Foot féminin : Pourquoi la France a-t-elle un train de retard sur la professionnalisation des joueuses ?
Il y a un an, la France accueillait la grand messe du football féminin. Le Mondial fut une réussite, et ce, même sans un parcours héroïque des Bleues (qui se sont tout de même hissées jusqu’en quarts de finale). A l’époque, de nombreuses voix promettaient monts et merveilles au foot féminin après cette compétition. Quatre sénatrices avaient par exemple rédigé un rapport suggérant le rattachement du football féminin à la Ligue de Football professionnel (LFP). Le rapport soulignait que le « contexte (était) globalement favorable au développement du football féminin ». Un an plus tard, rien n’a changé en ce qui concerne le statut des footballeuses en France tandis que, dans le même temps, l’Espagne et l’Italie ont annoncé le passage de leur championnat chez les professionnels.
· Contrat fédéral, statut amateur ou semi-pro... On s'y perd
Aujourd’hui, une footballeuse de D1 ou de D2 française peut se trouver, pour simplifier, dans trois cas de figure, comme le démontre une enquête de Fifpro qui date de 2017.
Il y a d’abord celles qui sont en « contrat fédéral », c’est-à-dire sous un contrat régi par la convention nationale collective des sports. "Là où les garçons ont un vrai statut adapté au métier de footballeur, les filles se retrouvent dans les mêmes conditions de salariat qu’un gardien de gymnase par exemple", explique Fabien Safanjon, vice-président du syndicat des footballeurs professionnels (UNFP). Dans leur cas donc, il y a bien un salaire minimal, mais qui n’est même pas négocié par un syndicat qui les représente comme pour les footballeurs avec l’UNFP. Résultat : le salaire minimum "dépasse à peine le SMIC" d’après Camille Delzant, conseillère juridique à l’UNFP. 160 joueuses sont en contrat fédéral, dont la moitié à temps partiel.
« Elles ne se sentent pas valorisées »
A cette minorité s’en ajoute une autre : celle des amatrices. Ces joueuses n’ont aucun contrat de travail ni aucune rémunération directe liée à leur activité de footballeuse. "Officiellement, il n’y a rien, détaille Camille Delzant. Elles sont simplement licenciées à la Fédération. Officieusement, il y a dans la plupart des cas des défraiements occasionnels, des frais de déplacement, mais rien de régulier". Ces joueuses n’ont d’autre choix que de travailler en parallèle de leur carrière de footballeuse. "J’ai des filles qui vont bosser de 8h à 18h et qui débarquent à l’entraînement après, témoigne Amandine Miquel, entraîneure du Stade de Reims. Alors forcément, il y a des inégalités, elles progressent moins vite que celles qui sont à temps plein sur le foot ou qui arrivent fraîches à l’entraînement. Les écarts se creusent et elles n’y peuvent rien".
Dans certains cas, elles jettent l’éponge au bout de quelques années de double-vie. "Bien sûr qu’il m’est déjà arrivé de perdre des joueuses à cause de ça, dit-elle. Elles étaient à bout. A un moment donné elles en arrivent à un point où elles doivent choisir entre foot et travail ou études. Et ce n’est pas qu’une histoire de salaire : il y a l’état des vestiaires, le terrain d’entraînement, c’est un tout qui fait qu’elles ne se sentent pas valorisées dans leur pratique du football".
Enfin, il y a celles que l’on appelle les "semi-professionnelles" (terme qui n’a aucune réalité juridique). La majorité des joueuses se situe dans cette catégorie fourre-tout : elles sont soit en contrat d’apprentissage, et donc à la fois étudiantes et footballeuses, soit dans une sorte de contrat de travail hybride qui leur permet de vivre de leur football, mais souvent à l’extrême-limite. La plupart ont besoin de compléments de revenus pour boucler les fins de mois.
Accorder un véritable statut professionnel aux footballeuses permettrait d’uniformiser un minimum ces différents cas. Aujourd’hui, le fossé est réel entre d'un côté les joueuses qui tiennent les premiers rôles dans des gros clubs tels que Lyon ou PSG et de l'autre, des joueuses moins starifiées. Selon l'enquête de Fifpro, avec un salaire annuel moyen de 43 497 euros, la Division 1 féminine était le championnat le plus rémunérateur dans le monde en 2017 devant les championnats allemands (38 209 euros), anglais (30 891 euros) et américains (23 638 euros). Le niveau des salaires moyens des joueuses de l’Olympique Lyonnais (162 000 €) et du PSG (127 000 €) explique la place du championnat français. Mais, au niveau mondial, 60 % des joueuses gagnent entre 1 et un peu plus de 500 euros par mois, tandis que 1 % des joueuses perçoivent plus de 7 000 euros par mois. Ce sont des inégalités qui apparaissent inévitables en France dans la mesure où une partie des joueuses n’a pas de contrat de travail, et donc pas de rémunération minimale.
· Frein culturel, manque de structures... La France à la traîne
"Je pense qu'il y a, quelque part, une sorte de frein culturel, estime Fabien Safanjon de l'UNFP. Il faut qu’on avance, qu’on apprenne à comprendre que le foot est aussi pratiqué par les filles. Aujourd'hui, nous n'en sommes plus là, on parle parité, d'égalité, il faut que tous les acteurs du monde du foot se réveillent". D'après Olivier Blanc, responsable de l'équipe féminine de l'Olympique Lyonnais, il s'agit aussi d'une prise de conscience tardive. "En termes de résultats sportifs, on est devant. Mais en termes de structuration, il nous faut une prise de conscience généralisée. Surtout de la part des dirigeants de clubs, il faut que l'impulsion vienne de là".
Le formidable coup de boost qu’aurait pu provoquer le Mondial à domicile n’a fait que confirmer, pour le moment, cet immobilisme national. Amandine Miquel, entraîneure du Stade de Reims féminin, ne mâche pas ses mots : "Si ça a changé depuis le Mondial ? J’ai envie de vous dire oui. Mais très franchement, il n’y a pas de mieux. J’ai toujours 35 personnes dans les tribunes sur certains matches. Ah non, 34, pardon", ironise-t-elle. Le public, l’audience, la popularité : c’est évidemment le nœud du problème, à la fois l’argument et le contre-argument pour ceux qui militent pour un foot féminin professionnel.
"Pourquoi les joueuses n’ont pas de contrat professionnel ? Ecoutez, votre question n’a pas de sens, nous a-t-on fraîchement rétorqué au Grenoble FC. Il faut juste se demander : où est l’argent ? Il faut d’abord qu’il y ait des financements. Ensuite on regardera s’il faut qu’elles soient professionnelles ou non."
. Droits télé, le nerf de la guerre
Actuellement, un club comme l'Olympique lyonnais, la référence en Europe, ne dispose que d'un budget oscillant entre 7 et 8 millions d'euros. Seule une réévaluation massive des droits télé et des contrats de sponsoring pourrait augmenter la marge de manœuvre des clubs.
Or, en termes de droits télé, la problématique est d’abord mondiale. Sur la manne financière que représentent les droits télévisés dans le football mondial, seulement "1% revient au football féminin. C'est inacceptable", s'était indignée en 2019 Fatma Samoura la secrétaire générale de la FIFA. De fait, "la Coupe du monde féminine est commercialisée aujourd'hui comme un sous-produit de la Coupe du monde des hommes", avait-elle reconnu.
En France, il est frappant de constater le retard pris sur les voisins en termes de droits télé, malgré les deux mastodontes que sont le PSG et l'Olympique Lyonnais. Le groupe Canal s’est procuré les droits de la D1 pour 1,2 millions d’euros par an jusqu’en 2022. En Espagne, Mediapro paie 3 millions d’euros par an. "Peut-être faut-il que nos instances rendent notre championnat plus attractif aussi ?", suggère Amandine Miquel l’entraîneure du Stade de Reims. La Fédération multiplie pourtant les campagnes de promotion depuis quelques années, entre clips promotionnels, semaine du football féminin, ou guide du développement de la pratique du foot dans tous les clubs. Mais est-ce suffisant, et surtout, est-ce ciblé en direction des acteurs décisifs que sont les diffuseurs télé, dans un secteur (la diffusion des sports en direct) qui est pourtant en constante croissance depuis une dizaine d’années ?
· Un frémissement positif
C’est justement du domaine des droits TV qu’est venue la première esquisse de progrès, il y a quelques semaines. Le 21 mai dernier un collège de Ligue 1 a acté une dotation de 6 millions d’euros au football féminin, issue des nouveaux droits TV de la Ligue 1 et de la Ligue 2. Sur le modèle de la Premier League, le foot féminin bénéficie désormais d’une (petite) partie des droits télé des garçons. "C’est un bon signal pour la suite" estime Fabien Safanjon, vice-président de l’UNFP. "Mais il faudra que la Fédération et la Ligue travaillent sur cette base, et sans tarder, pour concrétiser un véritable modèle économique", poursuit-il.
"Sans tarder", car mine de rien, l’annonce de la professionnalisation en Espagne et en Italie a fait l’effet d’une piqûre soudaine et un peu douloureuse, comme en témoigne Amandine Miquel, entraîneure au Stade de Reims : "On a bien compris qu’il y avait une volonté, mais la volonté est très progressive. Tant qu'on avait de l'avance, ça allait. Mais là, les autres se réveillent, il faut qu’on se mette au rythme. Moi j’ai des filles qui veulent partir, ou qui sont déjà parties, parce que les conditions de travail deviennent meilleures chez nos voisins".
Le développement du football féminin en France semble arriver à un carrefour. Le virage de la professionnalisation ne doit surtout pas être manqué ou pris trop tard, d’après Fabien Safanjon : "La Coupe du Monde a pris beaucoup de temps à la Fédération, leur stratégie était d’en faire un vrai succès et de consolider les acquis de cette période. Donner un accès au football à un grand nombre de jeunes filles en France, développer la pratique, c’est ce qu’ils ont fait sur la dernière année. Mais désormais il faut passer à la vitesse supérieure."
Début juillet, Ada Hegerberg, première lauréate du Ballon d'Or féminin, véritable star de la D1 féminine en France, glissait dans son interview à l'Equipe : "Il ne faut pas que la France dorme".
Le "monde d'après", est-ce pour tout de suite en foot féminin ? Du côté de la Fédération, si on n'exclut pas des avancées prochaines, on martèle : "L'important est de prendre le temps de structurer avant de faire n'importe quoi". A l'UNFP, le diagnostic est plutôt à l'urgence d'agir. "Nous avons fait plusieurs appels du pied à la Fédération, nous n’avons pas eu de réponse pour l’instant, indique Fabien Safanjon. Mais je pense que les choses vont bouger dans les prochaines semaines. C’est le moment de le faire. Il va falloir trouver le modèle adéquat."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.