De la banlieue parisienne à France-Belgique : pour percer dans le foot, N'Golo Kanté s'est dépensé sans compter
Du haut de son 1,68 m, N'Golo Kanté fait aujourd'hui partie des meilleurs joueurs du monde à son poste. Il est même devenu en quelques saisons l'un des patrons de l'équipe de France. Pourtant, rien ne laissait présager un tel parcours.
Petite taille, grand talent. Méconnu du grand public il y a encore quatre ans, N'Golo Kanté est devenu aujourd'hui une pièce maîtresse de l'équipe de France. Considéré comme l'un des meilleur joueur de la Coupe du monde, le milieu de terrain de 1,68 m s'est rendu indispensable en équipe de France, qui affrontera, la Belgique en demi-finale, mardi 10 juillet.
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Discret, voire timide face aux médias comme dans la vie, l'homme de 27 ans cultive cette simplicité qui tranche avec les coupes de cheveux fantaisistes du milieu de terrain Paul Pogba. Apprécié pour son humilité et sa capacité à avaler des kilomètres pendant un match, il est une grande source d'inspiration sur les réseaux sociaux. "N'Golo Kanté ne paie pas son électricité. Il la produit", peut-on par exemple lire à son sujet.
Respect, travail, humilité
Le jeune N'Golo a grandi bien loin de l'univers impitoyable du football professionnel. Né dans le 10e arrondissement de Paris, le 29 mars 1991, ce fils d'immigrés maliens de confession musulmane passe son enfance dans le quartier modeste des Géraniums, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Issu d'une fratrie de huit frères et sœurs, il vit avec sa famille, dont il est très proche, dans un petit appartement avec le ballon rond pour seule passion. Dans une famille sans histoire où le père est éboueur et la mère femme de ménage, il se fait avant tout remarquer par sa petite taille.
Le garçon, qui fait toujours une tête de moins que les autres enfants de son âge, grandit avec trois maîtres-mots : respect, travail et humilité. "Cela vient de son éducation, atteste Sylvain Porthault, aujourd'hui président du club de la Jeunesse sportive de Suresnes, où a débuté Kanté. Je sais d’où il vient. Ce sont des gens simples et qui vivent toujours au même endroit." La mort de son père, alors qu'il n'a que 11 ans marque inévitablement sa première grande épreuve, une épreuve qui va le construire. Mais là encore, il préfère rester pudique.
"La personnalité de N'Golo, c'est la même que celle qu'il a aujourd'hui, c'est-à-dire un garçon très discret et travailleur, explique Sylvain Porthault. Il n'a jamais changé : humble, très discret. Même quand il a été surclassé en jeunes, il a toujours eu le même comportement", assure le dirigeant au club depuis quarante-cinq ans.
"Il ne parlait pas beaucoup. Ce n'était pas lui qui engageait une conversation, mais il y avait des échanges, précise tout de même Mehdi Ariano, un de ses anciens coéquipiers. C'est juste qu'il n'était pas spécialement avenant. Il est tel qu'on le voit là, il n'a pas changé et c'est la vraie fierté du club." N'Golo Kanté est rapidement devenu le chouchou du club, celui que l'on respecte pour son talent, mais aussi pour son état d'esprit, toujours irréprochable. Chez les jeunes à Suresnes, il n'a d'ailleurs jamais reçu le moindre carton jaune. "Lorsque l'on faisait un petit match d'entraînement, je le mettais toujours avec les plus faibles, raconte à franceinfo son premier entraîneur, Piotr Wojtyna.
A cet âge, les enfants finissent toujours par dire que les équipes sont déséquilibrées. Mais lui, non… Il jouait et il ne s'arrêtait pas de courir. C'est rare.
Piotr Wojtyna, premier entraîneur de N'Golo Kantéà franceinfo
Une humilité qui le poussera plus tard à refuser une interview sur BeIN Sport lors de sa première saison en L1 avec Caen, estimant qu'il n'avait encore rien prouvé. Alors que d'autres cherchent constamment la lumière, lui préfère rester dans sa bulle, concentré sur ses objectifs, dans la vie comme sur le terrain. "Je ne l'ai jamais vu sortir de son match ou reproché quoi que ce soit à l'un de ses coéquipiers. Je n'ai jamais vu ça, et pourtant cela fait vingt ans que je fais ce métier, souligne Piotr Wojtyna. Sa force, c'est aussi le mental, c'est un champion à ce niveau."
"Quand on voit son sourire, on comprend qui il est"
Réservé, mais pas renfermé, à l'image de ce large sourire qu'il arbore en permanence. "Vous le voyez quand il est à la télé, quand on voit son sourire, on comprend qui il est, confie Sylvain Porthault. Il avait le sourire qu'il a aujourd'hui, c'est le même qu'il avait il y a dix ans." Son ancien coéquipier Mehdi Ariano explique même qu'il "se faisait chambrer car il était toujours en train de sourire. Mais c'était toujours avec bienveillance", assure-t-il.
Il n'y a finalement que pendant ses matchs que le sourire s'efface, laissant place à un regard focalisé sur le ballon. Son premier entraîneur se dit encore impressionné par "son implication sur le terrain. Quand il est dans le match, il est à 100% dedans, il ne sourit presque pas, son visage est très concentré", décrit Piotr Wojtyna.
Avec les seniors de Suresnes, N'Golo n'a que 17 ans et évolue avec des joueurs qui ont en moyenne 25 ans. Plus jeune et plus petit, il devient vite la mascotte de l'équipe. "C'est le joueur que l'on protégeait, se souvient Mehdi Ariano, de trois ans son aîné. J'ai souvenir que lors d'un match à Saint-Brice, il avait été exceptionnel. Mais les adversaires se sont agacés et ont essayé de le casser." C'était en fin de saison et ses coéquipiers savaient qu'il allait signer à Boulogne. "On ne voulait pas qu'il se blesse, c'était la chance de sa vie, alors, à un moment donné, on leur a dit qu'ils devaient arrêter et l'arbitre a joué son rôle…", ajoute l'ancien coéquipier.
Trop petit pour les centres de formation
Il a beau être double surclassé, bluffer ses coéquipiers comme ses adversaires, N'Golo Kanté ne répond pas aux critères de taille édictés par les centres de formation des clubs professionnels. En France, la mode est plutôt aux grands et solides gaillards, ce qui a par exemple valu à Antoine Griezmann de s'exiler en Espagne. "On l'a amené dans différents grands clubs et N'Golo a été refusé à cause de sa taille", se remémore Sylvain Porthault. Sochaux, Lorient ou encore Rennes lui ferment leurs portes. Son rêve de devenir footballeur professionnel semble alors s'éloigner.
Il ne s'en offusquait pas, il continuait à travailler. Cela l'a forgé et peut-être que ce sont ces petits échecs, qui ont fait que ce petit bonhomme est devenu un très grand bonhomme.
Sylvain Porthault, président de la JS Suresnesà franceinfo
"Je lui ai souvent dit que sa taille n'était pas un handicap, se rappelle Piotr Wojtyna. Cela lui permet d'être plus agile, de changer de direction dans les courses, les appuis." Même si le technicien convient que pour les têtes, c'est un peu moins évident… "Mais au foot, on joue plus avec les pieds qu'avec la tête !", sourit ce Polonais d'origine.
Lorsqu'il finit par convaincre le club de Boulogne-sur-Mer en 2010, rien n'est encore acquis, loin de là. "Il n'avait pas vraiment le profil pour s'imposer en pro et quand il est arrivé chez nous, il était en échec scolaire", raconte l'ex-directeur de centre de formation boulonnais Gilbert Zoonekynd dans Ouest-France. Dans le club des Hauts-de-France, il évolue d'abord avec l'équipe B, en CFA 2. Loin de sa famille, rien n'est simple. Mais il ne lâche rien, sur le terrain comme pour les études et parvient finalement à décrocher son BTS comptabilité.
"Il ne s'est jamais plaint", assure Christophe Raymond, son entraîneur à Boulogne-sur-Mer dans So Foot. Pourtant, les conditions sont rudes. Logé dans une auberge de jeunesse, il est encore loin de gagner des mille et des cents et il lui arrive de ne pas manger à sa faim. Malgré tout, "il n'a jamais rien demandé à personne", soutient Christophe Raymond.
Une pugnacité qui caractérise Kanté. "Il apprenait parce qu'il se donnait les moyens, analyse Sylvain Porthault qui se remémore une petite anecdote à Suresnes. Un jour, quand il a eu 14-15 ans, Piotr lui a dit qu'il devait revenir de vacances en sachant faire 50 jongles du pied droit, 50 du pied gauche et 50 de la tête. Il est revenu et il l'a fait !", raconte-t-il.
De la trottinette à la Mégane d'occasion
A Boulogne, c'est sa volonté et un coup du sort qui vont lui permettre de débloquer sa situation. A l'issue de la saison 2011-2012, Boulogne-sur-Mer est en effet relégué en National. Des joueurs cadres partent et Kanté représente alors la solution idoine. Devenu un joueur essentiel, il ne change pas pour autant ses habitudes et continue à faire ses courses avec sa trottinette qui lui permet aussi de se rendre aux entraînements.
Son rayonnement sur le terrain finit par séduire, malgré un jeu perfectible. Nommé meilleur joueur du championnat lors de cette saison (2012-2013), il tape dans l'œil de certains recruteurs. Caen, alors en L2, le recrute pour zéro euro. N'Golo reste égal à lui-même. "Le matin, il débarquait à l’entraînement comme un écolier avec son petit sac à dos et la même paire de crampons, se souvient son ancien coéquipier à Caen, Mathieu Duhamel, dans Ouest-France. Il ne disait rien si tu ne lui parlais pas. On lui demandait, ça va N’Golo ? Il répondait toujours pareil : 'Tranquille, tranquille !'"
A Caen, le jeune homme s'offre sa première voiture. Il a alors 22 ans. Mais plutôt que de dépenser ses premiers salaires dans un bolide, il opte pour une Mégane Renault II, achetée d'occasion. Au sein du club normand, il enchaîne avec une saison pleine en Ligue 2. Celle-ci lui permet surtout d'atteindre l'élite pour la saison 2014-2015. Il est alors, déjà, une pièce indispensable de son équipe. L'OM offre six millions d'euros, mais se fait doubler par Leicester où il partira avec sa Mégane II (avant de changer pour une Mini Cooper) et décroche un titre improbable de champion d'Angleterre.
"Grâce à lui, on est monté de deux divisions"
En l'espace de trois ans, N'Golo Kanté est devenu l'un des meilleurs joueurs du monde, probablement le meilleur à son poste. Huitième du classement du dernier Ballon d'Or, le milieu de terrain français est aujourd'hui pisté par les plus grands clubs européens. Une progression fulgurante qui n'étonne pas ceux qui l'ont cotoyé à ses débuts.
"Nous étions en Promotion d'Honneur (9e division) et, grâce à lui, on est monté de deux divisions, indique Sylvain Porthault, président du club de la Jeunesse Sportive de Suresnes. A chaque fois qu'il est allé dans une équipe, celle-ci est montée d'un cran, que ce soit chez nous, à Caen [montée de L2 en L1], à Leicester [devenu champion d'Angleterre], à Chelsea [champion]", se félicite-t-il.
Ses anciens coéquipiers soulignent également à quel point il est essentiel. "La première année, on s'est maintenu en Excellence et l'année d'après on est monté en Promotion d'Honneur, raconte Mehdi Ariano, son coéquipier lors de ses trois dernières années à Suresnes. On a également gagné une Coupe des Hauts-de-Seine en battant en finale une équipe de Division d'Honneur, soit quatre divisions au-dessus", se remémore le gardien de but. Lors de ses deux saisons à Boulogne-sur-Mer (2011 à 2013), le club passe grâce à lui de National en Ligue 2. Il est même désigné meilleur joueur du championnat lors de sa dernière saison.
J’ai mis plus de temps que certains. Mais j’en suis fier !
N'Golo Kantédans "Le Parisien" en juin 2016
Aujourd'hui, le monde du football le couvre d'éloges. De l'ex-manager de Manchester United Sir Alex Ferguson, qui le considère comme "le meilleur joueur de la saison, et de loin" à son coéquipier de Chelsea Eden Hazard, qui le surnomme "le rat" pour sa faculté à se trouver partout et rapidement, il a même été élu meilleur joueur du championnat en 2016-2017. En sélection, on pourrait considérer que le titre de champion d'Europe perdu avec les Bleus face au Portugal est une fausse note, à ceci près qu'il n'avait pas été titularisé en finale…
Comme les plus grands joueurs, N'Golo Kanté a droit à sa chanson. Sur l'air de "Champs-Elysées" de Joe Dassin, So Foot a déjà imaginé qu'il va "bouffer Leo Messi". Et si d'aventure la France décroche une deuxième étoile, il aura sûrement droit à un hommage exceptionnel sur la plus belle avenue du monde...
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