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Enquête Violences dans le foot : des failles dans le système des interdictions de stade

Article rédigé par franceinfo - Géraldine Hallot, Cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les supporters de Lille envahissent la pelouse à la fin du match de Ligue 1 entre Lille et Montpellier, le 10 mars 2018, au stade Pierre Mauroy de Lille. (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

Alors que Gérald Darmanin doit rendre publiques ses propositions pour faire baisser le niveau de violence dans les stades de football, gros plan sur les interdictions de stade. Le gouvernement souhaite renforcer ce dispositif, qui comporte pourtant de véritables failles.

En mars 2019, pour la 29e journée de Ligue 1, l’équipe de Strasbourg se déplace à Nîmes. Quelques jours auparavant, le préfet du Gard a pris un arrêté pour interdire aux supporters alsaciens de se rendre en centre-ville. Ils peuvent venir au stade en voiture ou en bus, mais sans passer par le centre. La préfecture invoque des "risques d'incidents de nature à troubler l'ordre public en raison d'un antagonisme idéologique politique entre les supporters ultras des clubs nîmois et strasbourgeois".

88 ultras strasbourgeois passent outre. Parmi eux, Franck*, 25 ans. "Nous arrivions en train, or la gare est en centre-ville, nous explique le jeune homme. Un nombre impressionnant de policiers nous attendaient. Ils nous ont emmenés au commissariat et nous n'avons pas pu assister au match."

Quelques temps plus tard, le jeune homme reçoit (ainsi que les autres supporters arrêtés) une interdiction administrative de stade, signée par le préfet. Pendant trois mois, il ne pourra plus aller soutenir son équipe à l'extérieur. Il doit pointer à la gendarmerie à chaque mi-temps. "Sur ma carte d'identité, figurait l'adresse de mes parents, relate Franck. Je devais donc me rendre chaque semaine à la gendarmerie de leur village qui se trouve à 25 minutes de chez moi."

Une gendarmerie fermée à l’heure du match

Lors du match Lille-Strasbourg le 25 septembre 2019, Franck projetait de venir pointer à la mi-temps, précisément comme le prévoit la décision du préfet. Ce jour-là, il aurait dû le faire à 19h45 puisque le match commençait à 19 heures. Mais à 17h30, un coup de fil de la gendarmerie bouscule ses plans : "Pouvez-vous venir tout de suite ? On ne va pas tarder à fermer." Et Franck d'aller pointer... avant le coup d'envoi. Un de ses camarades, raconte-t-il encore, a dû pointer le samedi car la gendarmerie était fermée le dimanche.

"C'est complètement inefficace", juge l'avocat de l'Association nationale des supporters, Pierre Barthélémy. Ce dernier a fait annuler quasiment toutes les interdictions administratives de stade prononcées à l’encontre des ultras strasbourgeois. Le jugement, que la Cellule investigation de Radio France a pu consulter, considère que les supporters n'avaient commis "aucun acte grave". À l'échelle du pays, le chiffre des annulations est édifiant. D'après un décompte du journal L'Équipe, 75% des supporters qui contestent leur interdiction administrative de stade, obtiennent gain de cause devant un tribunal, soit par manque de preuves, soit parce que les actes sont jugés insuffisamment graves pour justifier de telles mesures.

L’embarras des clubs

En dehors du préfet et des tribunaux, les clubs ont eux aussi la possibilité d’interdire de stade certains supporters, depuis la promulgation de la loi Larrivé en 2016. Le sujet a longtemps été tabou, car refuser de vendre un billet à un individu, ou annuler un abonnement, c’est risquer de mécontenter les associations de supporters, notamment les ultras, dont les clubs ont besoin pour assurer le spectacle et faire venir le public. En conséquence, très peu de clubs jusqu’ici ont communiqué sur les interdictions commerciales de stade (ICS), à l’exception du club Paris Saint-Germain (PSG), apparemment soucieux de montrer qu’il agit contre la violence. Néanmoins, devant la recrudescence des incidents, certains acceptent désormais de révéler leurs chiffres.

Nous avons ainsi pu établir que le PSG avait prononcé 230 interdictions commerciales de stade depuis le début de la saison. Les dernières en date touchent les ultras du Block Parisii. À Marseille, le club nous a indiqué que 27 de ses supporters étaient sous le coup d'une interdiction de stade, toutes procédures confondues (interdictions commerciales, administratives et judiciaires). À Lyon, ils sont 10, comme à Saint-Étienne. À Lens, plusieurs dizaines, et à Bordeaux, deux interdictions commerciales de stade ont été prononcées en 2020.

Des interdictions "inefficaces"

Les pouvoirs publics encouragent les clubs à prononcer des ICS mais de nombreux interlocuteurs que nous avons pu joindre les jugent "inefficaces". "Ces mesures, c’est de l'affichage", nous dit sous couvert d'anonymat le responsable sécurité d'un des gros clubs de Ligue 1. "Dans les faits, cela ne sert à rien car on n'a pas les moyens de les contrôler, poursuit-il. Même si on a le nom de l’acheteur sur le billet, rien ne garantit que ce soit bien la personne qui se présente." Et pour cause : les stadiers ne sont pas habilités à contrôler les pièces d'identité, d’ailleurs les billets sont généralement non nominatifs.

Un supporter lensois que nous appellerons Martial, a ainsi vu son abonnement au stade Bollaert-Delelis suspendu à la suite du derby Lens-Lille du 18 septembre 2021. Avec une centaine de supporters, il avait envahi la pelouse à la mi-temps pour aller se frotter aux supporters lillois. Ces derniers avaient arraché des sièges de la tribune visiteurs et les avaient jetés sur les Lensois.
Le Racing Club de Lens a suspendu l’abonnement de Martial, ainsi que celui de dizaines d'autres supporters. "Je ne peux pas aller au stade avec mon propre abonnement mais je pourrais très bien y aller avec celui d'un ami qui ne veut pas aller voir tel ou tel match", fait cependant remarquer Martial. Il affirme ne pas l'avoir fait, bien que ce soit techniquement possible.

D’autant plus que les stadiers appartiennent de plus en plus souvent à des entreprises de sécurité privées. "Ils ne nous connaissent pas, insiste Martial. Ils ne pourraient pas détecter un fraudeur parmi 40 000 supporters.” Une source policière nous le confirme : "Les clubs sont dans l’incapacité d'empêcher leurs interdits de stade de rentrer." Et de conclure "les fraudes existent bien plus qu’on ne le pense".

* Le prénom a été changé

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