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Irlande-France : comment le Brexit a révolutionné le football irlandais

Article rédigé par Denis Ménétrier, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial à Dublin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
Les joueurs irlandais lors de la victoire en match amical contre la Lettonie à l'Aviva Stadium, le 22 mars 2023. (MAXPPP)
Depuis l’application du Brexit en janvier 2021, les joueurs irlandais ne peuvent plus rejoindre un club du Royaume-Uni avant d’être majeur. Une révolution qui permet à ces jeunes de s’aguerrir au pays, mais qui révèle aussi les carences du football irlandais en matière d’infrastructures.

Le football irlandais peut enfin choyer ses jeunes pousses. L'Irlande, qui affronte l'équipe de France à Dublin lundi 27 mars, vit une révolution depuis janvier 2021. Depuis deux ans et l'application du Brexit, les joueurs irlandais ne peuvent plus signer dans des clubs anglais, avant d'être majeur. Ce changement soudain, véritable opportunité pour la formation des jeunes, est venu balayer une tradition ancrée depuis des décennies.

Avant le Brexit, la coutume voulait que les jeunes talents irlandais de 15 à 17 ans, quittent l’Irlande pour rejoindre le voisin anglais, ses clubs prestigieux et son argent. Des générations de joueurs – Robbie Keane, Damien Duff, Tony Cascarino ou encore John O’Shea – sont passés par là. "Pour les clubs anglais, les Irlandais étaient des recrues faciles, qui parlaient la même langue. Culturellement, les jeunes irlandais partaient automatiquement en Angleterre", explique Sébastien Berlier, expatrié français à Dublin qui gère le compte Football Irlandais sur les réseaux sociaux.

Depuis janvier 2021 et l’application du Brexit, les jeunes joueurs irlandais doivent désormais faire preuve de patience. "C’est une excellente nouvelle pour le football local", assure Gavin Cummiskey, journaliste irlandais pour The Irish Times. Depuis deux ans, les joueurs qui ne sont pas encore majeurs sont de plus en plus nombreux à faire leurs débuts en première division irlandaise (22 en 2022 et déjà 7 en 2023 alors que la saison vient de démarrer, contre 10 en 2021).

Fin des départs prématurés en Angleterre

Luke Nolan espère bientôt en faire partie. À 16 ans, ce jeune latéral gauche irlandais a signé en février dernier à Bohemians, un club basé à Dublin et l’un des plus réputés dans le pays. "C’est très stimulant de voir tous ces jeunes débuter en première division. Tous les grands clubs du pays le font, c’est très encourageant", assure le jeune homme, rencontré dimanche matin dans un hôtel du sud-ouest de Dublin, avec son père.

Lui fait partie de cette première génération de joueurs qui n’auront pas l’opportunité de prouver leur talent en Angleterre – du moins pas avant leur 18 ans – en raison du Brexit. "Ce n’est pas frustrant. Je dirais même que c’est positif. Mon objectif aujourd’hui est de pouvoir rapidement jouer en première division irlandaise", explique Luke Nolan, dont le visage est encore marqué par les métamorphoses de l’adolescence.

Luke Nolan, latéral gauche de 16 ans du club irlandais de Bohemians, avec son père Paul Nolan, le 26 mars 2023. (Denis Ménétrier)

À ses côtés, son père porte sur lui un regard bienveillant. "Quand vous êtes père, vous ne pouvez pas savoir si votre fils va faire les bons choix de carrière. Le plus important, c’est son développement, son éducation", appuie-t-il, voyant dans le Brexit une belle opportunité pour les jeunes joueurs irlandais de prendre le temps de la réflexion. Car par le passé, nombreux sont ceux qui ont vécu de grosses désillusions en quittant leur pays natal pour l’Angleterre.

"Dix-huit mois après leur départ, on voyait la grande majorité des gamins revenir à la maison très déçus de ne pas avoir réussi, parfois alcooliques, drogués ou accros aux jeux, décrit Pascal Vaudequin, un Français qui a joué en Irlande à partir de la fin des années 1980, et qui continue de travailler auprès de la Fédération irlandaise de football (FAI). J’ai vu également le même problème en Irlande du Nord." Si ces derniers peuvent encore tomber dans les mêmes travers, car membres du Royaume-Uni, les Irlandais, eux, n’y sont plus sujets depuis le Brexit.

Polir les jeunes talents irlandais

"Les joueurs sont davantage formés aujourd’hui et plus matures", assure Pascal Vaudequin. "Les jeunes peuvent s’aguerrir, se construire une personnalité avant de partir à l’étranger", acquiesce Paul Nolan. À 18 ans, certains Irlandais profitent du Common Travel Area (zone commune de voyage) pour rejoindre des clubs anglais sans avoir besoin d’un permis de travail, précieux sésame dont les autres joueurs européens ont besoin pour signer dans un club britannique.

D’autres envisagent de poursuivre au pays. Luke Nolan, lui, vise plus haut. Plus vite. "Après avoir fait mes débuts en première division, l’objectif serait de rejoindre un club européen assez rapidement pour profiter des infrastructures qui sont bien meilleures là-bas", explique le jeune latéral, qui rêve de jouer en Bundesliga, la première division allemande. Car c’est là que le bât blesse. "Le Brexit est une bonne chose pour les jeunes joueurs, mais il révèle les importants problèmes structurels du football irlandais", souligne le journaliste Gavin Cummiskey.

L’Irlande possède un retard significatif sur les infrastructures : certains clubs professionnels de première division n’ont pas de centre d’entraînement attitré et seules quelques équipes possèdent un centre de formation. Faute de pouvoir signer en Angleterre, et pour ne pas gâcher leur talent, certains jeunes rejoignent donc le Vieux continent avant leurs 18 ans. C’est le cas de plusieurs Irlandais présents dans des clubs italiens, comme les prometteurs Kevin Zefi (17 ans, Inter Milan) et Cathal Heffernan (17 ans, AC Milan).

Evan Ferguson, nouvelle star du football irlandais de 18 ans, est une exception : sa mère étant anglaise, il a pu rejoindre le club anglais de Brighton à l'âge de 16 ans en janvier 2021. Contre la Lettonie, le 22 mars 2023, il a marqué son premier but avec la sélection irlandaise. (BRIAN LAWLESS / MAXPPP)

"Il n’y a plus aucun recruteur anglais au bord des pelouses aujourd’hui, témoigne Paul Nolan. Alors qu’ils ont toujours été là." À la place se pressent des recruteurs d’autres pays jusque-là indifférents au marché irlandais. En France, Glory Nzingo, natif de Dublin, a ainsi signé à Reims à l’âge de 17 ans. Ce mouvement d’exil qui s’enclenche, et sur lequel Luke Nolan souhaiterait surfer, pourrait venir saper les effets positifs du Brexit pour le football irlandais.

Manque d'investissements et d'infrastructures

"Les infrastructures, c’est un sujet embarrassant et préoccupant. Il faut qu’il y ait davantage d’investissements publics dans le football irlandais", appuie Gavin Cummiskey, qui insiste sur le fait que les U17 irlandais ont été les premiers à se qualifier pour le prochain championnat d’Europe de la catégorie d’âge. Mais encore faudrait-il que les dirigeants du football irlandais inspirent suffisamment confiance aux autorités.

"Le gouvernement est réticent à l’idée de donner de l’argent à la fédération à cause de ce qu’il s’est passé avec John Delaney", nous glisse un membre de la FAI, en référence à la gestion financière désastreuse du précédent président de la Fédération (2004-2019). L’enthousiasme reste pourtant de mise. "Le football irlandais est dans une phase de renouvellement. Quand on voit ce que les clubs mettent en place, c’est le jour et la nuit entre aujourd’hui et il y a quelques années", assure Pascal Vaudequin.

"Le gouvernement va finir par investir", veut croire Gavin Cummiskey, alors que les clubs perçoivent aujourd’hui 20 000 euros par an de la Fédération. Bien loin des 500 000 euros annuels nécessaires pour faire tourner un centre de formation. Une qualification pour l’Euro 2024 donnerait sans aucun doute un coup de pouce à un football irlandais en pleine révolution. Mais pour cela, il va falloir battre l’équipe de France de Kylian Mbappé, pas une mince affaire.

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