Furiani, in memoriam
A l'heure oĂč le club corse vient de dĂ©crocher son ticket pour la Ligue 1, ce samedi 5 mai marque un bien triste anniversaire, celui des 20 ans de la catastrophe dite de Furiani. Qui ne se rappelle pas de cette maudite journĂ©e, lorsqu'Ă dix minutes du coup d'envoi, le pire est survenu. La tribune provisoire de plus de 10.000 places, Ă©rigĂ©e au mĂ©pris des rĂšgles de sĂ©curitĂ© s'effondrait, tuant 18 personnes et en blessant plus de 2300. Aujourd'hui, le drame est encore bien prĂ©sent dans les esprits, et dans la chair de certaines victimes, Ă l'instar de Paul Calassi. ParaplĂ©gique depuis le ce fameux 5 mai, M. Calassi se bat "pour ne pas que l'on oublie ce que la connerie des hommes peut faire pour le fric". Assis tout en haut du chĂąteau de cartes, M. Calassi a fait une chute de 17 mĂštres. AprĂšs trois semaines dans le service de rĂ©animation, puis huit mois de rĂ©Ă©ducation, c'est une nouvelle vie qui a dĂ©butĂ©, avec toutes les contraintes que son nouveau corps lui imposent. Il aura attendu dix ans avant de retourner voir un match, mais se dit incapable de retourner en tribune. Comme toutes les autres victimes, il rĂ©clame toujours que le football français se souvienne Ă jamais de cette tragĂ©die en interdisant la programmation de rencontres de football ce jour-lĂ . Une promesse qui avait pourtant Ă©tĂ© faite Ă l'Ă©poque par le PrĂ©sident de la RĂ©publique, François Mitterrand, et qui reste toujours lettre morte, Ă l'exception de ce week-end marquant les 20 ans de l'Ă©vĂ©nĂ©ment. Si la FĂ©dĂ©ration française de football a bien avancĂ© d'une semaine la finale de la Coupe de France prĂ©vue le 5 mai, il serait de bon ton d'aller plus loin et de s'inspirer de nos voisins anglais, qui ne disputent plus le moindre match les 15 avril et 29 mai, depuis les tragĂ©dies d'Hillsborough et du Heysel.
Un devoir de mémoire
Avant mĂȘme l'effondrement de la tribune, l'atmosphĂšre Ă©tait dĂ©jĂ Ă©lectrique. Des supporteurs corses et marseillais s'Ă©changeaient quelques noms d'oiseaux, des incidents Ă©taient dĂ©jĂ Ă dĂ©plorer du cĂŽtĂ© de la tribune sud abritant les fans de l'OM. Et en quelques secondes, le pire est arrivĂ©. Les chants des supporteurs sont aussitĂŽt remplacĂ©s par des cris de souffrance et d'effroi. LÂĂ©chafaudage haut de prĂšs de 20 mĂštres et qui accueillait 10.000 places, est par terre. Les joueurs qui s'Ă©chauffaient viennent au secours des personnes prisonniĂšres de cet enchevĂȘtrement de tubes mĂ©talliques. Les commentateurs assistent impuissants au drame qui se dĂ©roule sous leurs yeux. Le temps s'est arrĂȘtĂ©, on a du mal Ă rĂ©aliser ce qu'il s'est passĂ©. On compte les morts sur le terrain de football devenu un vrai champ de bataille, mais oĂč le seul ennemi Ă©tait un Ă©difice de tubes mĂ©talliques, et de planches en bois. Et dĂ©jĂ , dĂšs les premiers instants de la tragĂ©die, certains dĂ©noncent. Il n'avait pas Ă©chappĂ© aux observateurs qu'une telle tribune ne pouvait pas se monter aussi rapidement (Ă peine deux semaines) sans que les normes de sĂ©curitĂ© soient nĂ©gligĂ©es. Selon l'enquĂȘte rĂ©alisĂ©e peu aprĂšs, il est avĂ©rĂ© que des matĂ©riaux n'avaient pas lieu d'ĂȘtre utilisĂ©s dans une telle infrastructure. Et ce sont pourtant bien les plus hautes autoritĂ©s -malgrĂ© les avis dĂ©favorables du capitaine des pompiers- qui ont validĂ© la sĂ©curitĂ© de l'Ă©difice. Le responsable des pompiers aura d'ailleurs Ă©tĂ© curieusement envoyĂ© en mission au moment de la derniĂšre rĂ©union de sĂ©curitĂ©... Les piliers soutenant deux structures distinctes, reposaient sur de simples parpaings, ou des planches de bois.
Furiani, 20 ans
Avec des récits de victimes, ou de familles de victimes qui sont soit dans le souvenir, soit toujours dans l'incompréhension, l'ouvrage collectif "Furiani, 20 ans" est une maniÚre d'exorciser ce drame survenu il y a tout juste deux décennies. Il s'agit d'un livre à but caritatif, réalisé sous l'égide de l'UJSF Provence, et dont les bénéfices sont destinés à offrir des lits d'enfants médicalisés aux hÎpitaux de Corse et de Marseille, qui avaient à l'époque accueilli les victimes.
www.furiani20ans-lelivre.fr
A ce jour, seul l'ingĂ©nieur de la sociĂ©tĂ© continentale qui a installĂ© la tribune a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă une peine de prison ferme, pour homicides et blessures involontaires. Certains s'Ă©taient probablement fait justice eux-mĂȘmes, en assassinant le prĂ©sident du SCB, Jean-François Filippi. Lui qui avait passĂ© commande de la tribune avait Ă©tĂ© tuĂ© une semaine avant le procĂšs... Sans parler de la double billetterie mise en place et les malversations financiĂšres (la recette officielle Ă©tait deux fois plus importante que celle dĂ©clarĂ©e), et alors que le club corse accusait un dĂ©ficit de six millions de francs, un sentiment d'injustice perdure. "Nous pensions que la justice passerait, mais personne n'a assumĂ© ses responsabilitĂ©s. Les victimes ont Ă©tĂ© oubliĂ©es. Tout ça pour du fric, c'est indĂ©cent", estime Mme Vanina Guidicelli, Ă©pouse du journaliste Pierre-Jean Guidicelli, dĂ©cĂ©dĂ© des suites de ses blessures.
Rien n'a changé
Ils sont encore trĂšs nombreux Ă retourner au stade depuis la catastrophe. De Bastia Ă Furiani, une seule route d'une petite dizaine de kilomĂštres et longeant la cĂŽte permet d'y accĂ©der. En arrivant aux abords du stade, une stĂšle se dresse Ă l'entrĂ©e, portant les noms des 18 morts. Mais aujourd'hui, un sentiment d'incomprĂ©hension, de colĂšre perdure. Car si la volontĂ© de reconstruire un stade Ă Furiani Ă©tait bien prĂ©sente, dans les faits, c'est une autre affaire. Il suffit de faire le tour du Stade, pour se rendre compte de l'Ă©tat lamentable du stade. Pourtant, plusieurs dizaines de millions d'euros ont bien Ă©tĂ© investis depuis la tragĂ©die, pour redonner aux supporteurs du Sporting un stade dĂ©cent. Aujourd'hui, le Stade Armand-Cesari reste inachevĂ©, et ressemble dans ses alentours plus Ă un stade des pays du Tiers-monde qu'Ă un stade d'une Ă©quipe censĂ©e jouer dans l'Ă©lite du football tricolore. Encore une fois, les promesses n'ont pas Ă©tĂ© tenues, l'attrait de l'argent a pris le dessus sur la morale, les grands discours ont fait place au vide, celui-lĂ mĂȘme qui avait brisĂ© des milliers de vie le 5 mai 1992.
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