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Euro 2021 : une compétition organisée dans 11 pays est-elle une aberration écologique ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
L'Euro 2020 prévu dans une douzaine de pays, et les grandes compétitions de foot, sont-elles des aberrations écologiques ? (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Réponse courte : oui. Mais les responsables des grandes organisations internationales font un peu moins l'autruche ces dernières années quand il s'agit d'essayer de traiter le problème.

Sur le papier, l'idée avait de la gueule. Organiser un Euro dans toute l'Europe pour fêter les 60 ans de la construction européenne et de la première compétition du continent, de Bakou à Stockholm en passant par Londres, Amsterdam, Saint-Pétersbourg ou Bucarest. En 2012, peu de voix s'étaient élevées pour dénoncer ce que beaucoup considèrent finalement comme une aberration écologique.

Entre temps, la prise de conscience environnementale a gagné du terrain quand l'intérêt pour les institutions de Bruxelles a, au mieux, stagné sur le Vieux-Continent. L'occasion de se pencher sérieusement sur le coût carbone de ce méga-événement sportif, dont le match d'ouverture, Turquie-Italie, est prévu vendredi 11 juin (à 21 heures). Si on manque de recul et d'un mode de calcul universel pour en tirer des conclusions définitives, il est quand même possible de distribuer les bons et les mauvais points.

De "petits arrangements" pour faire baisser le bilan carbone

Si vous cherchez à comparer les bilans carbone des Euros et des Coupes du monde à travers les âges, vous allez être déçu : on ne dispose d'études étayées sur le sujet que depuis une quinzaine d'années. Celles-ci prennent notamment en compte l'impact du BTP, avec parfois la construction de nouveaux stades, et le transport aérien, surtout quand la compétition se déroule hors d'Europe. L'estimation du coût écologique se mesure en "tonnes équivalent CO2", l'unité de mesure de la pollution communément utilisée.

Au dernier pointage, la championne toutes catégories de la pollution demeure la Coupe du monde en Afrique du Sud (2010), cocktail fortement dosé des deux domaines les plus énergivores. "Pour s'y rendre, la planète entière a dû se déplacer en avion, pour une compétition organisée en hiver dans des stades chauffés au charbon dont l'impact environnemental est absolument désastreux", énumère Didier Lehénaff, fondateur de l'ONG SVPlanète, qui cherche à "verdir" les grandes compétitions. En gros, un condensé de tout ce qu'il faut éviter pour une facture climatique de 2,7 millions de tonnes équivalent CO2, selon l'estimation produite pour la Fifa. 

En réalité, le premier rapport environnemental (PDF) vraiment détaillé dont on dispose date de l'Euro 2016 en France. Avant, on se contentait de graphiques pas toujours très précis, expédiés sur un quart de page et noyés dans les bilans financiers. Mais ce n'est pas parce que la pagination a augmenté qu'on arrête de tiquer. Entre l'Euro 2016 avec 24 équipes concentrées dans l'Hexagone, et le Mondial 2018 avec 32 équipes éparpillées dans toute la Russie, où se trouve le gouffre d'émissions de carbone ?

Curieusement, à en croire les experts mandatés par la Fifa, le Mondial de Vladimir Poutine s'en sort mieux (2,2 millions de tonnes d'équivalent CO2 contre 2,8). C'est sans doute lié au fait que le document français inclut le coût de construction et de rénovation des stades (qui représentent 80% du bilan) quand la Fifa y jette un voile pudique. Coutumière du fait, l'instance avait vanté "la Coupe du monde la plus verte" après le Mondial brésilien, en appliquant exactement la même méthode, notait une universitaire britannique sur le site The Conversation.

"Il faudrait vraiment qu'il y ait un modèle standard [d'évaluation] pour éviter ces petits arrangements", peste Andrew Welfle, chercheur de l'université de Manchester. "Cela dit, n'allez pas croire que c'est facile de calculer l'impact carbone, ne serait-ce que des supporters qui utilisent des moyens de transport assez variés pour se rendre sur des grands tournois." Indice chez vous : seul l'Euro 2016 a obtenu le label ISO 20121 qui salue la durabilité d'une compétition sportive.

Planter des arbres pour pouvoir polluer

On devrait éviter ce genre de polémiques pour l'édition 2021. Le Covid-19 s'est invité à la fête, limitant les déplacements de supporters, soumis au pass sanitaire européen. Avant la pandémie, l'instance estimait à 425 000 tonnes équivalent CO2 la pollution générée par son raout, qui n'a nécessité la construction que d'un seul stade (à Budapest) et de vanter "le tournoi le plus respectueux de l'environnement". Tant pis si les plus motivés des supporters suisses vont devoir crapahuter 20 000 km pour voir les matchs du premier tour (premier match à Bakou contre le pays de Galles, le deuxième à Rome contre l'Italie, et hop, retour à Bakou pour affronter la Turquie). 

Il est loin le temps où les compétitions étaient organisées pour rassembler un maximum de matchs dans une zone géographique restreinte : en 1982, les Bleus de Michel Platini avaient ainsi dû jouer leurs trois matchs de poule dans un rayon de 300 bornes, entre Bilbao et Valladolid. "L'UEFA l'a déjà fait sans vraiment le faire exprès, par exemple, pendant l'Euro 2000 en Belgique et aux Pays-Bas, deux pays où le maillage du réseau ferroviaire est excellent, pointe Andrew Welfle. Mais ce n'est plus la tendance."

Un des avions qu'Air France avait redécoré aux couleurs de la Coupe du monde 1998, sur le tarmac de l'aéroport de Roissy, le 23 mars 1998. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Que cet Euro ait failli devenir une foire aux vols charters n'est qu'une considération secondaire pour l'instance européenne. "Vous savez comment ça fonctionne ? alpague Didier Lehénaff. Plutôt que de suivre avec honnêteté et humilité le process évaluer-réduire-compenser-communiquer, on mandate une société de conseil qui, pour quelques dizaines de milliers d'euros, effectue un bilan carbone et émet des préconisations qu'on reste libre de suivre ou non. Au final, on communique sur la partie la plus glorieuse de l'évaluation et sur certaines initiatives à résultat rapide et facile qui sonnent bien. On s'est acheté à moindre frais une conscience et le droit de polluer". En l'occurrence, les caciques du foot européen ont promis de planter près de 600 000 arbres, 50 000 dans chaque pays concerné. Coût estimé : 400 000 euros. La facture du ripolinage vert vif de cet Euro ne représente qu'une broutille pour une instance qui a gratté 830 millions de bénéfices lors du dernier Euro.

A l'évocation des arbres plantés, on imagine des forêts verdoyantes, des petits oiseaux, les écureuils des coquelicots dans une clairière... La réalité est tout autre. "Compenser en plantant des arbres, c'est faire un pari sur le futur. Si les arbres sont plantés dans de bonnes conditions, ils ne commenceront à stocker du CO2 que dans plusieurs décennies", pointe Xavier Morin, spécialiste des forêts et directeur de recherches au CNRS. "Souvent, c'est fait à l'économie, avec une seule espèce, on coupe des forêts anciennes pour en planter de nouvelles et toucher la subvention qui va avec. Et très souvent, il n'y a aucun suivi dans le temps." 

De bonnes idées à recycler 

Faut-il pour autant tout voir en noir, pardon, en gris, couleur gaz d'échappements sur le périph parisien en heure de pointe ? Des motifs d'espoir existent : certains nouveaux stades sont des modèles environnementaux, comme l'Allianz Riviera de Nice (ville hôte de l'Euro en 2016, mais pas en 2021), qui fonctionne à l'aide de panneaux solaires et récupère l'eau de pluie pour tendre vers la neutralité carbone dans son fonctionnement. C'est peut-être un détail, mais c'est aussi Nice qui avait été la seule ville en 2016 à faire plier Coca-Cola pour que le géant américain livre ses boissons en vrac, dans des grands fûts, et non dans des bouteilles en plastique – le cauchemar des écologistes.

Un supporter du Pays de Galles pose fièrement au milieu d'une rue jonchée de déchets, après la victoire de son équipe face à la Russie, au Stadium de Toulouse (Haute-Garonne), le 20 juin 2016. (BULENT KILIC / AFP)

Des initiatives que l'UEFA entend généraliser au plus vite, explique Tiberio Daddi, professeur de management à l'école Santa Anna de Pérouse, chargé par l'instance européenne d'une mission baptisée Life Tackle pour répandre les bonnes pratiques. "Nous avons ainsi étudié de près le recyclage des boissons consommées au Stade Olympique de Rome pour maximiser la participation des supporters. Pour leur faire séparer au maximum les bouchons des bouteilles dans des poubelles différentes, il a fallu étudier de près leurs usages afin de placer les conteneurs aux endroits les mieux adaptés", illustre-t-il. Cette mission portera ses fruits en 2024 pour l'Euro en Allemagne.

Ces joueurs qui veulent "changer les choses"

Ça vous parait encore modeste ? Un jour, qui sait, on n'entendra plus Aleksander Ceferin, le patron de l'UEFA, reconnaître que le foot "n'a jamais fait grand chose pour l'environnement". Ou Patrick Gasser, le chef de la responsabilité sociale du foot au sein de l'instance européenne, arrêter de se voir demander dans les couloirs du siège à Nyon (Suisse) ce que le foot et l'écologie ont à voir. "Tout, évidemment", grommelle l'intéressé, cité par le site Sustainability Report

Peut-être se pose-t-on la question, car on n'entend rien de la part des joueurs, pourtant aux premières loges. Et pour cause, les initiatives sont rares et encore en train de se structurer. "J'étais déjà sensible à cette cause, mais mon expérience dans un club suédois m'a conforté dans mon idée. Là-bas, c'est un vrai sujet de société, omniprésent", illustre Grégoire Amiot, défenseur passé par Reims, le club néerlandais du Fortuna Sittard et Falkenbergs, en Suède. D'où son engagement comme ambassadeur de l'association Football Ecologie France"On peut faire bouger les choses à notre échelle, pas changer le monde en un jour. En ce moment, nous travaillons beaucoup avec des centres de formation. Le sujet parle aux jeunes."

L'autre association de joueurs, We Play Green, est trustée par des footballeurs du nord de l'Europe. Une initiative du milieu norvégien de la Sampdoria, Morten Thorsby. "Les vraies figures de proue de la communauté du football mondial, ce sont les joueurs et les supporters, pas les patrons de clubs, l'UEFA ou la Fifa, veut croire Thorsby. Si nous arrivons à les enrôler dans notre combat, le football n'aura pas d'autre choix que d'aller dans la bonne direction."

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