Coupe du monde 2022 : qui sont les supporters indiens "tombés amoureux" de l'équipe de France ?
Mohammed soulève la manche de son maillot bleu, frappé du coq et des deux étoiles. "Vous voyez ? J'ai des frissons partout. La chair de poule." Cet Indien du Kerala a parcouru les 3 000 km à vol d'oiseau qui séparent sa région natale et le Qatar. Et à une heure du coup d'envoi de France-Australie, entrée en lice des Bleus à la Coupe du monde, mardi 22 novembre, à Doha, l'émotion le submerge sur le parvis du stade Al-Janoub.
"Je m'étais toujours promis de voir jouer votre équipe, pardon notre équipe, en vrai, dans un stade."
Mohammed, supporter indien de l'équipe de Franceà franceinfo
Ce grand jour est arrivé. Il a débarqué en bus avec sa joyeuse bande du club des supporters indiens de l'équipe de France. Les larmes aux yeux pour les uns, la volonté de faire du bruit pour tous. Qu'importe si l'ambiance est feutrée, si les rares supporters français se comptent sur les doigts d'une main à ce moment, la trentaine d'Indiens débarquée depuis trois jours dans l'émirat met le feu au parvis, en courant, sautant, scandant des slogans, certes dans un français approximatif, mais avec une ferveur absolue. Un gamin haut comme trois pommes, Indien lui aussi, refait la signature de but de Mbappé.
Tout a commencé il y a presque 25 ans. Le 12 juillet 1998, les deux coups de tête de Zizou, la bise de Laurent Blanc sur le crâne de Fabien Barthez, Emmanuel Petit qui clôt la marque, et 1, et 2, et 3-0 ! Vous connaissez forcément la chanson. "C'est le moment où je suis tombé amoureux de cette équipe", confie, les yeux brillants, Shihabudhdeen, qui s'est confectionné un thob sur mesure bleu-blanc-rouge. "C'était la première fois que je regardais vraiment du foot. J'ai découvert des noms qui sont devenus des légendes : Zidane, Henry, Thuram, Emmanuel Petit..." Shihabudhdeen n'est pas seul. Ce soir-là, ils sont des centaines à vibrer derrière les Bleus. Mais à l'époque, aucun moyen de le savoir. "C'est en 2006, quand on a commencé à poster des contenus sur les réseaux sociaux, qu'on s'est rendus compte qu'on était nombreux à suivre cette équipe", raconte Toufy, le président de ce fan-club non-officiel.
Assister à la Coupe du monde, c'est l'aboutissement d'années de sacrifices. Financiers, d'abord. "J'ai payé mon billet pour France-Danemark environ 150 euros, détaille Mohammed. Venir ici en avion, me loger, manger, aller au stade... Ça va me coûter dans les 3 000 euros." Eux viendront les trois matchs, quitte à faire des allers-retours avec le Kerala, faute d'avoir les moyens de rester au Qatar pour toute la durée du premier tour. Une religion pour une équipe nationale... qui n'est pas la leur. "Je regarde tous les matchs de la France à la télé", poursuit Mohammed.
"Quand vous jouez le soir, c'est la nuit pour nous. Tant pis. Je mets mon réveil, et je trouve tout le temps des sites de streaming pour les regarder."
Mohammed, supporter indien de l'équipe de Franceà franceinfo
Quand nombre de Français ont tourné le dos aux Bleus, dégoûtés par l'épisode de Knysna, l'image épouvantable de l'équipe et la piteuse élimination à la Coupe du monde sud-africaine, eux n'ont pas flanché. "Quand on soutient une équipe, c'est dans les bons et dans les mauvais moments, assène Afrel, un autre de ces passionnés venus du bout du monde. "Ça ne m'est jamais venu de retourner ma veste. Jamais !"
"La Marseillaise" chantée en yaourt
C'est peu dire qu'ils ont mal vécu le procès en légitimité qu'on leur a fait depuis la France, et l'affaire des "faux supporters", supposément payés par le Qatar pour assurer l'ambiance sur la corniche de Doha par des défilés aussi folkloriques que factices. Toufy l'a encore en travers de la gorge : "Ça m'a mis dans une de ces colères ! Je comprends un peu le français et je fais une veille en mettant les articles en lecture audio ou en les traduisant en anglais." Et de marteler :
"On soutient l'équipe même si on n'est pas nés dans le pays."
Toufy, supporter indien de l'équipe de Franceà franceinfo
Certes, non loin de lui, un membre du groupe arbore un maillot... de Manchester United floqué "Cristiano". "Bah, il est bleu aussi, non ? en rigole Abdul. Je suis raccord avec le dress code. J'en ai un des Bleus aussi, hein. Mais j'ai eu envie de mettre celui-là !" Avant de filer et passer les portiques de sécurité, Platini, ça vous parle ? Séville 82 ? "J'en ai entendu parler, se défend Afrel, mais comme beaucoup de supporters nés après cette période, ce n'est pas quelque chose qui me parle." Mohammed, lui, n'écorche que le nom de "Varané" lorsqu'il lit la compo des Bleus.
Car, oui, chanter La Marseillaise comme si votre vie en dépendait sans parler un mot de français, c'est possible. Thajindheen livre ses astuces : "On ne connaît pas les paroles de votre hymne, mais on essaie de faire semblant. Au pire, il y a Google pour les paroles." D'ailleurs, l'heure tourne, et il ne faudrait pas manquer les hymnes nationaux. C'est le moment de s'égailler dans les différentes tribunes, nos Indiens n'ayant pu acheter les places en bloc pour former un kop. Dommage. Les quelques Irrésistibles français dans les gradins auraient bien eu besoin d'un petit coup de main. "Et bon, si un jour, la FFF veut nous inviter au Stade de France pour voir les Bleus dans leur antre, on vous promet qu'on mettra le feu dans les tribunes !" glisse malicieusement Afrel. Le message est passé.
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