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Coupe du monde 2018 : le jour où la Croatie a montré que la France championne de 1998 était bonne pour la retraite

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le Croate Josip Simunic fait chuter le Français Robert Pirès lors du match France-Croatie, en poules de l'Euro 2004, le 17 juin à Leiria (Portugal). (ANDREAS RENTZ / BONGARTS / GETTY IMAGES)

Ou comment l'accroc croate, 2-2 au terme d'une rencontre mal maîtrisée, le 17 juin 2004, a mis Desailly, Lizarazu, Zidane au tapis.

"C'est décevant de perdre ce match." Personne n'a arrêté Lilian Thuram quand il a pesté en zone mixte sur l'incapacité des Français à maîtriser les rencontres, en ce début d'Euro 2004. Pourtant, n'en déplaise au défenseur de la Juventus de l'époque, le tableau d'affichage de l'Estadio Pessoa de Leiria (Portugal), affiche 2-2, ce 17 juin 2004 : le score final du face-à-face entre les Bleus et la Croatie. C'est l'unique match où la France a failli perdre face à la Croatie, qu'elle retrouve en finale de la Coupe du monde, dimanche 15 juillet. C'est aussi le signe, malgré tout, que le ver est à ce moment-là déjà dans le fruit au sein du groupe France, composé encore en grande partie des héros de 98.

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Une Croatie sans artiste, une France sans leader

Après une victoire miraculeuse face à l'Angleterre quatre jours plus tôt, avec deux buts de Zidane dans le temps additionnel, on attend une équipe de France conquérante face à la Croatie. Les joueurs au maillot à damier ont eux proposé une bouillie de football face à la Suisse (0-0). La génération qui avait fait des misères à la France en demi-finale du Mondial 1998 a pris sa retraite, et ça se sent. "C'est vrai, nous n'avons plus d'artistes dans notre équipe, reconnaît le sélectionneur Otto Baric, qui mise plutôt sur la préparation tactique. Mes joueurs savent exactement ce que j'attends d'eux. Ils ne me décevront pas."

L'exact contraire des Français donc, après deux années sans faute (21 victoires et trois nuls en 24 matchs). Le sélectionneur, Jacques Santini, semble pourtant tâtonner. Face à la Croatie, il chamboule l'équipe alignée contre l'Angleterre, expédie Lizarazu et Pirès sur le banc et fait revenir Marcel "Papy" Desailly dans l'axe de la défense après un premier match sur le banc en raison d'un genou douloureux. A 36 ans, "le Roc" n'est plus que l'ombre du défenseur infranchissable qu'il était quelques années plus tôt. Bombardé capitaine depuis la retraite de Deschamps, son statut demeure bancal. Lors du naufrage de la Coupe du monde asiatique de 2002, qui a vu la France éliminée dès le premier tour, il s'était montré incapable de sublimer ses troupes.

Marcel Desailly lors d'une conférence de presse au cours de l'Euro 2004, le 24 juin 2004, à Lisbonne (Portugal). (JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS)

Rebelote en 2004. Lors du stage de préparation, à La Grande Motte (Hérault), c'est surtout auprès des roulettes et des tables de black jack que Desailly s'est illustré. Santini le traîne à toutes les conférences de presse alors que sa place de titulaire est clairement en question. Il se murmure qu'il lui faut parfois une demi-heure pour sortir de son lit, un peu comme Andre Agassi en fin de carrière, perclu de rhumatisme. "Marcel reste le capitaine du groupe, mais il part de tellement loin", lâche un jour un Jacques Santini dont l'autorité est également affaiblie depuis l'annonce de son départ pour diriger Tottenham après l'Euro.

Un sélectionneur à la dérive

L'équipe de France a des airs de bateau sans capitaine. "D'habitude, il y a des rires et des engueulades dans un groupe, explique un membre du staff cité dans le livre La décennie décadente du football français. Là, il ne se passait rien. Du coup, personne ne savait comment réagir." Des anciens, comme Lizarazu, montent au créneau. Desailly lui-même encourage Henry à faire preuve de leadership. Le moment n'est pas venu, reconnaît le Gunner dans une interview au Parisien : "Marcel me demande de m'impliquer un peu plus, de parler un peu plus à tout le monde, mais ce n'est pas trop dans mon caractère."

Jacques Santini a perdu la confiance de ses joueurs. Certains l'ont "testé" pendant les entraînements, sans réaction. "On va peut-être se découvrir pendant la compétition", reconnaît le sélectionneur, sibyllin.

Santini tentait de nous rassurer en disant 'ne vous inquiétez pas, je sais ce que je fais'. Mais nous n'étions pas dupes. L'équipe n'avait pas de leader à la Deschamps, le coach n'était plus écouté. On savait tous comment cela allait se terminer.

un membre du staff des Bleus

dans le livre "La décennie décadente du football français"

Jacques Santini, le sélectionneur de l'équipe de France, avant le match face à la Croatie, en poules de l'Euro 2004, à Leiria (Portugal), le 17 juin. (ANDREAS RENTZ / BONGARTS / GETTY IMAGES)

Sur le terrain, les Bleus et leur armada offensive s'enferrent sur des défenses regroupées. Zidane est trimballé à droite, à gauche, au centre, sur les feuilles de match, mais au final, n'en fait qu'à sa tête et trottine dans l'axe. C'est lui qui permet d'ouvrir le score face aux Croates, en tirant un coup franc anodin, poussé du talon par un défenseur croate dans ses propres filets. Ce coup de chance mis à part, la France n'a rien montré.

Cacophonie sur le terrain

Le retour de bâton intervient juste après la pause – comme lors de la fameuse demi-finale de 1998. À la 47e, Mickaël Silvestre, défenseur central décalé à droite pour satisfaire la demande de Liliam Thuram de jouer dans l'axe après huit ans sur le côté, bouscule un adversaire dans la surface. Penalty. Transformé par Rapaic, tout sauf un foudre de guerre, qui a joué une douzaine de matchs à Ancône, en Italie. Cinq minutes plus tard, Dado Prso trompe Fabien Barthez de près en profitant d'un "air dégagement" de Marcel Desailly. Les Bleus sont dans les cordes.

On s'est mis dans la merde tous seuls.

Fabien Barthez

après le match

Marcel Desailly utilise plutôt la circonlocution comme figure de style. "Revoyez plutôt le match au lieu de commencer à faire des critiques un peu gratuites et faciles", rétorque-t-il à un journaliste de France 2 à l'issue de la rencontre. En zone mixte, il reconnaît du bout des lèvres "une petite erreur dans le jeu". Avant le début de la compétition, il avait confié sa crainte de devenir une icône déchue, enviant le sort de chanteurs que leur public ne sifflera jamais. "Un footballeur, on peut l'oublier du jour au lendemain s'il n'est pas bon au cours d'un match. Un artiste, non. Franchement, je préférerais être un chanteur connu, comme Bono, que David Beckham." Couplet de circonstance : Desailly finira l'Euro sur le banc et sa carrière internationale sur une fausse note.

Les joueurs de l'équipe de France, menés par Zinédine Zidane, lors du match de poule de l'Euro 2004 face à la Croatie, le 17 juin à Leiria (Portugal). (ANDREAS RENTZ / BONGARTS / GETTY IMAGES)

Ce n'est pas le capitaine qui rassemble ses troupes dans le rond central pour les haranguer, mais un Zinédine Zidane qu'on avait rarement vu aussi expansif. À la 64e, David Trezeguet parvient à égaliser en profitant d'une passe en retrait mal assurée d'un défenseur pour devancer le gardien et marquer dans le but vide. Au passage, il s'est aidé de la main, mais l'arbitre n'a rien vu. La France du football s'accroche à ce point mais, à la dernière seconde, l'attaquant Ivica Mornar enrhume Marcel Desailly et se retrouve seul à six mètres du but. Heureusement pour Barthez, il expédie sa frappe dans les tribunes. "Le plus dur, c'était de la mettre au-dessus", ironise le gardien tricolore.

L'Euro de la discorde

Les fissures qui lézardent l'édifice bleu transparaissent dans les déclarations d'après-match. "Les Français nous ont pris de haut", souffle Dado Prso, l'attaquant au catogan qui a fait des merveilles sous le maillot de l'AS Monaco cette année-là.

Les résultats masquent certaines déficiences.

Willy Sagnol

Abonné au banc, Willy Sagnol n'est pas forcément emballé que quatre défenseurs centraux trustent les postes défensifs. Les débats font rage "à l'intérieur du groupe"  et "les résultats masquent certaines déficiences", lâche-t-ilIl y a ceux qui n'ont pas eu leur chance, ceux qui savent qu'ils ne joueront jamais, ceux qui s'agacent des passe-droits accordés aux anciens et ceux qui préparent l'après.

Dans les jours suivant le match, la garde rapprochée de Thierry Henry revendique un changement de système de jeu, pour servir plus vite et dans la profondeur l'attaquant d'Arsenal, quitte à sauter le milieu de terrain. Un crime de lèse-meneur de jeu révélé par Le Parisien : un complot anti-Zidane, ce dernier voyant son poids dans le groupe diminué avec les méformes (Lizarazu) et les absences (Dugarry). En riposte, ZZ douche les espoirs du clan Henry de récupérer le brassard que va lâcher Desailly : "Après Marcel, ce sera moi le capitaine. Les autres attendront leur tour."

Après la piteuse élimination, dès les quarts de finale, contre à la Grèce, l'équipe surprise du tournoi, la question est posée à Jacques Santini. "À l'Euro, y avait-il des clans ou des fractures définitives chez les Bleus ?" Réponse du futur ex-sélectionneur, pour une fois assez claire : "Tout a compté, des déclarations, des statuts... Le moindre grain de sable pouvait enrayer la mécanique." Une page se tourne : Lizarazu et Desailly quittent la sélection, bientôt suivis par Zidane (qui changera d'avis un an plus tard). La France n'est plus tenante du titre de rien et la cote d'amour des Tricolores est au plus bas depuis bien longtemps.

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