Euro 2016 : Gianluigi Buffon, une légende à prendre avec des gants
A 38 ans, le portier de la Juventus est sans doute le joueur le plus emblématique de la sélection italienne. Certains observateurs prédisent déjà un avenir politique à ce farouche défenseur du drapeau.
Qui mieux que "Gigi" incarne l'âme de la Nazionale ? Considéré comme le meilleur gardien du monde, l'Italien Gianluigi Buffon va disputer son quatrième Euro, à 38 ans. Une histoire débutée il y a bien longtemps, dans sa ville natale de Carrare, en Toscane. Fils de parents lanceurs de poids, l'enfant passe son temps à dribbler "quelques voitures" au milieu d'une rue bordée de platanes. Alors que ses camarades vibrent devant Diego Maradona et Gary Lineker, lors de la Coupe du monde 1990 organisée en Italie, "Gigi" est scotché par le style inimitable du gardien du Cameroun, Thomas N'Kono, au point de donner le même prénom à son premier fils, né en 2007. "Je me suis mis entre trois montants et je n'en suis plus parti, résume-t-il (en italien*). Grâce à mon père, à N'Kono et au titulaire malchanceux de mon club."
Gianluigi Buffon trouve rapidement ses marques. A 13 ans, il est repéré par un observateur de Parme et intègre le club, où il progresse rapidement. Quatre ans plus tard, l'entraîneur de l'équipe première, Nevio Scala, frappe à sa porte, car le gardien n°1, Luca Bucci, est blessé. "Tu te sens de jouer ? Bien sûr, sinon qu'est-ce que je fais ici ?" A 17 ans, le voilà titulaire face au Milan AC, pour son premier match de Serie A, en novembre 1995. Match nul 0-0 ; la carrière du prodige est lancée. "J'ai de belles mains et les doigts longs. C'est un héritage de mon père, a-t-il répondu un jour à La Repubblica." Encore faut-il du tempérament."Je suis devenu gardien par narcissisme [afin d'étouffer] les cris de joie dans la gorge de l'adversaire".
"Je ne savais pas que le nombre 88 était lié au nazisme"
Le gosse est turbulent. En 1997, Il présente un faux diplôme pour valider son inscription à la fac de droit, ce qui lui vaudra une poursuite au pénal. "Tout le monde me voyait comme un fou, un peu déséquilibré." A 18 ans, il se rue vers un virage de supporters et dévoile un tee-shirt flanqué d'une maxime de Benito Mussolini : "Boia chi molla" ("Celui qui abandonne est un bourreau"). A l'époque, il jure en ignorer l'origine : "La phrase correspondait à mon état d'esprit." Rebelote en 2000, quand il choisit de jouer avec un double 8 – comme quatre ballons – au grand dam de la communauté juive. "Je voulais le double zéro, mais ça n'a pas été possible. Et je ne savais pas que "88" était lié au nazisme [la 8e lettre de l'alphabet doublée, "h", signifie "Heil Hitler"]".
Malgré ces casseroles, Gianluigi Buffon rejoint la Juventus en 2001. Mais en décembre 2003, patatras : toujours très marqué par son échec en finale de Ligue des champions quelques mois plutôt face au Milan AC, il sombre dans la dépression. Il continue de jouer mais se retrouve souvent prostré dans son lit, en larmes. Sans énergie, malgré les séances chez le psy. Quelques mois plus tard, dans les rues de Turin, Gianluigi Buffon découvre une affiche pour une exposition du peintre Chagall. Un inconnu le guide au milieu des tableaux, raconte la revue culturelle Serie, dans la galerie d'art moderne de la rue Magenta. C'est un déclic. Gianluigi Buffon fera la visite trois fois dans la même journée. "J'ai commencé à lire, à visiter des expositions, à m'intéresser à l'actualité."
Cette "renaissance personnelle" porte ses fruits. Trois ans plus tard, "Gigi" soulève la Coupe du monde, le 9 juillet 2006 à Berlin (Allemagne). Lors de la fête donnée à Rome, au Cirque Maxime, certains observateurs s'étonnent de la présence d'une petite croix celtique, souvent utilisée par les mouvements d'extrême droite, en bas de la banderole brandie par plusieurs joueurs. Des soupçons, encore et toujours.
La "maladie" du jeu
Autour de la trentaine, Gianluigi Buffon a bien changé. Il achète deux quotidiens par jour – en plus de la Gazzetta dello sport. Au fil des lectures, "Gigi" devient incollable sur les années de plomb et la criminalité italienne. Sans s'interdire la lecture d'un manuel de programmation neurolinguistique. Avec ses premiers salaires, il s'était offert une Porsche jaune, que son père lui avait aussitôt demandé de revendre. Désormais, il ne possède plus de voiture. Pour se rendre de Turin à Milan, le gardien emprunte le train. "Et à la maison, je conduis une Jeep [sponsor du club] prêtée par la Juventus".
Assagi, "Gigi" ? Pas tout à fait. Joueur invétéré, Gianluigi Buffon est dingue de casinos et de jeux de hasard, dont il est parfois l'ambassadeur. Une passion qui excite la curiosité de la presse italienne, depuis le scandale des paris sportifs de 2006, dans lequel son nom est apparu. En 2012, un proche du joueur a qualifié cette passion de "maladie", selon la Gazzetta dello sport, tandis qu'une ex-compagne évoquait des dépenses atteignant deux millions d'euros par an. Interrogé sur ce point, le gardien botte en touche : "C'est un plaisir et un divertissement". Comprenez : pas question d'y renoncer.
"Entre la droite et la gauche, je préfère la droite"
Pour qui roule Gianluigi Buffon ? La question passionne la presse italienne. "Entre la droite et la gauche, je préfère la droite", explique-t-il au Giornale, en 2009. L'année suivante, l'ancien sélectionneur Cesare Prandelli lui prédit un avenir en politique. "Pourquoi pas ?, répond-il un jour au Corriere della sera. Si tout le monde nous tire vers le bas, alors nous sommes tous coupables, moi compris." L'année suivante, le gardien apporte un soutien "inconditionnel et total" à Mario Monti, leader du centre-droit et président du Conseil italien. Aujourd'hui, il vante "la vigueur et le dynamisme" de Matteo Renzi, président du Conseil de centre-gauche, qualifié de "leader courageux". Comprenne qui pourra.
Une chose n'a jamais changé : son amour du drapeau. "Je considère que le patriotisme est une chose importante, explique-t-il sans détour, interrogé par le journal communiste L'Unità. J'apprécie la volonté du président de relancer le sens de l'orgueil national, et de redonner de la valeur à l'hymne et au drapeau. Je ne suis pas un nationaliste stupide, mais tous les autres pays possèdent ce sentiment." Depuis longtemps, ses déclarations sont commentées en ce sens. En mai 2015, par exemple, il rend hommage à Fabrizio Quattrocchi, un employé d'une société de sécurité assassiné en Irak par des islamistes, après les avoir bravés en prononçant : "Je vais vous montrer comment meurt un Italien." Aussitôt, le magazine Oggi publie un édito : "Buffon leader de la droite ?"
A 38 ans, il bat toujours des records d'invincibilité
En attendant, Gianluigi Buffon reste un adversaire respecté, eu égard à son impressionnant palmarès. Les supporters de la Juventus n'ont pas oublié sa fidélité, quand le club a été rétrogradé en deuxième division en 2006, après l'affaire des matchs truqués. En janvier, son absence dans la liste des possibles choix pour le Ballon d'or a heurté la fédération italienne. Laquelle a passé la consigne au gardien et à son sélectionneur, Antonio Conte, de s'abstenir de voter. A 38 ans, "Gigi" vient de réussir l'une des plus belles saisons de sa carrière, parvenant à conserver sa cage inviolée pendant 974 minutes, ce qui représente un nouveau record d'invincibilité en Serie A.
The art of goalkeeping by @gianluigibuffon...
— UEFA EURO 2016 (@UEFAEURO) 30 mai 2016
Does he make your #alltime11? https://t.co/DrcTwKmywe @Parishttps://t.co/mBvcdo21nw
Champion du monde en 2006, sept fois champion d'Italie et deux fois finaliste de la Ligue des champions, Gianluigi Buffon n'a jamais remporté l'Euro. C'est peut-être sa dernière chance. Déjà, ses deux fils lui demandent souvent quand il va raccrocher les gants. S'il ignore lui-même la date, Gianluigi Buffon n'a pas envie de devenir entraîneur. Ce qui ne l'empêche pas de commenter sa longue carrière et de dispenser quelques conseils. Invité par le cercle philologique de Milan (Italie), à la mi-mai, la légende des bianconeri a livré un discours de quinze minutes sur le thème du "relativisme", qu'il a lui-même choisi. "L'opinion publique pense souvent qu'un grand sportif est aussi un grand homme. Mais ça ne marche pas comme ça."
*Tous les liens sont en italien
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