Allemagne-France : à neuf mois de son Euro, le football allemand pique sa crise
Au moment d’opter pour un match amical contre l’Allemagne, Didier Deschamps ne s’attendait certainement pas à croiser un ancien compagnon de route vieux de trente ans. Sur le banc de la Mannschaft, mardi 12 septembre à Dortmund, se trouvera Rudi Völler, ex-coéquipier du sélectionneur français lors de la conquête de la Ligue des champions par l’Olympique de Marseille en 1993.
L’ancienne légende du football allemand (63 ans) est sûrement le premier surpris de sa présence mardi comme sélectionneur intérimaire de l’Allemagne. "On avait imaginé la situation totalement différemment", a reconnu Völler lundi, lors d’une conférence de presse où il a été plus question des nombreux travers que connaît actuellement le football allemand que du match amical à venir contre les Bleus.
Si Völler occupera pour cette rencontre un poste qu’il a déjà connu entre 2000 et 2004, c’est parce que la Fédération allemande de football (DFB) a limogé Hansi Flick dimanche, au lendemain d’une lourde défaite contre le Japon (1-4). Le tout à neuf mois de l’Euro 2024 pour lequel l'Allemagne est qualifiée d'office en tant que pays-hôte. "C’est la conséquence d’une des plus grosses crises de l’histoire du foot allemand, si ce n’est la plus grosse", souligne Yannick Hüber, journaliste pour le quotidien Bild, équivalent du L’Équipe local.
"Ce n'était pas possible de continuer dans cette situation"
Lundi, Rudi Völler a régulièrement insisté sur l’inéluctabilité du limogeage de Flick : "Les résultats n’étaient pas au rendez-vous. Ce n’était pas possible de continuer dans cette situation." Flick était déjà passé proche d’une éviction après l’élimination en phase de groupes de la Coupe du monde au Qatar. Désireux de faire sauter un fusible, les dirigeants de la DFB avaient alors écarté Oliver Bierhoff, le directeur sportif, remplacé par… Völler.
Mais depuis le Mondial, les performances de l’Allemagne ont été encore plus catastrophiques : la Mannschaft n’a gagné qu’un seul match en 2023, contre le Pérou en mars (2-0), et vient d’enchaîner cinq rencontres sans victoire, dont quatre défaites. "Flick manquait d’un fil conducteur, ne savait pas trop quoi faire de cette équipe et a tenté des choix forts qu’il n’a pas su expliquer", détaille Sophie Serbini, journaliste pour la radio allemande Deutsche Welle.
Ilkay Gündogan, non sélectionné en mars dernier pour ouvrir la porte à de nouveaux jeunes joueurs, a ainsi été nommé capitaine par Flick au début de ce rassemblement de septembre. Une fonction jusque-là remplie par Joshua Kimmich, rétrogradé au rang de vice-capitaine. D’autres cadres (Antonio Rüdiger, Thomas Müller, Leroy Sané...) ont tour à tour été mis de côté puis réintégrés.
Un désintérêt du public allemand pour la sélection
Le problème ne se cantonne cependant pas à Flick, selon Sophie Serbini : "Il y a des personnalités au sein de l’effectif qui ne vont pas ensemble, avec différentes générations. Et puis au sein de la DFB, on sent qu’il y a une envie de réformer, mais il y a un flou total. On ne sait pas du tout qui fait quoi." La DFB - fédération qui possède le plus de licenciés au monde (7 millions) - s’est inquiétée ces derniers mois des prestations de la sélection et d’une formation allemande de jeunes talents en berne.
Des "task force" ont ainsi été créées en son sein pour tenter d’enrayer la chute du football allemand. Mais les dirigeants de la DFB se tirent dans les pattes, à l’image de la passe d’armes récente entre Hans-Joachim Watzke, membre de l’une des "task force" et patron du Borussia Dortmund, et Hannes Wolf, chargé de la reprise temporaire de l’équipe première aux côtés de Rudi Völler.
"L’intérêt pour la sélection est vraiment au plus bas en ce moment à cause de tout ça", souligne Yannick Hüber. Le journaliste de Bild insiste ainsi sur le fait que "les gens ne s’identifient pas aux joueurs de la nouvelle génération, alors que Bastian Schweinsteiger ou Lukas Podolski étaient des popstars au cours de la Coupe du monde 2006 disputée en Allemagne". Lors des derniers matchs disputés à domicile ces derniers mois, la Mannschaft a rarement rempli ses stades, signe du désamour entre le public allemand et la sélection.
La DFB à la recherche d'un sélectionneur en urgence
L'annonce du limogeage d'Hansi Flick en pleine finale de la Coupe du monde de basket, qu'a remporté l'Allemagne, a ajouté de l'incompréhension. "Ils n'auraient pas dû faire ça", reproche Joachim, chauffeur de taxi à Dortmund. "La Fédération n'est pas sur la même longueur d'onde que les supporters. Pendant deux ans, il n'y a pas eu d'entraînement ouvert au public. Et maintenant que la situation est mauvaise, ils décident de le faire", regrette Joachim, qui assure que pour "regagner le cœur des supporters, il n'y a qu'une chose qui compte : gagner des matchs."
Pour l’Allemagne, la priorité est pour le moment ailleurs : trouver un sélectionneur en urgence alors que le prochain match aura lieu aux États-Unis dans tout juste un mois et que l'Euro approche à grands pas. "Ce qui est important, c’est que le nouveau sélectionneur apporte un regain d’optimisme", a avancé Völler, qui a insisté sur le fait que son intérim n’irait pas au-delà du match contre les Bleus.
Conscient que la Mannschaft aura du mal à remporter son Euro dans neuf mois, la DFB espère au moins ranimer l’intérêt du public pour la sélection avant d'envisager des réformes plus en profondeur. "Beaucoup de gens ne savent même pas qu’il y aura un Euro chez nous l’été prochain", assure Yannick Hüber. Les joueurs allemands espèrent le rappeler mardi soir, en battant une équipe de France grande favorite de cette affiche.
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