D1 Arkema : avec les meilleures affiches désormais à 21 heures, la programmation sert-elle vraiment la promotion du football féminin en France ?
"Il faut reconnaître que nous avons une audience plus jeune, donc programmer les matchs en soirée, ce n’est peut-être pas le meilleur horaire, particulièrement si les enfants ont cours le lendemain". Cette citation de la baronne Sue Campbell, directrice du football féminin à la fédération anglaise, le 5 juillet dernier, n’a visiblement pas inspiré les décideurs de la programmation de la D1 Arkema. Alors que le championnat anglais se développe à grande vitesse et que ses matchs, tous placés en après-midi, attirent 7 000 spectateurs de moyenne (contre 841 en France la saison dernière), le championnat de France programme, lui, ses meilleures rencontres le vendredi et le dimanche soir à 21h. Un horaire qui ne convainc pas un public plus familial que celui du football masculin, et place la D1 en concurrence avec la Ligue 1.
"Pour les matchs à domicile, on était en moyenne une petite centaine la saison dernière. Cette saison, on est plutôt une cinquantaine". Une diminution du nombre de supporters en tribunes, c’est ce qu’observe Coralie Soyer, secrétaire de la section OL Ang’elles, qui supporte l’Olympique lyonnais. Le club rhodanien, 16 fois champion de France, est abonné aux matchs dits "premium", programmés à 21 heures cette saison. "On a pas mal d’adhésions familiales. Et quand les filles jouent leurs grands matchs au Groupama Stadium, le club invite les écoles de foot. Mais les matchs à 21 heures, pour les familles, c’est inconcevable quand les enfants ont école le lendemain, et quand les températures baissent, commente Coralie Soyer. Je pense que cette programmation est un frein à la fidélisation du public dans les stades".
Et si deux matchs par journée de championnat sont programmés à 21 heures, les quatre autres sont disputés le samedi après-midi, à 14h30 ou 15 heures. "Les petites ont souvent des tournois à cette heure-là, donc elles ne peuvent pas venir au stade. Il y a 10 ans, on jouait le dimanche après-midi, et les petites pouvaient venir avec leurs parents. Ou bien le samedi mais un peu plus tard, comme ça elles jouaient avant", argumente Laëtitia Philippe, gardienne du Havre.
Des résultats mitigés sur les affluences
Outre la frange plus familiale des tribunes, d’autres supporters se plaignent aussi des matchs à 21 heures, qui les empêchent de suivre leur club en déplacement. "Pour mobiliser des adhérents sur le déplacement au Havre un vendredi soir, ça a été compliqué, parce qu’il fallait poser une journée. En général on peut être une vingtaine, et là on s’est retrouvé à 5 ou 6", poursuit Coralie Soyer.
"Il y a des personnes qui se mettent en difficulté, en rentrant le lundi matin à 5h pour être au travail à 8 heures, afin qu’on soit un nombre suffisant pour organiser le déplacement. On fait même des déplacements à perte économiquement."
Coralie Soyer, secrétaire des OL Ang'ellesà franceinfo: sport
Au niveau des affluences communiquées par certains clubs, les résultats sont en demi-teinte. Dijon a reçu le PSG un dimanche à 21 heures devant 1 200 personnes, malgré une opération billetterie à deux euros, contre 2 330 personnes la saison dernière, un dimanche à 14h45. Les Girondines de Bordeaux ont, quant à elles, reçu les Parisiennes devant 2 463 spectateurs un dimanche à 21 heures, contre 1 508 la saison dernière, un dimanche à 14 heures. Un décompte positif, mais la différence de stade vient fausser la comparaison : le match, cette saison, s’est déroulé au stade Chaban-Delmas, plus grand et situé près du centre de Bordeaux, alors qu’il avait eu lieu au stade Sainte-Germaine du Bouscat, dans la banlieue bordelaise, la saison dernière.
Le Stade de Reims a quant à lui reçu Lyon un dimanche soir à 21 heures en présence de 1 831 spectateurs. C’est plus que la saison dernière (1 311 pour le même match, un dimanche à 12h45), mais la section masculine jouait le même jour à 15 heures à Toulouse, et des supporters avaient donc fait le déplacement en Occitanie.
Un abonnement nécessaire pour regarder les deux matchs "premium"
Cette concurrence entre les matchs de D1 Arkema et de Ligue 1 se retrouve cette saison, avec des matchs du championnat masculin le vendredi et le dimanche soir. Une situation qui place parfois les rencontres de deux équipes d’un même club en même temps, ce qui oblige les supporters à faire un choix entre les deux sections. "Etre en concurrence avec la Ligue 1, ce n’est pas l’idéal", reconnaissait Sonia Bompastor, l’entraîneure de Lyon, après le déplacement de son équipe à Paris. "On sait bien que même la meilleure affiche de D1 Arkema ne peut pas concurrencer une affiche de Ligue 1. Et je doute énormément que des gens s'abonnent à Canal+ pour voir les meilleurs matchs de D1", déplore Laëtitia Philippe. Contacté, Canal+, co-diffuseur des deux matchs en prime time avec Dazn, n’a pas communiqué les audiences qu’il réalise sur ces matchs à 21 heures.
La chaîne cryptée assure qu’elle n’a pas choisi ces horaires et qu’ils avaient été inscrits par la Fédération française de football (FFF) dans son appel d’offres pour les droits TV du football féminin. Ils ne figurent pourtant pas dans le règlement du championnat, dont l'article 15 précise qu'"en D1 Arkema, les rencontres se déroulent en principe le samedi à 14h30". Le diffuseur, qui propose trois matchs en clair cette saison, vante plutôt sa couverture du championnat, au-delà des matchs, avec des résumés dans le Canal Football Club et une nouvelle émission de debrief des rencontres, le dimanche. "On ne peut pas d’un côté se plaindre que le sport féminin n’est pas assez médiatisé et diffusé en prime time, puis ensuite se plaindre quand il est programmé à 21 heures ou diffusé gratuitement en ligne", tempère Magali Tezenas du Montcel, directrice générale de Sporsora, organisation spécialiste du développement de l'économie du sport.
"La saison dernière, tous les matchs étaient sur Canal+ et les horaires variaient selon les week-ends. On a plus de stabilité, de lisibilité et de gratuité cette saison", défend Gilles Galinier, directeur de la communication d'Arkema, le sponsor du championnat. "Il est aussi préférable de recevoir des droits TV de la part de Canal+, qui vont aider les championnats et les clubs dans leur modèle économique, plutôt que de proposer un championnat en diffusion gratuite mais avec des droits TV moindres" ajoute Magali Tezenas du Montcel. Pour autant, même les rencontres programmées l’après-midi et diffusées gratuitement en ligne sur Dailymotion ne semblent pas satisfaire les spectateurs.
"Pour moi, le championnat est moins bien diffusé qu’avant... Mes parents regardent et parfois le soleil est en face donc on ne voit pas la moitié du terrain, et quand il pleut, il y a des gouttes sur la seule caméra, déplore Laëtitia Philippe. La fédération, entre ce qu’ils disent, ce qu’ils font vraiment et ce qui en ressort, ce n’est pas du tout un effet de promotion du foot féminin". Contactée, la FFF n'a pas répondu à nos sollicitations. Le contrat de droits TV signé en juin dernier s'étend jusqu'en 2029.
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