Euro 2021 - France-Allemagne : après la révolution et l’usure du pouvoir, le baroud d’honneur de Joachim Löw
Le sélectionneur allemand entame sa dernière compétition à la tête de la Mannschaft, avec pour objectif de restaurer une image ternie par les trois dernières années d'un mandat débuté en 2006.
Son départ était devenu inéluctable et son destin à la tête de la sélection allemande s’est raccourci en l’espace d’un instant. Début mars, Joachim Löw annonçait son départ de la Nationalmannschaft à l’issue de l’Euro 2020, alors que son contrat courait jusqu’à la Coupe du monde 2022. Mais quinze ans après son arrivée comme sélectionneur, et six compétitions internationales disputées - sans compter cet Euro -, Löw ne pouvait plus continuer.
En football, comme en politique, l’usure du pouvoir finit toujours par pointer le bout de son nez. Comme les élus, Löw avait subi les affres des enquêtes d’opinion. En novembre dernier, à la suite d’un revers historique de l’Allemagne contre l’Espagne (0-6), la plus lourde défaite de la sélection depuis 89 ans, les supporters de la Mannschaft avaient parlé, au travers d’un sondage réalisé par l’agence SID : 84% d’entre eux réclamaient le départ de Joachim Löw.
L’expression d’un ras-le-bol des fans et un désaveu terrible pour le sélectionneur, en poste depuis 2006, qui a pourtant révolutionné le football allemand et mené celui-ci aux sommets lors de la Coupe du monde 2014 au Brésil. Avant de sombrer ces trois dernières années, avec pour élément déclencheur la piteuse élimination en phase de groupes du Mondial 2018. Depuis, l’Allemagne cale, l’équipe pratique un jeu qui n’est que la vague caricature de celui qui lui a permis de remporter le Mondial il y a sept ans et la défaite contre la modeste Macédoine du nord en mars dernier (1-2) est venue confirmer les inquiétudes.
Rappeler Müller et Hummels, une décision symbolique
Dans ce contexte, Löw veut sauver les apparences lors de cet Euro 2021. Une dernière compétition pour finir en beauté et se concentrer sur le jeu, rien que le jeu. "S’il voulait avoir un Euro plutôt calme et que le focus soit fait sur l’équipe seulement, la seule solution était d’annoncer son départ", indique Mathias Schneider, journaliste allemand et auteur d’une biographie de Joachim Löw parue en 2018.
Signe que Löw n’a plus que le rectangle vert en tête : après plus de deux ans à avoir tenté de se justifier de se passer des services de Jérôme Boateng, Thomas Müller et Mats Hummels, le sélectionneur a décidé de rappeler les deux derniers pour l’Euro 2020. Une décision que peu d’observateurs outre-Rhin estimaient encore envisageable il y a quelques mois. "Löw a parfois du mal à prendre des décisions de grande importance, mais quand il les prend, il ne revient pas en arrière", témoigne son biographe.
Les retours de Müller et Hummels viennent pourtant démontrer que le Löw de 2021 se rapproche de celui de 2004. Deux ans avant sa nomination comme sélectionneur, Löw est en effet nommé assistant du nouvel entraîneur de l’Allemagne, Jürgen Klinsmann. Encore peu connu outre-Rhin, Löw s’est surtout fait remarquer pour le jeu attrayant développé par son Stuttgart entre 1996 et 1998. Aux côtés de Klinsmann, celui qui vient de la Forêt-Noire, à quelques kilomètres de la frontière avec la France, s'occupe de la tactique. L’ancien buteur est lui chargé du management des joueurs et d’apporter quelques nouvelles méthodes tout droit venues des États-Unis.
Löw nage à contre-courant
"Il ne faut pas oublier que l’impulsion au départ, qui mène à une révolution du football allemand, vient de Klinsmann", souligne David Lortholary, correspondant en Allemagne pour RFI. Après la demi-finale de la Nationalmannschaft lors de sa Coupe du monde en 2006, Löw prend les rênes de la sélection. "Il a révolutionné les standards du football allemand. Pendant plus de trente ans, il fallait gagner à tout prix. Les joueurs de la sélection devaient être athlétiques, forts, brutaux. Et s’ils ne gagnaient pas après 90 minutes, ils savaient qu’ils le feraient aux tirs au but", explique Mathias Schneider.
Löw, le petit nouveau débarque et incarne directement le renouveau de la Nationalmannschaft. Sur les six derniers sélectionneurs, il est le seul, avec Erich Ribbeck, à ne jamais avoir remporté la Coupe du monde en tant que footballeur. Löw le joueur à la carrière médiocre, moqué pour son accent du sud-ouest de l’Allemagne à couper au couteau, raillé pour sa coupe de cheveux que d’aucuns comparent à celle de la chancelière Angela Merkel. Löw l’homme discret, qui s’exprime peu dans les médias et se fait surtout remarquer pour son manque d’hygiène sur les bancs de touche.
La révolution de velours
Mais au-delà du personnage, l’homme a un projet, une idée bien précise qui convainc la Fédération allemande de football (DFB). Après une première compétition convaincante, conclue par une défaite en finale de l’Euro 2008, Löw profite de la blessure de son capitaine Michael Ballack à quelques semaines du début de la Coupe du monde 2010 pour donner sa chance à la nouvelle génération. Manuel Neuer, Jérôme Boateng, Sami Khedira, Toni Kroos, Mesut Özil, Thomas Müller font leur apparition. "C’est le début d’un jeu plus pétillant, dynamique, risqué", indique David Lortholary.
"Löw est un amoureux du beau football. Mais attention, ce n’est pas un fondamentaliste, c’est un réaliste, précise Mathias Schneider, qui a longtemps côtoyé le sélectionneur. Il n’est pas comme Pep Guardiola, il est plus terre à terre. S’il avait eu d’autres joueurs, il aurait joué un football plus costaud." Mais le hasard fait bien les choses et Löw tombe sur une génération avide de jeu, qui convient à ses idéaux et se marie bien avec les joueurs déjà établis (Philipp Lahm, Bastian Schweinsteiger, Miroslav Klose, Lukas Podolski…).
La mayonnaise prend et la Nationalmannschaft remporte la Coupe du monde 2014. "Löw, c’est la définition de l’Allemagne des gentils. Avant lui, la sélection allemande, c’étaient les méchants. Mais lui a créé cette équipe sexy, multiculturelle qui rend l’Allemagne plus cool, plus sympa, plus consensuelle. C’est l’Allemagne qui réussit sans être trop agressive", expose Sophie Serbini, journaliste pour la radio allemande Deutsche Welle. La défaite en demi-finale de l’Euro 2016 face à la France ne change rien : la Mannschaft semble inarrêtable. Lors de la campagne de qualification pour la Coupe du monde 2018, elle remporte ses dix matchs et établit un record de buts inscrits.
Excès de confiance et examen de conscience
Le Mondial 2018 en Russie fait office de bascule. Éliminée dès le premier tour malgré un groupe abordable (Mexique, Suède, Corée du Sud), la sélection allemande déraille. "En 2018, on s’est retrouvé avec la caricature de 2016. Et tu as l’impression que Löw est de plus en plus impuissant", explique David Lortholary. "Il a du mal à se remettre en question, à trouver des solutions", abonde Sophie Serbini. Des questions sur son maintien au poste de sélectionneur émergent.
Déjà en 2012, Löw avait légèrement vacillé après des choix tactiques discutables lors de la défaite en demi-finale de l’Euro face à l’Italie (1-2). Le sélectionneur est sauvé par le processus de renouvellement initié par la DFB. "La fédération a accordé du crédit et du temps à Löw, pour qu’il puisse accompagner la nouvelle génération de joueurs", indique David Lortholary. Après l’échec de 2018, personne ne semble en mesure de prendre la relève. Thomas Tuchel et Julian Nagelsmann semblent encore un peu tendres, Hansi Flick n'est pas encore un prétendant crédible et Jürgen Klopp est lancé avec Liverpool.
Löw poursuit donc l’aventure, sans avoir pensé une seule seconde à renoncer. "Il n’a jamais envisagé de quitter la sélection", assure Mathias Schneider, avant de poursuivre : "La victoire en 2014 lui a donné énormément de confiance en lui. Il a toujours cru qu’il pourrait renverser la situation. C’est après qu’il a réalisé qu’il était devenu un problème." Löw s’engage dans une nouvelle transition, après celle réalisée entre 2008 et 2010. Exit les Hummels, Müller, Boateng, Khedira et place aux jeunes (Niklas Süle, Joshua Kimmich, Leon Goretzka, Serge Gnabry, Kai Havertz, Timo Werner, Leroy Sané…).
Finir en beauté
Mais le pari n’est pas rentable et crée une vague de défaitisme outre-Rhin au moment d’aborder cet Euro 2020. Le pessimisme ambiant, le rappel des vieux briscards, la dernière compétition... Ce championnat d’Europe a des allures de baroud d’honneur pour Löw. Mathias Schneider, biographe du sélectionneur, veut cependant y croire : "C’est sa dernière. Il parle toujours de développement d’équipe, mais là il n’est plus question de construire en vue de 2024." À contre-courant de la révolution qu’il a impulsée, le mantra de la Nationalmannschaft et de Löw cette année est celui d’il y a plus de quinze ans : gagner à tout prix.
Une manière pour Löw de se retirer en beauté et de polir une image ternie lors de ses trois dernières années de mandat. En cas de victoire en finale de l’Euro, le 11 juillet prochain à Londres, le sélectionneur se retirerait après 200 matchs passés sur le banc de l’Allemagne. Hasard du calendrier, Angela Merkel quittera son poste en septembre prochain, après seize ans à la chancellerie. "Ils sont tous les deux épuisés. Finalement, c’est l’Allemagne qui va rentrer dans une autre ère. On range le chapitre qui avait commencé en 2006 avec l’événement fondateur de cette Allemagne qu’était la Coupe du monde. Et on entre dans une nouvelle ère", affirme Sophie Serbini.
Après avoir énormément apporté à l’équipe d’Allemagne, Löw pourrait avoir encore beaucoup de choses à offrir. À un club ? À une autre sélection nationale ? "Il n’est pas près de partir à la retraite. C’est un gars passionné. Il n’a pas d’enfant, il a encore des choses à vivre même s’il a 61 ans. Je ne pense pas qu’il sait ce qu’il veut, mais dès qu’un poste l’intéressera, il foncera", assure Mathias Schneider. Löw, l’homme du long terme, n’a pour l’instant qu’une idée en tête : les prochains jours et le début de l’Euro 2020. Et pour le sélectionneur allemand, le début de la fin commence mardi 15 juin, contre l’équipe de France.
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