Coupe de France : à l'image de la finale PSG-Fleury, l'Ile-de-France domine-t-elle vraiment sur le football féminin ?
Le sommet du football féminin français a rendez-vous, samedi 4 mai, à Montpellier, terre des pionnières de la discipline, entre deux clubs franciliens : le Paris Saint-Germain et le FC Fleury 91. Une grande première dans la courte histoire de la Coupe de France féminine, dont la première finale a eu lieu en 2002 entre Toulouse et le FC Lyon. La qualification des deux clubs, après l'éviction du Paris FC par le Paris Saint-Germain en demi-finales, marque la montée en puissance du football féminin en Ile-de-France, même si elle agit en trompe l'œil.
La région compte bien trois clubs de première division, sur 12, là où seul le Paris Saint-Germain évolue dans l'élite chez les garçons. Mais son poids sur l'ensemble du football féminin – français et international – est loin d'être comparable avec le football masculin. Souvent qualifiée de "plus grand vivier du monde", la région fournit 10% des joueurs du top 5 européen chez les hommes. Le ratio est trois fois moins élevé côté féminin, avec seulement 3,67% de joueuses issues d'Ile-de-France évoluant dans l'élite du Vieux continent, essentiellement en D1 Arkema (55 des 61 joueuses recensées dans le top 5 européen).
Des talents franciliens en "déperdition"
La différence se fait aussi ressentir en équipe de France. Sur les 23 joueuses appelées par Hervé Renard lors du dernier rassemblement de l'équipe de France féminine, seules cinq sont formées dans la région, contre 13 parmi les derniers nommés de Didier Deschamps. "Il n'y pas de problème de talent en Ile-de-France", assure pourtant Antoine Ferreira, coordinateur du recrutement de la section féminine du Paris FC depuis plus de quatre ans. Mais si ces jeunes joueuses prometteuses n'accèdent pas au haut niveau, c'est davantage en raison d'un problème structurel.
"On n'est pas sur le même système que les garçons, compare Fabrice Abriel, entraîneur du FC Fleury 91. Tous les clubs n'ont pas de centre de formation, encore moins de pré-formation [entre 11 et 15 ans]. Il n'y a pas de championnat moins de 17 ans national, jusqu'à 15 ans les filles évoluent encore avec les garçons…" Un problème national donc, mais accentué par certaines tendances propres à l'Ile-de-France. Parcourant la région en quête de nouveaux talents pour la formation du Paris FC, Antoine Ferreira constate une "déperdition" des talents franciliens.
La raison ? Des éducateurs parisiens un peu frileux avec leurs jeunes pousses en club, qui les incitent à rejoindre des clubs loin de l'Ile-de-France, pourtant riche en clubs féminins, afin de s'affirmer dans les neuf autres clubs du championnat de France. Mais dans un football féminin quasi-amateur, peu d'entités sont en mesure de fournir les moyens humains et financiers nécessaires au bon accompagnement de ces déracinées du football. Un club de D1 Arkema héberge par exemple certaines de ses jeunes Franciliennes, mineures, dans des Airbnb loués par la direction et mis à disposition le week-end, sans surveillance, pour éviter qu'elles ne fassent l'aller-retour.
"Le manque de structures du football féminin, ce sont les joueuses qui le paient."
Antoine Ferreira, coordinateur du recrutement féminin du Paris FCà franceinfo: sport
"Il y a de nombreuses joueuses avec énormément de talent que j'ai connues en Ile-de-France, qui sont trois fois plus fortes que certaines, que j'ai connues au même âge, qui évoluent en D1 aujourd'hui. Mais elles, elles ont été accompagnées", déplore Antoine Ferreira.
Les clubs parisiens qui ont pris conscience du problème ont peu à peu misé sur la formation locale pour garnir leurs équipes fanions. Le coordinateur du recrutement féminin pour le PSG raconte comment son club a cessé de compter uniquement sur les talents venus de l'extérieur pour se concentrer sur ses Titis, à l'image des Jade Le Guilly ou Laurina Fazer, toujours au club aujourd'hui : "Avec cette génération de 2003-2004, on a réussi à faire comprendre au club que tu as quand même une formation de très haut niveau, donc il faut que tu t'appuies dessus."
Des centres de formation à venir
Les plus jeunes joueuses franciliennes profitent des améliorations structurelles faites par le Paris Saint-Germain et le Paris FC dans l'accueil, la formation, l'organisation sportive, les staffs… "On pourrait croire qu'elles sont nées au bon moment, mais c'est surtout que les clubs se sont organisés pour qu'elles puissent s'épanouir et continuer de progresser", appuie-t-il, afin de proposer les projets de développement manquant jusqu'alors.
La Fédération française de football aussi a récemment mis son grain de sel en obligeant les futurs pensionnaires de la Ligue de football féminin professionnel à posséder un centre de formation. Chaque club devra intégrer au moins 30 joueuses âgées de 15 à 20 ans à sa propre structure, suivant un cahier des charges semblable à celui mis en place pour obtenir l'agrément chez les garçons. Une petite révolution dans le football féminin, mais qui ne fait qu'imposer le minimum à une discipline déjà bien en retard.
La pré-formation justement sera le nouveau rôle des Pôles espoirs, un domaine totalement nouveau pour le football féminin français. Jusqu'ici, ces huit pôles étaient les uniques lieux de formation féminine reconnus à travers la France, avec un seul basé en région parisienne : celui de Clairefontaine. Seuls l'Olympique lyonnais puis le Paris Saint-Germain pouvaient se targuer d'offrir les mêmes infrastructures, voire mieux. Dans le football masculin, ces pôles ne sont que peu considérés et y entrer n'est en aucun cas l'assurance de finir professionnel. Mais faute d'autres structures proposées aux quatre coins de la France, ils ont longtemps gardé une forte importance dans le football féminin.
Un football féminin encore très régionalisé
"Une joueuse qui est en pôle est cotée, explique Antoine Ferreira. Les clubs qui n'ont pas de cellule de recrutement aujourd'hui vont directement chercher dans les pôles. On va dire qu'elle a une porte ouverte dans un club professionnel plus facilement qu'une joueuse lambda." La meilleure répartition géographique de la formation féminine induite par ces pôles se ressent jusqu'en équipe de France : les 23 dernières joueuses appelées par Hervé Renard étaient issues de 14 régions différentes.
D'ailleurs, au dernier recensement en avril 2024, la région comptant le plus de licenciées était… l'Auvergne-Rhône-Alpes, avec ses 31 685 joueuses. L'Ile-de-France n'est certes pas loin derrière avec ses 29 873 licenciées, mais loin des 304 089 joueurs masculins dénombrés dans la région. "Ce n'est pas évident d'être une jeune fille qui veut jouer au foot à Paris, parce que tu n'auras pas forcément de place au sein d'une équipe féminine. Donc, parfois, tu joues dans une équipe de garçons, tu peux avoir des problèmes liés aux vestiaires, comment je me change quand je viens, comment je m'intègre, etc.", pointe le coordinateur du recrutement du Paris FC.
Des joueuses franciliennes qui préfèrent les cities
La faute aussi parfois à certains entourages conservateurs. "Pour éviter de faire face à ça, tu as énormément de jeunes filles qui ne s'inscrivent pas en club mais qui jouent quand même au foot : en bas de chez elles, au City-stade…" Et qui ne comptent donc pas parmi les licenciées de la FFF. Le problème est aussi lié à la crise des terrains que traverse l'Ile-de-France, où faute de stades disponibles, les équipes féminines sont souvent celles à qui on retire les séances d'entrainements. La crise du Covid a aussi poussé certains clubs à couper dans leur budget et à sacrifier… la section féminine.
Et puisque l'argent est le nerf de la guerre, l'absence d'indemnité de formation dans le football féminin – argent reversé aux clubs amateurs lorsqu'un jeune formé au club signe comme stagiaire dans un club professionnel – n'encourage pas forcément les équipes formatrices chez les garçons à mettre les moyens sur les filles. "Ce serait intéressant que l'investissement qui est mis au sein des sections féminines des clubs puisse avoir une certaine récompense", appuie Mohamed Coulibaly, dont le club de l'AAS Sarcelles compte aujourd'hui deux de ses anciennes joueuses dans l'équipe première du Paris Saint-Germain (Naolia Traoré et Anaïs Ebayilin).
"Il y a un avenir qui s'annonce radieux pour le football féminin francilien."
Mohamed Coulibaly, responsable technique des jeunes de l'AAS Sarcellesà franceinfo: sport
Le formateur constate d'ailleurs que le PSG a peu à peu pris la place de l'Olympique lyonnais dans le coeur des jeunes franciliennes, qui se retrouvent de plus en plus dans l'effectif parisien, composé de pas moins de 17 joueuses issues dans la région. La plupart d'entre elles évoluent aussi en équipe de France jeunes et forment ces nouvelles générations de Parisiennes qui profitent enfin des structures mises en place ces dernières années. Sur la dernière liste des moins de 23 ans tricolores, huit joueuses étaient formées en Ile-de-France et quatre autres – Vicki Becho, Naomie Feller, Laurina Fazer et Jade Le Guilly – sont dans l'entre-deux équipe de France A et U23.
"Le circuit commence à s'inverser et de plus en plus de joueuses, de parents, même d'éducateurs sont sensibles au projet du PSG, de Fleury ou du Paris FC. C'est une bonne chose pour nous si on arrive à garder les gros talents de l'énorme vivier que représente l'Ile-de-France. Et j'espère que dans les cinq, six ou sept années à venir, l'équipe de France aura à peu près la même composition que celle des garçons", analyse Antoine Ferreira.
Depuis Sarcelles, Mohamed Coulibaly voit le nombre de petites filles venant pour s'inscrire au football grimper en flèche, signe pour lui du "gros travail" de la Ligue de Paris pour féminiser ses adhérents. Les nombreuses invitations aux matchs envoyées par les trois clubs professionnels franciliens aux clubs amateurs de la région permettent aussi aux plus jeunes de rêver d'une carrière de footballeuse, là où les joueuses actuelles de l'équipe de France ont souvent grandi sans idole, et encore moins de modèles locales.
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