Qatar : accusée d'"esclavage moderne" par une ONG, Vinci se défend
L'entreprise française est accusée par l'association Sherpa de ne pas respecter les droits des travailleurs et de mettre leur vie en danger sur des chantiers réalisés pour la Coupe du monde 2022. Une plainte a été déposée.
Les chantiers sont réalisés à des milliers de kilomètres de la France, mais la polémique n'en reste pas moins brûlante. Le groupe français Vinci est accusé par l'association Sherpa de "violer les droits fondamentaux des travailleurs". Le 23 mars, l'ONG a déposé plainte contre Vinci Construction pour travail forcé, réduction en servitude et recel, sur des chantiers du Mondial 2022 au Qatar.
L'entreprise a démenti avec force, mercredi 1er avril. Le PDG du groupe, Xavier Huillard, s'est dit "indigné" par ces accusations, dans une interview au Figaro. L'association assure, elle, détenir des preuves des manquements de l'entreprise et de ses nombreux sous-traitants. Elle s'appuie notamment sur des visites et des recueils de témoignages effectués sur place en novembre 2014.
Des heures supplémentaires obligatoires, selon Sherpa
Contacté par francetv info, jeudi, Vinci détaille, point par point, les conditions de vie et de travail telles que le groupe affirme les appliquer. Elles correspondent, en fait, aux dispositions prévues par la loi qatarie. Nombre d'heures de travail maximum ? Huit par jour, "plus deux heures supplémentaires". Vacances ? Six semaines tous les deux ans, plus les 11 jours fériés prévus au Qatar. Hébergement ? Jamais plus de quatre personnes par chambre. Passeports ? Jusqu'en janvier, ils étaient déposés auprès de l'employeur pour "ne pas prendre le risque de vols". Désormais, ils sont disposés dans des "coffres-forts". Déplacements en dehors des camps ? "Libres, bien sûr."
Selon Marie-Laure Guislain, responsable du contentieux RSE au sein de Sherpa, qui s'est rendue au Qatar en novembre, les ouvriers ne racontent pas la même chose. Sur la question des heures supplémentaires, par exemple, "la loi qatarie autorise douze heures supplémentaires par semaine. De nombreux ouvriers en font, en réalité, 18, et elles sont comprises dans le salaire de base." Le seul jour de libre de la semaine, le vendredi, est réservé à la laverie. "Ils ont le droit de sortir, mais n'ont pas de voiture, et autour d'eux, il n'y a rien à faire, pas même de magasins", témoigne Marie-Laure Guislain.
Des ouvriers plus ou moins bien lotis
Tous les ouvriers ne sont pas logés à la même enseigne, selon l'ONG. Des salariés "directs" de Vinci, qui en compte environ 3 200, bénéficient de meilleures conditions de vie : une chambre individuelle, un ordinateur, etc. D'autres, plus nombreux, qui dépendent du sous-traitant QDVC, seraient moins bien lotis. "Il arrive que le repas, censé être préparé par une équipe dédiée, ne soit pas fourni, et qu'on leur donne un petit pécule pour acheter à manger ailleurs", affirme Marie-Laure Guislain.
Les contrats de ces ouvriers, généralement originaires d'Inde ou du Népal, sont prévus pour une durée de deux ans. Selon Sherpa, les vacances accordées correspondent, en fait, à la période de carence entre deux contrats. Des congés non rémunérés, donc. "Les gens ont peur de se faire licencier, car la plupart du temps, ils n'ont pas d'indemnités de licenciement. Et sans contrat de travail, ils sont expulsés du Qatar", estime l'association.
"L'esclavage moderne, ce ne sont pas de grands coups de fouet"
Le PDG de Vinci reconnaît, dans Le Figaro, "ne pas pouvoir s'engager à 100% sur ce qui se passe dans son entreprise et sur ses chantiers". Il indique avoir "blacklisté" une dizaine de sous-traitants depuis un an. "Nous avons inséré des clauses sociales exigeantes dans nos contrats", plaide Xavier Huillard, qui vante l'attractivité de son groupe pour ces personnels. "Plus de 70% de nos ouvriers en fin de contrat décident, en rentrant de vacances, de revenir chez QDVC pour signer un nouveau contrat de deux ans", assure l'entreprise.
Un argument qui ne tient pas la route, selon Sherpa. Le salaire le plus bas, celui d'un ouvrier non qualifié, est d'environ de 200 euros par mois, dans un pays où le salaire moyen est de 8 500 euros par mois. "Ces 200 euros, c'est toujours plus qu'en Inde ou au Népal, reconnaît Marie-Laure Guislain. Mais cela ne justifie pas les pratiques de Vinci. L'esclavage moderne, ce ne sont pas de grands coups de fouet et des chaînes aux pieds. Le fait de donner son accord pour travailler n'enlève pas la notion de violence. Cette population vulnérable n'a d'autre choix que d'accepter d'être contrainte pour une rémunération sans rapport avec le travail fourni."
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