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Coupe du monde : Ottmar Hitzfeld, le sélectionneur qui valait deux Didier Deschamps

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Alors entraîneur du Borussia Dortmund, Ottmar Hitzfeld célèbre à sa façon le titre de champion de son équipe, le 18 mai 1996.  (ALEXANDER HASSENSTEIN / BONGARTS / SIPA)

Il a une tête de prof de maths, aime les casques à pointe et les costumes trois-pièces. Faites connaissance avec l'entraîneur de la Suisse. 

France-Suisse, c'est vendredi 20 juin. Le match Deschamps-Hitzfeld, du nom des deux sélectionneurs, a d'ores et déjà tourné à l'avantage du Suisse sur la fiche de paye. Ottmar Hitzfeld, le coach de la "Nati", est nettement mieux payé que son homologue tricolore (2,6 millions d'euros annuels contre 1,3 pour "DD"). Mais pourquoi cet entraîneur s'arrache-t-il à prix d'or ? 

"On me voit comme un négrier"

Ottmar Hitzfeld traîne une image sévère, austère, un rien sinistre. "Beaucoup de gens me voient comme un négrier, incroyablement sévère. Un Prussien, ai-je même entendu. Un général. Or, ce n’est qu’une façade vis-à-vis de l’extérieur. J’ai aussi un noyau sensible", a déclaré l'Allemand dans L'Illustré. Son passé de prof de maths qui ressort ? Après une brillante carrière d'attaquant, marquée par un sextuplé sous les couleurs de Stuttgart, Ottmar Hitzfeld se lance dans la carrière d'entraîneur en prenant en main le club de deuxième division suisse de Zoug. Il se fixe cinq ans pour réussir. "Sans ça, je retournerai à mon métier de prof de maths et de gymnastique." C'était en 1983. Plus de trente ans plus tard, il est toujours là. 

Sa carrière décolle quand il prend les rênes du Borussia Dortmund, au début des années 1990. Il hisse le Borussia en finale de la Ligue des champions, brillamment remportée 3-1 contre la Juventus. Le héros du match, c'est Hitzfeld. C'est lui qui fait entrer en jeu l'attaquant Lars Ricken, qui assure la victoire à son équipe quelques secondes plus tard. Pas étonnant que le Bayern Munich le débauche quelques années plus tard. Partout où il passe, Hitzfeld laisse une excellente impression. "C'est le meilleur entraîneur que j'aie jamais eu", confie Bixente Lizarazu à Sports Illustrated (en anglais)

La leçon de Manchester United

Le match disputé par Ottmar Hitzfeld dont vous avez forcément entendu parler, il l'a perdu. C'est la fameuse finale de Ligue des champions 1999 entre Manchester United et le Bayern Munich, perdue par les Allemands à cause de deux buts sur corner dans le temps additionnel. 

"Je n'ai jamais eu de cauchemars sur ce match, mais cette défaite à Barcelone est l'une des pires expériences de ma vie, reconnaît Hitzfeld dans FourFourTwo (en anglais). Je me souviens d'un moment où nous étions assis dans le bus pour rentrer à l'hôtel. Quelqu'un assis à côté de moi dit : 'qui sait, cette défaite peut nous faire du bien, au final'. Sur le moment, j'étais très proche de vouloir tuer cet homme. Puis j'ai réfléchi au sens de ses paroles. Le lendemain, nous avons eu la plus longue réunion d'équipe que j'aie jamais dirigée. J'ai dit aux joueurs que l'équipe de Manchester nous avait donné une leçon en ne renonçant jamais à la victoire." Le Bayern remporte la Ligue des champions deux ans plus tard, faisant de Hitzfeld l'un des rares entraîneurs à l'avoir décrochée avec deux clubs différents.

L'entraîneur du Bayern Munich Ottmar Hitzfeld recouvert de bière par l'attaquant du club bavarois Giovane Elber, le 6 mai 2000.  (MICHAEL URBAN / REUTERS)

Le jour où il a cessé d'être un "canard sauvage"

C'est le moment où il hérite de surnoms pas toujours très flatteurs. Son incroyable palmarès (deux Ligues des champions, sept championnats d'Allemagne en quatorze ans...) lui vaut des comparaisons avec Sir Alex Ferguson, son collègue de Manchester United, et le sobriquet de "Monsieur Résultats". Son amour du vocabulaire militaire, particulièrement du "Schlachtenglück" - la bonne fortune dans les batailles -, et des casques prussiens (photo à l'appui) pousse les journaux à le baptiser "Der General", note le Guardian (en anglais).

En 2004, il est vidé. "Six ans au Bayern équivalent à gérer un club de Bundesliga pendant vingt ans. J'ai mis deux ans à m'en remettre", explique-t-il à la radio BR (en allemand). Il refuse coup sur coup Chelsea, la sélection allemande et rate Manchester United car il ne parle pas anglais. A la surprise générale, il jette son dévolu sur la sélection suisse en 2008. Les débuts sont chaotiques. Le jour de son arrivée, un quotidien suisse l'appelle "le Messie". Hitzfeld, qui ne veut plus de jobs à pression, menace déjà de démissionner. Son premier match se solde… par une défaite contre le Luxembourg. 

Il en faut plus pour démoraliser l'entraîneur allemand, toujours tiré à quatre épingles car il "pense que c'est une bonne publicité pour le football". Fini aussi l'entraîneur volcanique qui gesticulait sur le terrain : "Je me suis rendu compte qu’un entraîneur qui se comporte comme un canard sauvage sur le bord du terrain influence son équipe d'une manière négative. S'il est nerveux, ses joueurs le sentent, et cela finit par rejaillir sur eux." 

Ottmar Hitzfeld en 1996 à Dortmund.  (WOLFGANG RATAY / REUTERS)

"Ne sous-estimez jamais Ottmar"

La Coupe du monde en Afrique du Sud, en 2010, débute de la meilleure des manières pour la Suisse, avec une victoire 1-0 contre l'Espagne. Une victoire qui masque les problèmes qui secouent la sélection suisse. "Lui n’est déjà pas gai de nature, mais son préparateur physique est un vrai croque-mort, ça manque de chaleur ! Il n’y a pas de problème entre les gens, mais le staff devrait compenser cette froideur germanique, qui passe mal auprès d’un effectif à forte connotation latino-slave", confie un membre du staff au journal Le Temps.

"Les joueurs se sont par ailleurs plaints de multiplier les exercices débiles en Afrique du Sud, où ils sont arrivés complètement cuits contre le Honduras." Incapable de marquer, la Suisse s'incline contre le Chili (0-1) et se heurte à la défense du Honduras (0-0). Retour à la maison dès le premier tour… malgré le titre honorifique d'être la seule équipe à avoir battu le champion du monde.

Une fois encore, le pragmatique Hitzfeld a adapté ses méthodes à ses joueurs. Il croit dans le potentiel de son équipe, 6e au classement Fifa, soit onze places de mieux que la France, et juvénile tête de série de ce Mondial. "Sur un bon jour, nous pouvons battre n'importe qui." Son objectif ? "Ecrire l'histoire", tout simplement, en atteignant les quarts de finale, ce que n'a jamais réussi à faire la "Nati". Prétentieux ? "Ne sous-estimez jamais Ottmar", souligne son ami entraîneur Michael Meier, cité par la Deutsche Welle (en anglais). C'est sa dernière chance. Après, il prendra sa retraite. Sans regrets. "Je peux vivre sans le foot. Il y a tellement de choses plus importantes dans la vie. Et ma femme sera ravie."

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