Euro 2016 : Cristiano Ronaldo, orgueil ou préjugés ?
Meilleur joueur du monde un an sur deux (en alternance avec Lionel Messi), le Portugais fascine autant qu'il agace. D'où lui vient cette morgue ?
Un jour interrogé sur les sifflets qui accompagnaient chacune de ses prises de balle, Cristiano Ronaldo avait répondu : "Parce que je suis beau, riche et talentueux." Le genre de phrase qui fait qu'aujourd'hui, le joueur du Real Madrid est beaucoup plus détesté que son grand rival, Lionel Messi, le lutin argentin du FC Barcelone qui dort quatorze heures par jour sans fâcher personne. Alors que le Portugal débute l'Euro, mardi 14 juin, face à l'Islande, tentons de percer la carapace du dernier Ballon d'or.
"Devenu un homme" à 12 ans
Cristiano Ronaldo n'est pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche. Loin de là. Sa mère, qui ne le désirait pas, a tenté d'avorter en buvant de la bière brune bouillie, un truc de grand-mère issu de son île natal de Madère. En vain. Son père, qui l'a appelé ainsi en 1985 en hommage à Ronald Reagan, l'oriente rapidement vers le football. Très vite largué à l'école - quand il arrive en 4e, Cristiano Ronaldo a déjà redoublé trois fois - il arrêtera toute scolarité sérieuse l'année suivante. Le football représente rapidement sa seule planche de salut pour sortir de son île, sous-développée par rapport au continent. Dès l'âge de 8 ans, ses coéquipiers surnomment Ronaldo "le pleurnicheur", tant l'enfant râle dès qu'un de ses partenaires oublie de lui faire une passe.
Brutalement, le Lusitanien passe à l'âge adulte. Lui qui a cru au Père Noël "jusqu'à l'âge de 10 ou 11 ans" se retrouve en 1996 au centre de formation du Sporting Portugal à Lisbonne, loin de sa famille. "Je devais repasser mes vêtements, faire mon lit, je faisais des choses que les enfants ordinaires ne font pas à cet âge-là [11 ans]. Ils n'ont pas à penser à tout ça, il y a toujours quelqu'un qui le fait pour eux. (...) J'ai beaucoup appris, et je suis devenu un homme." Le petit Cristiano, moqué pour son accent bizarre, travaille plus que les autres pour devenir professionnel et pouvoir faire venir sa famille. Au point de se réveiller la nuit, pour aller en douce à la salle de gym courir 40 minutes sur un tapis roulant et soulever de la fonte, car il se trouve trop maigre, raconte le journaliste Guillem Balague, dans sa biographie intitulée Ronaldo (ed. Hugo Sports).
Miroir, mon beau miroir...
Il perce en équipe première à 17 ans. La légende veut que lors d'un match de jeunes, son coéquipier Albert Fantrau l'ait fait briller en lui offrant en but pour lui laisser une chance d'intégrer l'élite. Reconnaissant, Cristiano Ronaldo lui aurait versé une jolie somme. Quand des journalistes retrouvent ce bienfaiteur, au chômage, et s'étonnent devant sa belle maison et sa berline neuve dans le garage, ce dernier répond : "Tout ça, c'est grâce à Cristiano." Cette histoire accrédite la thèse du clan Ronaldo, qui décrit un homme généreux et passionné, loin de l'image du joueur à l'ego boursouflé qu'il renvoie. En mai 2015, il a appelé ses 100 millions d'amis Facebook à faire un geste pour les victimes du tremblement de terre au Népal.
Quand il arrive à Manchester United, en 2003, après avoir martyrisé le flanc droit de la défense des Red Devils lors d'un match amical, il a droit au traditionnel bizutage lors des entraînements où ses coéquipiers ne le ménagent pas. Ses cheveux peroxydés et ses excentricités vestimentaires heurtent ses nouveaux collègues aux goûts conservateurs. Le fait qu'il s'installe dans le vestiaire au niveau de l'unique casier qui est situé en face d'un miroir fait beaucoup jaser. L'intendant des Red Devils, Alec Wylie, explique dans la biographie de Guillem Balague qu'il s'agit d'un hasard, mais que "Ronaldo n'a plus réussi à passer devant sans se regarder". La légende du Cristiano Ronaldo narcissique, obsédé par son corps - les fameux 3 000 abdos qu'il ferait tous les jours - est née dans le nord de l'Angleterre. Peut-être n'aurait-il pas dû s'offrir trois cabines à UV, une horizontale, une en croix et la troisième verticale "pour regarder la télé"... Il écrit pourtant dans sa biographie que "l'humilité est l'un des valeurs que je chéris le plus. Le jour où j'aurai un enfant, je lui transmettrai ces principes."
L'ambitieux "Tristano" Ronaldo
Au Real Madrid, où il évolue depuis 2009, la presse fera ses choux gras de sa propension à se mettre sur la pointe des pieds au moment de la photo d'avant-match. Ses relations houleuses avec le président du club, Florentino Perez - Cristiano Ronaldo a été recruté par son prédécesseur - lui vaudront le surnom de "Tristano" au sein du vestiaire. Jerzy Dudek, ancien gardien remplaçant du Real, aura ce commentaire dans son autobiographie : "Il préfère que l'équipe gagne 2-1 avec deux de ses buts, plutôt que 5-0 avec les coéquipiers qui marquent."
Le portier polonais raconte avoir été surpris quand l'attaquant portugais a snobé un groupe d'enfants, au printemps 2010, qui l'attendaient à la sortie du centre d'entraînement pour obtenir un autographe. Malheureusement pour eux, la veille, le Real Madrid avait été sorti par Lyon dès les 8es de finale de la Ligue des champions : "Je suis venu à Madrid pour gagner, pas pour signer des autographes", réplique sèchement CR7.
Cristiano Ronaldo est revenu sur la différence ténue, d'après lui, entre la volonté de vaincre et la suffisance. "Je me sens incompris, a-t-il un jour déclaré à CNN. Parfois, c'est vrai, je donne une mauvaise image sur le terrain, car je prends les choses trop au sérieux. (...) Je pense que mon image m'a coûté, par le passé [des votes pour le Ballon d'or]." Andres Villas-Boas, le coach portugais du Zénith Saint-Pétersbourg, a volé à son secours dans une interview au site Laureus : "Je pense que l'ambition ne doit pas être confondue avec l'arrogance. Cristiano Ronaldo est victime d'une forme de lynchage médiatique."
Le cri primal poussé par Cristiano Ronaldo sur l'estrade de Zurich, au moment de recevoir son troisième Ballon d'or en janvier 2015, peut ainsi être interprété de deux façons. Tout comme sa façon de célébrer son but en finale de la Ligue des champions en mai 2014, tout en muscle. Il ne s'agissait pourtant que du penalty qui scellait le succès des Merengue, à 4-1. Pour José Angel Sanchez, directeur général du Real Madrid, cité dans le livre du journaliste espagnol Mario Torrejon, il est difficile de blâmer CR7 pour son arrogance : "Lorsque des joueurs ont des comportements ou des gestes qu'on ne comprend pas, on le fait sur une grille de lecture de personne 'ordinaire'. Ils n'ont pas ce cadre de référence."
Un homme seul harcelé de toutes parts
Certains estiment aussi que cette arrogance est une carapace pour se protéger du monde extérieur. De nombreuses scènes du documentaire à sa gloire, Ronaldo, le montrent dans son immense maison, située au milieu d'un quartier sécurisé où vivent les joueurs du Real - en compagnie de son fils, Cristiano Jr, de mère inconnue et payée dix millions de dollars pour le rester.
Un journaliste a un jour demandé à la star portugaise : "Aimerais-tu pouvoir sortir de chez toi sans que personne te reconnaisse ?" Réponse de Ronaldo : "J'en rêve, je paierais pour ça si c'était possible." On en est très loin : lors du baptême de son fils, alors que l'enfant avait encore les cheveux mouillés, le prêtre a dégainé son smartphone pour demander un selfie à la star.
Autre scène surréaliste du documentaire : lors d'un entraînement à Sao Paulo, durant le Mondial 2014, une fan hystérique réussit à franchir le cordon de sécurité et se jette dans les bras de l'attaquant portugais. Quelques secondes plus tard, repoussée par les agents de sécurité, elle se confie aux journalistes :
- Il sait que j'existe !
- Que vous a-t-il dit ?
- De me calmer et d'arrêter de pleurer.
- Que lui avez-vous répondu ?
- Je lui ai demandé s'il pouvait me suivre sur Twitter.
Ronaldo le reconnaît lui-même, c'est un solitaire contraint et forcé. "Dans le football, je n'ai que peu d'amis. Les gens en qui j'ai vraiment confiance ? Quelques-uns. La plupart du temps, je suis seul."
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