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Euro 2016 : l'art contemporain ne doit pas ĂȘtre mis sur la touche

Art et football, deux mondes incompatibles ? La Grande galerie du foot, qui ouvre dimanche à Paris, offre un aperçu de la production artistique liée au football. Et c'est l'occasion de tordre le cou à quelques idées reçues.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
"Work nÂș2B : La Tonsure (After Marcel Duchamp)", du NĂžne Futbol Club.  (NØNE FUTBOL CLUB)

Visiter une expo d'art contemporain sans trahir sa passion du foot, c'est possible. OĂč ? A la Grande halle de La Villette, dans le 19e arrondissement de Paris, à la Grande galerie du foot. L'exposition explore plusieurs dizaines d'annĂ©es de relations entre ballon rond et crĂ©ation, Ă  travers 80 Ɠuvres signĂ©es par de grands noms. Cristiano Ronaldo, Gianluigi Buffon et Thomas MĂŒller restent au vestiaire. Place Ă  Douglas Gordon, Wim Delvoye et David LaChapelle – auteur d'un portrait lascif et luisant de David Beckham, icĂŽne pop et sportive.

"David Beckham : Posing for Pictures II Yellow 2", de David LaChapelle. (STUDIO LACHAPELLE / COURTESY GALERIE DANIEL TEMPLON)

Ne vous fiez pas à la pelouse synthétique de l'entrée. La Grande galerie du football emprunte à sa voisine du Louvre, ornée de tableaux d'EugÚne Delacroix. "Un Louvre renversé, un Louvre populaire", selon les mots de Jean-Max Colard, commissaire d'exposition. AprÚs tout, les grands noms de l'art ont, eux aussi, investi les terrains de football, à commencer par le peintre Miró, auteur de l'affiche de la Coupe du monde 1982, reproduite à la Villette. "De Staël, Delaunay, le Douanier Rousseau, Picasso... Depuis le début du XXe siÚcle, les artistes n'ont cessé de s'intéresser à cette culture populaire."

Affiche de la Coupe du monde 1982 en Espagne rĂ©alisĂ©e par MirĂł. (FIFA)

"Le foot est vu Ă  la tĂ©lĂ©. LĂ , ces Ɠuvres dĂ©cadrent le regard"

"Au-delà de ce phénomÚne culturel, le football est un beau sport, esthétique, avec cette aberration d'interdire aux joueurs d'utiliser les mains", poursuit Jean-Max Colard. En témoigne Zidane, un portrait du XXIe siÚcle, le film de Philippe Parreno et Douglas Gordon consacré à Zinedine Zidane, présenté à nouveau dans le cadre de cette exposition. Pendant 90 minutes, l'objectif suit les moindres faits et gestes du joueur, lors d'une rencontre disputée avec le Real Madrid en 2005. "La dimension chorégraphique de ces corps a souvent retenu l'attention des artistes. Le footballeur Georges Best, par exemple, était tellement looké qu'on l'appelait le 'cinquiÚme Beatles'".

"And Number One Was Georgie Best
" (2013), de Chris Beas. (CHRIS BEAS)

Les amateurs de foot y trouveront sans doute leur compte, tout autant que les amateurs éclairés d'art contemporain. "Le football est regardé notamment à travers la télévision. Là, les artistes s'en emparent avec des techniques qui permettent de décadrer le regard", glisse le commissaire d'exposition. 

Déjà exposé au Lacma de Los Angeles (Etats-Unis) en 2014, lors de l'exposition The Beautiful Game, le peintre américain Kehinde Wiley pastiche les portraits de la Renaissance, avec cet anonyme en tenue de sport, croisé dans les rues de Harlem. Le football acquiert ici ses titres de noblesse à l'écart des caméras.

"Idrissa NDiaye" (2012), de Kehinde Wiley. (KEHINDE WILEY)

"Aujourd'hui, le football est plus qu'un sport populaire, estime Jean-Max Colard. Il s'agit d'un phĂ©nomĂšne de masse, d'une culture presque dominante par rapport Ă  la culture artistique." Ainsi, le collectif NĂžne Futbol Club inverse les rĂŽles, pour faire entrer l'art et son histoire sur un terrain de football, grĂące au concours de Djibril CissĂ©. La tonsure Ă©toilĂ©e de l'artiste Marcel Duchamp, immortalisĂ©e par Man Ray en 1919, est cette fois adoptĂ©e par un footballeur, dont le goĂ»t pour les fantaisies capillaires est connu. L'ancien avant-centre des Bleus a mĂȘme disputĂ© un match avec Bastia, la folie en tĂȘte. "Marcel Duchamp allait acheter un urinoir au BHV pour le mettre au musĂ©e, ce collectif ramĂšne le musĂ©e dans le stade", sourit Jean-Max Colard.

"Work nÂș2B : La Tonsure (After Marcel Duchamp)", du NĂžne Futbol Club.  (NØNE FUTBOL CLUB)

"Personne ne donne accĂšs Ă  cette culture aux footballeurs"

Certes, Djibril Cissé a joué le jeu. Mais l'image du footballeur est plus volontiers associée aux parties de Playstation qu'aux galeries d'art. "C'est assez injuste pour ces sportifs. N'oublions pas qu'il s'agit de mÎmes pris à 8 ans dans un environnement footballistique, personne ne leur donne accÚs à cette culture", nuance Jean-Max Colard. [L'ancien international français] Jonathan Zebina a créé une galerie d'art à Milan [ensuite revendue], Eric Cantona s'est mis à la peinture... Il faut parfois de la maturité pour approcher cet univers."

  (LA VILLETTE)

Parfois, c'est le football lui-mĂȘme qui devient mĂ©cĂšne et commanditaire, Ă  l'image du Red Star, club populaire de la rĂ©gion parisienne, impliquĂ© depuis sa crĂ©ation dans des programmes sociaux. AprĂšs avoir passĂ© commande auprĂšs d'un commanditaire, le peintre Guillaume Bresson a rĂ©alisĂ© cette peinture Ă  l'huile, Chef d'Ɠuvre du Red Star, sous la forme d'un diptyque Ă  l'ancienne. "Ce n'est pas un hasard si d'autres clubs 'de gauche', Ă  vocation sociale, sont Ă©galement reprĂ©sentĂ©s dans l'exposition, comme Sankt-Pauli (Allemagne)."

ƒuvre sans titre de Guillaume Bresson (2016), commandĂ©e par le club du Red Star. (GUILLAUME BRESSON)

L'exposition ne masque pas la part d'ombre du football, parfois outil au service d'un rĂ©gime ou d'une idĂ©ologie, Ă  l'image d'un diptyque de la Chilienne Gracia Barrios, Le Stade de Santiago, oĂč apparaĂźt une foule silencieuse et obĂ©issante, peinte sans visage. Sous la dictature de Pinochet, les opposants Ă©taient massĂ©s dans l'enceinte, avant de disparaĂźtre. "Pendant la guerre de 1914-18, l'Etat distribuait des ballons de foot aux 'Poilus'. Ce sport est depuis longtemps une affaire d'Etat, d'argent, de sociĂ©tĂ©. C'est aussi pour ça que les artistes s'en emparent aussi de maniĂšre critique." En tĂ©moigne cette Ɠuvre de George Afedzi-Hughes.

"Made in the Colonies" (2008-2011), de George Afedzi Hughes. (GEORGE AFEDZI HUGUES)

Avec cette exposition convaincante, les organisateurs espÚrent attirer les fans de football. "Je m'attendais à de la condescendance dans le milieu de l'art, mais j'ai été agréablement surpris, reconnaßt Jean-Marc Colard. Par exemple, la galerie Air de Paris, trÚs pointue, qu'il est difficile de soupçonner de populisme, m'a appelé pour me signaler une exposition en 1998, avec Elaine Sturtevant, une grande artiste conceptuelle américaine." Pendant l'Euro, pas question de laisser les amateurs d'art sur la touche.

> La Grande galerie du foot, du 05/06 au 10/07 Ă  la Grande Halle de la Villette, Paris.

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