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Euro 2021 - Liste de Deschamps : comment un sélectionneur choisit-il ses joueurs pour une grande compétition ?

Didier Deschamps va annoncer mardi soir la très attendue liste des joueurs retenus avec l'équipe de France pour disputer l'Euro 2021, qui débute le 11 juin. Mais comment celle-ci se construit-elle ?

Article rédigé par Vincent Daheron, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Didier Deschamps, sélectionneur de l'équipe de France de football, sur le plateau de TF1, le 12 mai 2016, avant l'annonce de sa liste pour l'Euro. (FRANCK FIFE / POOL)

Une bonne trentaine de joueurs et près de 67 millions de sélectionneurs trépignent d'impatience. Mardi 18 mai, en direct sur TF1 et M6, Didier Deschamps va dévoiler la liste des 26 joueurs qu'il guidera sur les routes du championnat d'Europe 2021 (ex-Euro 2020).

À n'en pas douter, ses choix seront décortiqués, critiqués ou, pourquoi pas, plébiscités. Mais avant cela, une liste ne se bâtit pas du jour au lendemain. Elle est l'aboutissement d'un long processus parfois tortueux pour les sélectionneurs. Car, si cela est peut-être une évidence, une liste de joueurs n'empile pas automatiquement les meilleurs éléments individuels.

"On n'assemble pas les meilleurs joueurs, on essaye de faire la meilleure équipe possible en prenant en compte les relations sur et hors du terrain", nous annonce d'entrée Raymond Domenech, sélectionneur de l'équipe de France entre 2004 et 2010.  Une donnée nuancée par Alain Giresse, rompu à l'exercice avec les nombreuses équipes nationales qu'il a dirigées (Géorgie, Gabon, Mali, Sénégal et Tunisie) : "Je refuse de dire qu'on ne sélectionne pas les meilleurs joueurs, on ne sélectionne pas une équipe de copains."

Trois groupes complémentaires

Comme le résume Raymond Domenech avec son sens aigu de la formule, il y a les incontournables et les autres. "En général, [pour] les 16 premiers noms, il n'y a pas de débats. Ils sont indiscutables et les autres indiscutablement remplaçants"  Chez les suiveurs, l'unanimité est souvent de mise au moment d'évoquer ces premiers noms couchés sur le papier. "15 joueurs indiscutables, c'est sûr, confirme Alain Giresse. Puis trois ou quatre sont en ballottage très favorable. Vous avez donc 16, 17 joueurs où tout le monde est d'accord."

Ces joueurs-là forment "le premier groupe" dans l'esprit de Philippe Troussier, ancien sélectionneur dans huit pays différents (Côte d'Ivoire, Nigéria, Burkina Faso, Afrique du Sud, Japon, Qatar, Maroc et Bénin). Vient ensuite le "deuxième groupe avec des joueurs capables de finir le match, soit pour renforcer une stratégie, soit pour la modifier". Pour clôturer la liste, l'ancien coach de l'Olympique de Marseille réfléchit enfin à son "troisième groupe : des joueurs qui ne vont jamais jouer, pas parce qu'ils ne le méritent pas mais parce qu'ils arrivent ensuite".

"C'est le côté le plus sensible, vous arrivez à ceux qui complètent la liste", reprend Alain Giresse. Les débats se concentrent souvent sur ces derniers noms qui sont donc, par définition, loin d'être irremplaçables. Mais c'est aussi de ces joueurs en fin de liste dont dépend la réussite d'un groupe lors d'une grande compétition.

"Ce sont les gardiens du temple, le ciment qui permet au premier groupe de pouvoir s'exprimer en toute quiétude, sans conflit. Ils assurent la tranquillité et la sérénité."

Philippe Troussier

à franceinfo: sport

Cela sera d'autant plus vrai que l'UEFA a officialisé des listes élargies à 26 joueurs pour l'Euro 2021, et donc trois cireurs de banc potentiels en plus.

"C'est long un mois avec des joueurs qui traînent des pieds"

Ces joueurs de complément risquent de ne jamais fouler la pelouse. Leur état d'esprit et leur comportement sont alors aussi importants, voire plus, que leurs qualités balle au pied. "On part pour au moins un mois et demi entre la préparation et la compétition, on vit en vase clos", rappelle Raymond Domenech.

"Si des joueurs sont du même niveau, on prend celui qui vivra mieux le fait de ne pas jouer une seule rencontre", éclaire Giresse. "ll ne faut pas se tromper car c'est long un mois avec des joueurs qui traînent des pieds, prévient Domenech. C'est lourd pour tout le monde et ça crée des tensions."

La présence d'Adil Rami dans le groupe des Bleus champions du monde en 2018 est un exemple de cette réfléxion. L'ex-joueur de l'OM n'avait pas volé sa place après une saison aboutie marquée par une finale de Ligue Europa. Mais il avait surtout amené au groupe son sourire et sa bonhomie au quotidien, bien qu'il n'ait pas disputé la moindre minute de jeu en Russie.

C'est dans ce choix d'hommes plus que de joueurs que la liste prend du temps à se construire. "Tout ce que vous faites quand vous venez dans un rassemblement va être enregistré : votre comportement, les relations avec les autres, l'état d'esprit", détaille Raymond Domenech. Mais ce rôle de remplaçant n'est pas une surprise pour les concernés, selon Alain Giresse : "Ce n'est pas à ce moment-là qu'ils vont le découvrir. Tout au long des qualifications, des statuts se forment et quand ils se voient dans la liste, ils savent dans quel registre ils apparaissent."

La jurisprudence Chimbonda

Si le sélectionneur n'a pas pu observer de lui-même le comportement d'un joueur qu'il souhaite convoquer, il active alors son réseau. "On appelle les sélectionneurs des équipes de jeunes pour voir comment ça se passe, développe Raymond Domenech. La relation avec l'entraîneur du club est importante, en sachant que cette relation peut être faussée en fonction de ses intérêts."

En 2006, la surprise de la liste des Bleus pour la Coupe du monde était un certain Pascal Chimbonda. Le Guadeloupéen, tout juste nommé meilleur latéral droit de Premier League avec Wigan, avait été appelé en équipe de France pour la première fois de sa carrière. "Ça donnait l'impression que c'était sorti du chapeau mais ce n'était pas le cas, se remémore l'ancien sélectionneur. J'avais un besoin à ce poste et, en l'appelant, il savait qu'il ne jouerait pas. J'avais toujours eu des infos, des renseignements positifs sur lui."

Chimbonda n'était d'ailleurs pas le seul novice de la liste dévoilée par Raymond Domenech. Franck Ribéry, 23 ans à l'époque, était également sélectionné. Selon l'ancien coach, l'intégration dans le groupe et l'expérience emmagasinée au travers de précédentes sélections ne sont pas indispensables. Au contraire.

"Je n'avais pas pris Franck Ribéry en mars [2006] pour qu'on n'en parle pas avant. Mais je savais déjà que j'allais le prendre."

Raymond Domenech

à franceinfo: sport

"C'était mûri, préparé pour qu'il ne s'enflamme pas et les médias non plus", affirme aujourd'hui le président de l’Unecatef, le syndicat des entraîneurs en France. "Il nous a amené sa fraîcheur et sa joie de vivre, qu'il aurait pu perdre en s'installant plus tôt." Domenech a donc fait une force de ce manque de vécu en Bleu. Mais Philippe Troussier croit difficilement à cette théorie : "Une équipe ne se construit pas du jour au lendemain."

Raymond Domenech avec Franck Ribéry après la demi-finale de la Coupe du monde 2006 entre la France et le Portugal (1-0), le 5 juillet 2006. (ROBERTO SCHMIDT / AFP)

Mais cela n'empêche pas des revirements de situation dans la tête du sélectionneur. "On peut se réveiller la nuit en se souvenant d'un truc, d'un comportement lorsque tel joueur avait été remplaçant", avoue Raymond Domenech. Jusqu'au dernier moment, la liste officielle peut ainsi être modifiée au gré des événements.

Alain Giresse se remémore une anecdote à quelques heures d'envoyer une liste pour une Coupe d'Afrique des nations (CAN) : "À minuit, je devais déposer la liste. On jouait dans la soirée et j'annonce à un joueur qu'il ne jouera pas ce match. Il l'a très mal accepté et a un peu dépassé les limites. Il était 22 heures et j'ai dit tout de suite : 'Vous le gommez de la liste et vous mettez untel.'"

Le poids émotionnel de l'annonce

Philippe Troussier a également connu un changement de dernière minute. C'était en 2002, pour la Coupe du monde organisée au Japon – le pays dont il était sélectionneur – et en Corée du Sud. "Nous avions un dernier match amical en Norvège, on le perd 3-0. Je devais envoyer la liste une heure après. J'ai modifié trois, quatre joueurs car j'ai ressenti que le groupe était très affaibli par cette défaite et je ne ressentais pas d'esprit de réaction."

Depuis la ritualisation de l'annonce de la liste – notamment celle de l'équipe de France dans les JT ces dernières années –, les ex-sélectionneurs conviennent du poids immense qui pèse sur leurs épaules. "Le jour où je prends cette décision [en 2002], je sentais un confort intellectuel qui me disait que j'avais enfin bouclé ma liste. J'étais devenu d'un coup apaisé", confesse Philippe Troussier. "Pour le sélectionneur, le plus important, c'est qu'il est débarrassé et peut enfin se mettre au travail", lâche Raymond Domenech, mi-sérieux, mi-blagueur.

Le plus dur commence enfin et, au final, la seule manière d'apaiser les débats sur une liste, c'est de l'emmener le plus loin possible dans la compétition. Finaliste de l'Euro 2016 puis champion du monde en 2018, Didier Deschamps le sait mieux que personne.

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