"Il faut revenir sur terre" : les champions du monde 1998 racontent les défis qui attendent Mbappé, Pogba et les autres
Les joueurs de l'équipe de France sont entrés dans une autre dimension après leur sacre mondial en Russie. Franceinfo a interrogé d'anciens joueurs de la génération 98 pour savoir à quoi doivent s'attendre les Bleus d'aujourd'hui.
"Ils ne seront plus les mêmes, parce qu’ils sont champions du monde, parce qu’il n’y a rien qui est au-dessus", a prévenu Didier Deschamps, dimanche 15 juillet, au soir de la finale de Coupe du monde remportée par les Bleus contre la Croatie. Benjamin Pavard, Kylian Mbappé, N'Golo Kanté et leurs coéquipiers sont entrés dans une nouvelle dimension qui va définitivement changer leur vie. Pour donner une idée des mois à venir pour la génération des champions 2018, franceinfo a interrogé les anciens de 1998.
Du Lido à Saint-Tropez
Après la conquête du trophée, la réception à l'Elysée, la Légion d'honneur, direction les vacances pour les nouveaux rois du monde. En 1998, Zinédine Zidane et ses camarades s'étaient plongés dans l'été avec la bénédiction du staff des Bleus. "On les a laissés libre, ils vivaient leur vie, ils faisaient ce qu’ils voulaient, c’étaient des grands garçons. Il n’y a pas eu de mise en garde particulière", confie à franceinfo Henri Emile, intendant de l'équipe de France à l'époque. "Les joueurs se prennent en charge, on ne le gère pas", confirme Philippe Tournon, chef de presse des Bleus en 1998 et en 2018.
"Après l’Elysée, il y a eu une grosse soirée au Lido. Puis, on s’est quittés. On n’était plus un groupe de champions du monde, mais vingt-deux champions du monde séparés, lancés dans le grand bain", raconte Stéphane Guivarc'h à franceinfo. L'ancien attaquant des Bleus est ainsi parti se ressourcer une semaine avec sa famille au Maroc, juste après son sacre.
J’avais besoin de couper. Je ne suis pas sorti de l’hôtel, pas par peur de croiser des gens, juste parce que je voulais me reposer.
Stéphane Guivarc'hà franceinfo
Vincent Candela, doublure de Bixente Lizarazu lors du Mondial 98, a vécu de son côté un "été de fêtes" et de nombreuses soirées en compagnie de Christophe Dugarry, Youri Djorkaeff, Zinedine Zidane, Alain Boghossian ou encore Laurent Blanc. "On est sur un petit nuage, on se sent invincibles, confie à franceinfo l'ancien défenseur de l'AS Roma. Quand on a 24, 25 ans, il faut en profiter. Si j'ai un conseil à donner aux nouveaux champions du monde, c'est de profiter de ce mois de vacances, de leur titre. Vivez pleinement le moment présent sans penser à la reprise dans un mois."
Ce ne sera pas facile de reprendre, mais quand on est champions du monde, on peut quand même prendre le temps de profiter...
Vincent Candelaà franceinfo
A l'été 98, Saint-Tropez (Var) devient rapidement l'endroit incontournable et les touristes ont la chance de croiser Djorkaeff, Boghossian ou encore Desailly sur les pistes de danse. "Pendant trois jours et trois nuits, ils ont fêté ça dans la frénésie, ils ont dansé, ils sont tous passés aux platines. Les clients n’y croyaient pas. Pour eux, c’est comme s’ils étaient tombés nez à nez avec le bon Dieu !", raconte au Parisien le DJ Jack E, qui anime l'établissement Les Caves du Roy. L'insouciance estivale provoque parfois "quelques petits incidents", comme cette "collision entre un jet-ski de joueur et un bateau du côté de Saint-Tropez", révèle Philippe Tournon sans en dire plus.
Les "phénomènes de foire" du ballon rond
Sortis des soirées estivales, les vainqueurs se confrontent aussi à leur nouvelle notoriété. Les Bleus de 98 en ont pris conscience dès les premiers jours en recevant, pour la plupart, un accueil triomphal dans leur pays natal, à l'image de Fabien Barthez dans sa ville de Lavelanet (Ariège). "Clairement, plus de gens venaient me voir, mais je n’étais pas gêné, c’était toujours respectueux", témoigne Stéphane Guivarc'h. "Dans leur regard, peut-être qu’ils se disaient qu’il parlait à un champion du monde, et encore, je ne sais pas."
"J’avais prévu d’aller à Cannes pendant une semaine avec mes proches, finalement nous ne sommes restés que trois jours. Je pensais être tranquille, en fait pas du tout", enchaîne Robert Pirès. "Au restaurant ou en boîte de nuit, on était accueillis comme les Beatles, se remémore pour L'Equipe (article payant) Christophe Dugarry. Il y avait une forme d'hystérie. Pendant quatre ou cinq ans, les gens ont toujours eu l'envie de nous regarder, de nous toucher..."
Un nouveau statut que confirme Bixente Lizarazu dans le Parisien : "On a eu notre période Beatles où on était des phénomènes de foire qui déclenchaient l’hystérie. Si chacun raconte les sollicitations qu’il a eues, tu peux faire un livre inimaginable." Même pour le sélectionneur Aimé Jacquet, la popularité devient oppressante, se rappelle Philippe Tournon : "Aimé Jacquet est resté dans son chalet de Thônes [Haute-Savoie] pendant quatre semaines. Il sortait seulement au petit matin, car il y avait des gens en permanence."
Au début, c’était bien, à la fin je ne pouvais rien faire, je n’allais même plus sur la plage.
Robert Pirèsà franceinfo
Il faut également gérer la nouvelle pression médiatique. "On leur donne la médaille de la Ville, on inaugure une rue à leur nom, un stade, on les fait citoyens d’honneurs…", énumère Philippe Tournon. "Forcément, c’est le summum. Je ne dirais pas que j’avais un appel de journaliste tous les jours, mais c’était beaucoup. Et à l’époque, il y avait moins de presse, moins de télés. Aujourd’hui, tout est décuplé", estime Stéphane Guivarc'h. Les jeunes Benjamin Pavard (22 ans), Lucas Hernandez (22 ans) et Kylian Mbappé (19 ans) sont prévenus.
Après un Mondial, le téléphone sonne sans cesse et les paparazzis ne sont jamais loin. Fabien Barthez sur un jet-ski accompagné du top-model Linda Evangelista, Lizarazu en compagnie de la chanteuse Elsa, Christian et Adriana Karembeu peuvent en témoigner. Après le sacre du 12 juillet 1998, les magazines people mettent régulièrement les champions du monde en couverture, détaille L'Equipe (article payant).
Danette, Tuc et McDonald's
Les agences de pub sont également à l'affût, juste derrière. Avoir un champion du monde dans son giron, c'est forcément bon pour le tiroir-caisse. Emmanuel Petit qui réclame un gâteau apéritif, Fabien Barthez qui prête son crâne pour une publicité en faveur d'un hamburger américain, ou encore Robert Pirès qui se lève pour une célèbre marque de crème dessert chocolatée ... Les sollicitations des sponsors s'enchaînent pour les Bleus après une Coupe du monde victorieuse. "Au début, je trouvais ça bizarre, on n’était pas trop fait pour ce rôle-là", confie Robert Pirès. "Après, je me suis dit 'oui, pourquoi pas, autant surfer sur la vague'. Mais c’est un métier, c’est pas facile."
Même pour du saucisson corse ou du fromage, j’aurais dit oui.
Robert Pirèsà franceinfo
"Je pense que tous les joueurs français en ont tiré un avantage sur le plan marketing. Pour moi, cela a surtout joué en Italie", raconte Vincent Candela. "J’ai eu des propositions comme tout le monde, confirme Stéphane Guivarc'h. "Opel m’avait sollicité pour tourner dans une pub qui faisait la promotion d’une nouvelle voiture. J’ai dit non. Je voulais être reconnu pour mes performances sur le terrain, pas face à une caméra. Beaucoup ont accepté, je le sais. Si certains en ont trop fait ? Chacun gère l’après-sacre comme il le souhaite. Moi, j’ai préféré dire non à tout. C’était une manière de me protéger."
La génération 2018, elle, n'a pas attendu de gagner un Mondial pour s'associer à diverses marques. Pour ne citer qu'eux, Antoine Griezmann vante les mérites d'un shampoing et Raphaël Varane prête son image à une marque de rasage. Nul doute que le titre de champion du monde va offrir de nouvelles opportunités aux joueurs, même si certains, comme Paul Pogba et Kylian Mbappé, refusent pour l'instant la majorité des sollicitations, indique Le Parisien. Il est vrai que le montant de leurs salaires en club leur permet de se passer de ces revenus complémentaires.
"Démontrer qu'on est champion du monde"
Après les vacances, les distractions diverses et les sollicitations extérieures viendra l'heure pour les étoilés de retrouver le chemin des centres d'entraînement. Un retour pas toujours simple à gérer, selon les champions de 1998. "Quand on reprend dans son club, on se sent plus fort, mais, en même temps, on doit démontrer encore plus, on doit démontrer qu'on est champion du monde et qu'on le mérite", indique Vincent Candela, qui jouait à l'époque à l'AS Roma. "Pour les adversaires, tu es encore plus attendu. Ils te font encore moins de cadeau qu’avant", confirme Robert Pirès.
Après un mois de vacances, ce n'est pas facile de reprendre les habitudes de l'entraînement quotidien. Le plus difficile, c'est de réussir à se reconcentrer.
Vincent Candelaà franceinfo
Stéphane Guivarc'h, qui évoluait avant le Mondial à l'AJ Auxerre, connaît un atterrissage compliqué en signant à Newcastle en Angleterre : "En arrivant sur place, il n’y avait pas de champion du monde qui comptait. Un nouvel entraîneur est arrivé [Ruud Gullit], et il n’était pas d’accord avec le choix des recrues." Le champion du monde, aujourd'hui vendeur de piscines en Bretagne, se retrouve sur le banc et ne vit pas très bien l'après Coupe du monde.
"Liés à vie"
Pour les entraîneurs, il faut aussi apprendre à gérer les égos. A Marseille, Laurent Blanc, Robert Pirès et Christophe Dugarry débarquent dans le vestiaire avec un nouveau statut. "Il faut revenir sur terre, mais ce n’est pas possible...", confie Robert Pirès. Mais Rolland Courbis, alors entraîneur de l'Olympique de Marseille, assure à franceinfo qu'ils n'ont pas pris pour autant la grosse tête : "Ils avaient la tête sur les épaules. Il n'y a eu aucun problème. Au contraire, ils nous ont apporté un plus."
Le seul vrai problème, c'est de vite rattraper les coéquipiers qui ont entamé leur préparation depuis plusieurs semaines.
Rolland Courbis, ancien entraîneur de l'Olympique de Marseilleà franceinfo
Si Rolland Courbis n'a pas eu de problème avec son vestiaire en 1998, l'ancien entraîneur devenu consultant n'aimerait pas être à la place du nouveau coach du PSG, Thomas Tuchel, pour associer le jeune champion du monde Mbappé avec la star brésilienne Neymar. Ce dernier pourrait mal supporter l'ombre d'un autre joueur.
Quoiqu'il en soit, le groupe restera marqué par l'aventure du Mondial, comme l'a expliqué Didier Deschamps aux médias au soir de la finale de la Coupe du monde, à Moscou. "Ces vingt-trois joueurs seront liés à vie, quoi qu’il se passe, ils prendront des routes différentes, mais ils seront liés à vie par cet événement."
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