Cet article date de plus de trois ans.

L’Euro de football, vitrine de l’Histoire : l’Euro et les co-organisations

Depuis sa première édition en 1960, la petite histoire de l’Euro de football s’entrechoque avec la grande. En 2000, l’Euro est pour la première fois organisé par deux pays. Un phénomène amené à se populariser.

Article rédigé par Denis Ménétrier, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
Le stade olympique de Kiev à gauche, et le stade Roi Baudouin à droite, ont accueilli des matches de l'Euro respectivement en 2012 et 2000. (Florian Parisot/FranceInfo Sport/AFP)

Juin 2012. À deux jours de la finale entre l'Espagne et l'Italie lors de l'Euro co-organisé par la Pologne et l'Ukraine, Michel Platini fait une annonce pour le moins surprenante. Le président de l'UEFA envisage une nouvelle organisation de la compétition pour l'Euro 2020.

"Ça marquerait le 60e anniversaire de l'Euro, ça se ferait dans 12-13 villes dans toute l'Europe. L'idée me plaît énormément. (…) Il y aurait un stade par pays, par ville, dans toute l'Europe, ce serait beaucoup plus simple et moins cher", lance Platini.

Ce qui n'était qu'une idée il y a neuf ans va bel et bien se matérialiser en 2021. Certes, dans des conditions différentes, puisque l'Euro fêtera ses 60 ans avec 12 mois de retard, et seulement dans 11 villes réparties sur tout le continent. Malgré ces légers ajustements liés à la crise sanitaire mondiale, l'Euro aura bien lieu, et sous une forme qui pousse à son paroxysme le phénomène de co-organisation apparu lors du nouveau millénaire.

Une trajectoire finalement linéaire et logique, comme nous l'explique William Gasparini, sociologue du sport et titulaire de la chaire Jean Monnet ("Le sport, passeur d'Europe") de la commission européenne : "Il était naturel qu'on arrive à cette organisation de 2021, avec 11 pays parce que l'Europe est ouverte, il n'y a pas de frontières. Le principe même de l'UEFA, c'est le libre-échangisme. C'est une vision du marché ouvert, libre et sans contrainte."

Opportunité à saisir

L'origine du premier Euro co-organisé, en 2000 par la Belgique et les Pays-Bas, remonte pourtant bien avant l'avènement de l'espace Schengen. En 1988, quelques jours avant la finale remportée par les Pays-Bas contre l'URSS (2-0), Belges et Néerlandais se mettent d'accord pour présenter une candidature commune. Alain Courtois, membre de la Fédération belge de football et futur sénateur en Belgique, est désigné organisateur du tournoi.

"Pour nous, c'était la seule manière d'organiser une compétition de ce type. Ça permet à des petits pays, des petites villes d'organiser un grand événement. Sinon, c'est toujours réservé aux mêmes grands pays"

Alain Courtois, président du comité organisateur de l'Euro 2000

En 2000, la Belgique et les Pays-Bas accueillent donc le premier événement sportif international organisé par deux pays, deux ans avant la Coupe du monde 2002 partagée par le Japon et la Corée du Sud. Au-delà de la symbolique du nouveau millénaire, et d'une compétition qui atteint des sommets sportifs avec la victoire de la France en finale contre l'Italie (2-1 a.p.) grâce au but en or de David Trezeguet, l'organisation de cet événement permet notamment aux Belges de se racheter, 15 ans après le drame du Heysel.

Une opportunité offerte par l'UEFA que n'oublie pas Courtois. "Tout le monde avait peur des hooligans à l'époque. D'autant plus quand on a organisé un match Angleterre-Allemagne dans la petite ville de Charleroi. Le ministre de l'Intérieur  [Antoine Duquesne] avait dit à l'époque que c'est comme si j'organisais un concert des Beatles dans une salle paroissiale." Durant toute la préparation et la durée de l'Euro, les coûts et bénéfices sont partagés entre les Pays-Bas et la Belgique.

"L'UEFA souhaite rapprocher les peuples"

Au-delà de l'aspect financier, Alain Courtois se souvient de "quelques difficultés avec les Néerlandais", mais surtout "d'une coordination qui s'est parfaitement passée". "Politiquement, socialement, culturellement, on a travaillé ensemble, on a organisé des expositions dans les deux pays. On n'a pas fait que du football, on a utilisé ce rapprochement", explique l'ancien directeur du tournoi. Car en attribuant des co-organisations, l'UEFA promeut en partie la coopération entre différents pays.

"L'UEFA souhaite rapprocher les peuples. Le phénomène de co-organisation, c'est une volonté de l'UEFA, de répartir les coûts d'une part et de réduire les dépenses dans les infrastructures, mais aussi de rapprocher les peuples et d'étendre la zone d'influence du football", nous indique Guillaume Germain, historien du sport et auteur de 1960-2020 : 60 ans d'Euro de football. La réussite de l'Euro 2000 convainc l'UEFA d'attribuer l'édition 2008 à l'Autriche et la Suisse. Un nouveau succès et un "clin d'œil au pays de résidence" de l'instance du football européen qu'est la Suisse, selon Guillaume Germain.

David Trezeguet offre à la France la victoire lors de l'Euro, le 2 juillet 2000 à Rotterdam en clôture du premier tournoi co-organisé par la Belgique et les Pays-Bas. (PATRICK HERTZOG / AFP)

L'Euro 2012, co-organisé par l'Ukraine et la Pologne, est bien plus empreint de la marque de l'Histoire. "Le choix de l'Euro 2012, c'est presque un choix stratégique. On y voit forcément une forme d'accompagnement au rapprochement de l'Ukraine vers le camp occidental", détaille l'historien du sport. Les deux pays sont désignés co-organisateurs en novembre 2005, soit un an après la révolution orange en Ukraine. En novembre 2004, à la suite de la victoire de Viktor Ianoukovitch - proche de la Russie de Vladimir Poutine - à l'élection présidentielle, des manifestations éclatent à travers le pays. Les élections sont annulées et Viktor Iouchtchenko, leader de la révolution et favorable au rapprochement avec l'UE, remporte le nouveau scrutin.

2012, le rendez-vous manqué

Quelques mois après ces événements, le choix de l'UEFA ne semble pas anodin, malgré la neutralité politique de l'instance. "Mais les présidents des fédérations qui votent considèrent qu'ils ont une forme de pouvoir et qu'ils peuvent, d'une manière ou d'une autre, sans faire de la politique, participer à l'Histoire. Et donc il y a une volonté géopolitique ambitieuse avec cette désignation de la Pologne et surtout de l'Ukraine", nous expose Paul Dietschy, auteur de l'ouvrage Histoire du football.

Malgré les difficultés économiques liées à la crise financière, la co-organisation de l'Ukraine et de la Pologne est une réussite sportive. Elle vient concrétiser le style du football espagnol, qui remporte un deuxième Euro consécutif de manière éclatante face à l'Italie en finale (4-0). Mais d'un point de vue politique, le plan de rapprochement tombe à l'eau. Sept ans après la désignation de 2005, l'Ukraine est dirigée par Viktor Ianoukovitch, favorable au rapprochement avec la Russie. Sa première opposante et ancienne Première ministre, Ioulia Tymochenko, est en prison.

Dénonçant les conditions de détention de Tymochenko, la chancelière allemande Angela Merkel, le président français François Hollande et le gouvernement britannique boycottent les matches de leur sélection en Ukraine, loin du rapprochement espéré avec l'Union européenne. Bronislaw Komorowski, président polonais de l'époque, réagit : "La Pologne craint de manière fondée qu'un boycott puisse impliquer pour l'Ukraine de choisir une voie politique alternative au processus d'intégration européenne."

Un format favorable à l'UEFA

Malgré l'échec de ce rapprochement et la tournure que prennent les événements en Ukraine dans les années suivantes, l'UEFA peut voir dans ce phénomène de co-organisation une réussite. D'un point de vue sportif, les tournois tiennent toutes leurs promesses, même si tous les pays co-organisateurs sont éliminés dès le premier tour, hormis les Pays-Bas qui se hissent jusqu'en demi-finales en 2000.

Si elle facilite le rapprochement entre les peuples, l'UEFA ne se prive pas par la même occasion de développer l'attractivité de l'Euro. En se rendant en territoires inconnus, l'instance s'assure un intérêt grandissant pour la compétition et des droits télévisés en hausse.

"Le fait que chacun puisse désormais participer à la fête, ça donne un sentiment d'appropriation de l'événement. Pour des nations qui n'ont pas forcément les moyens de participer, ça permet à tout un peuple de se mobiliser et de devenir des supporters assidus", explique Guillaume Germain. L'Euro 2021 a donc été pensé en ce sens, avec pour objectif d'obtenir une communion de tous les peuples européens.

Le stade Ferenc-Puskas de Budapest (ici le 11 novembre 2019), l'une des onze villes hôtes de l'Euro 2020. (ATTILA KISBENEDEK / AFP)

Un quatuor pour 2028 ?

La pandémie aura finalement dénaturé l'idée de Michel Platini, même si quelques milliers de supporters pourront être présents dans les stades. Pourtant, l'idée d'une co-organisation à plus de dix pays pourrait ne plus voir le jour. Aleksander Ceferin, président de l'UEFA depuis 2016, a déjà affiché son scepticisme par rapport à ce format. Certaines voix se sont élevées pour dénoncer l'aberration écologique que représente cette compétition itinérante, en raison des déplacements des supporters à travers le continent.

"On rentre dans une période où les choses doivent être raisonnables et les coûts d'infrastructure sont très importants. Pour avoir l'adhésion populaire, il faut d'abord la fête. Mais il ne faut pas que la fête apparaisse comme un gouffre financier et écologique. Donc il y a un équilibre à trouver", soutient Guillaume Germain. Après l'enthousiasme, l'UEFA pourrait décider de revenir à un format plus simple dans les prochaines années.

Le phénomène de co-organisation devrait toutefois perdurer. Après l'édition 2024 en Allemagne, l'Euro 2028 suscite les convoitises de plusieurs pays, dont un quatuor Grèce-Bulgarie-Serbie-Roumanie, qui prépare une candidature. Quatre nations qui devront porter une attention toute particulière à la crise écologique, ou à une éventuelle crise sanitaire. Deux défis parmi tant d'autres auxquels a été confronté l'Euro lors des dernières éditions.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.