la droite, laissant Ulrich Ramé sans réaction. Pas de quoi jeter un froid sur l'enthousiasme du public et des quelque 11 millions de téléspectateurs présents devant leur poste à ce moment-là.
L'instant Coca-Cola
Quand il entre sur le terrain, tout de rouge vêtu, Samuel est à peine au courant que la France a finalement perdu 1-2. Vainqueur d'un concours comme 2 001 autres enfants, l'ado originaire de la région de Lens a dû aller se préparer et quitter sa place en tribune à l'heure de jeu. "On arrivait des quatre coins de la pelouse, on suivait des repères fléchés... ça nous avait nécessité un après-midi de répétition", raconte-t-il à franceinfo. Les enfants habillés de pied en cap par Coca-Cola forment un cœur rouge entourant les joueurs. "Je me trouvais à l'intérieur du cœur, j'ai pu voir Marcel Desailly de près."
Croyez-moi, à ce moment-là, personne ne s'est dit que c'était déplacé ou qu'on en faisait tout simplement trop.
Samuel, l'un des enfants présents au Stade de France le 18 mai 2002
"On était simplement euphoriques. J'avais des étoiles plein les yeux." L'un des enfants remet un cadeau à Marcel Desailly, un drapeau français formé de la photo des 2 002 jeunes. Zinédine Zidane fait son apparition sur l'écran géant. Et Franck Lebœuf prend le micro pour promettre, devant 80 000 témoins, de rapporter la Coupe du monde.
Je me souviendrais du 18/05/2002 J’ai fait parti des 2002 enfants venus encourager les où j’ai eu la chance de croiser @BixeLizarazu @marceldesailly au ❤️ etc @FFF J’aurais aimé vous dire Zizou devenait papa lors de ce match France Belgique ❤️⚽️⭐️ pic.twitter.com/kXhFnrDsto
— SimonMD (@SimonMinvielleD) 18 mai 2018
Le même Lebœuf continue de nier l'évidence devant les caméras : "Je me souviens qu'en 1998 nous n'avions pas bien joué contre la Finlande juste avant la Coupe du monde, c'est peut-être un signe." Interrogé en zone mixte sur la contre-performance tricolore, Willy Sagnol met la défaite sur le dos des sponsors, signe que les Bleus ont ouvert grand leurs portes aux marchands du temple : "On a eu une semaine VIP, avec des obligations vis-à-vis des sponsors", euphémise-t-il. Ce ne sont pas moins de cinquante entreprises qui ont tenu à avoir leur part des champions du monde alors que la préparation est réduite à la portion congrue. La carotte est alléchante : une prime de 500 000 euros par tête.
"Avant même de partir, c'était déjà mort"
En interne, une plaie s'est ouverte. "Ce match a laissé une trace", souffle Emmanuel Petit devant la presse. Les joueurs organisent même une réunion de crise après la défaite, chose rarissime sous l'ère Lemerre. En interne, certains ne nourrissent plus aucune illusion, comme le même Emmanuel Petit, cité dans le livre L'Histoire secrète des Bleus (éd. Flammarion, juin 2002) : "Avant même de partir, c'était déjà mort. La notion de groupe n'était plus qu'un souvenir. On avait gagné la Coupe du monde 98 et l'Euro 2000 grâce à elle, mais en équipe de France, c'est l'individualisme qui prime désormais."
Pas un mot de la défaite le lendemain dans le journal de 20 heures... qui ouvre sur le départ des champions du monde vers le Japon dans un aéroport de Roissy comble. Le reportage est intitulé "Les Bleus dans les cieux" et on y entend cette famille venue exprès faire un cadeau à ses héros : "On voulait offrir un jéroboam de champagne à l'équipe de France, mais la sécurité nous a empêchés d'approcher alors que monsieur Marcel Desailly voulait le prendre." Un brin dépassé par l'engouement populaire, Roger Lemerre laisse transparaître son inquiétude dans une interview au Parisien : "Ces louanges sont aussi dangereuses que les critiques, et les accusations infondées, avant le Mondial 1998". Bien vu. Quelques jours plus tard, les Bleus quitteront la compétition dès le premier tour, sans avoir marqué le moindre but.
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