Disparition de Diego Maradona : entre Naples et el Pibe de Oro, une passion inaltérable
À peine l'annonce de la mort de Diego Armando Maradona était-elle officielle que des dizaines, voire des centaines de personnes descendaient dans les rues de Naples ce mercredi pour aller rendre hommage à l'un des plus grands joueurs de l'histoire du football mondial au pied des nombreuses fresques le représentant dans les rues de la ville du sud de l'Italie. Un mouvement de foule, si particulier durant cette année 2020 qui aura fait tant de dégâts, à l'image de la relation intense et passionnelle qu'entretenait Maradona avec la ville de Naples.
L'attachement viscéral de Naples au Pibe de Oro a pourtant été fait de hauts et de bas, à l'image de la carrière de Maradona, toujours entre ange et démon. À l'été 1984, le numéro 10 argentin - qui n'est pas encore le joueur de légende dont la disparition impacte l'ensemble du monde du sport aujourd'hui - débarque dans le sud de l'Italie en provenance du FC Barcelone. Naples, l'une des villes les plus pauvres du pays, s'offre alors le joueur le plus cher du monde. La passion naît le 5 juillet 1984, lorsque Maradona est présenté devant 75 000 spectateurs dans un stade San Paolo en fusion.
Dès lors, le mythe prend forme. Médiocre club de Serie A, qui n'a gagné que deux Coupes d'Italie dans son histoire, le Napoli prend une autre dimension avec sa nouvelle star. Trois saisons après son arrivée, en 1987, Maradona mène les Azzurri à leur premier titre de champion d'Italie. Avec D10S, le club napolitain remportera un nouveau sacre en Serie A en 1990, une Coupe d'Italie en 1987, une Supercoupe d'Italie en 1990 et sa première Coupe d'Europe en 1989.
Maradona, effigie du Sud contre le Nord
Au-delà du sportif, Maradona, qui s'est toujours revendiqué de gauche, séduit le public napolitain par des prises de position controversées à l'encontre de l'establishment. Dans un pays à deux vitesses où le Nord profite davantage des avancées sociales et économiques que le Sud, les multiples victoires de Naples apparaissent comme une revanche dans un championnat dominé par l'AC Milan, la Juventus ou encore l'Inter. Le tout avec Maradona comme tête de gondole. "Il nous a fait relever la tête face à l'Italie du Nord. L'Italie qui nous déteste. Je ne l'oublierai jamais", déclarait ainsi Antonio Esposito, supporter de Naples, dans un article publié en 1996 par Libération.
Élevé dans un milieu modeste, Maradona s'épanouit durant sept ans dans une ville à son image. "Je m'y suis tout de suite senti comme un poisson dans l'eau. J'ai tout de suite aimé cette ville, car elle me faisait penser à mes origines", déclarait le Pibe de Oro dans son autobiographie Ma Vérité, parue en 2016. Les Napolitains n'hésitent pas à le comparer à Masaniello, révolutionnaire de la ville qui s'était opposé au 17e siècle à l'occupation de la cité par la couronne espagnole. Adulé pour ses performances sur les terrains, Maradona sent bien que Naples le lui rend bien.
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Mais dans le sud de l'Italie, D10S révèle également son côté obscur. Proche de l'organisation mafieuse de la Camorra, Maradona trempe dans des affaires louches. Et découvre la cocaïne, qui entraînera la fin de son aventure napolitaine. Le 17 mars 1991, le numéro 10 argentin est contrôlé positif à la poudre blanche après une rencontre face à Bari. Suspendu quinze mois, son départ prend forme. En réalité, l'histoire d'amour entre Naples et Maradona a déjà pris un gros coup derrière la tête un an plus tôt, lors de la Coupe du monde 1990 qui se déroule en Italie.
Une rupture douloureuse
En demi-finales de la compétition, l'Argentin élimine l'Italie au stade San Paolo de Naples aux tirs au but. La ville est divisée, en témoigne l'une des banderoles affichées dans le stade ce jour-là : "Maradona, Naples t'aime, mais l'Italie est notre patrie". Conspué, hué par le public du San Paolo même si d'autres le soutiennent et fêteront même la victoire argentine, Maradona voit ses soutiens dans la ville le lâcher, comme le dévoile le documentaire réalisé par Asif Kapadia sur la légende argentine et sorti en 2019. À l'époque, des campagnes de communication dépeignent un Maradona perverti et une influence négative du Pibe de Oro sur la jeunesse napolitaine.
Pourtant, malgré son départ et sa signature à Séville en 1992 vécue comme une forme de trahison, Maradona est resté à Naples l'idole qu'il a été pendant sept ans. Une passion intacte et inaltérable décrite par le chercheur Vittorio Dini dans un article scientifique publié en 1994 : "Dans cette ville, l'effet d'une campagne de moralisation peut engendrer des résultats opposés à ceux des buts recherchés. Il a suffi que Maradona réapparaisse dans les stades (...) pour que le souvenir, la nostalgie et la passion fassent renaître un mythe qui était demeuré vivace." Autrement dit, la stigmatisation du côté obscur de Maradona n'aura fait que renforcer le mythe du numéro 10 à Naples.
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Aujourd'hui encore, la ville de Naples est marquée par Maradona. L'inverse était vrai. En juin dernier, le numéro 10 posait avec le maillot du Napoli suite à la victoire du club en Coupe d'Italie. A l'annonce de sa disparition, le président du club Aurelio de Laurentiis a évoqué la possibilité de renommer le stade du Napoli en stade San Paolo-Maradona. Contre Rijeka, jeudi en Ligue Europa, Naples devrait retransmettre des images du Pibe de Oro pendant la rencontre. De beaux hommages pour la légende argentine qui laisse le monde du football pantois ce mercredi. En revanche, il faudra encore patienter pour voir les supporters napolitains rendre un dernier hommage en entonnant la chanson culte liée à l'une des légendes de la ville : "O mamma, o mamma, sai perché mi batte il corazon. Ho visto Maradona. O mamma, innamoroto sono !" ("Ô Maman, ô maman, sais-tu pourquoi mon cœur bat ? J'ai vu Maradona. Ô maman, je suis amoureux !")
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