Euro 2016 : pourquoi la France doit se méfier de la Roumanie
Premier adversaire des Bleus, vendredi, la sélection roumaine nourrit de sérieuses ambitions dans cette compétition. Et pour cause : entre un public nostalgique et des joueurs en manque d'exposition, la "Tricolirii" n'a pas le droit à l'erreur.
C'est devenu une entrée en matière classique pour l'équipe de France. Vendredi 10 juin, en match d'ouverture de l'Euro 2016, les Bleus vont affronter la Roumanie, un adversaire qu'ils ont déjà croisé lors de leur premier match à l'Euro 1996 (victoire 1-0) et en 2008 (match nul 0-0). Cette fois encore, personne ne voit les Français s'incliner, d'autant qu'ils auront l'avantage de jouer à domicile. Mais il faudra pourtant se méfier de ces joueurs solides et, surtout, ultra-motivés, car pour eux, l'Euro est une occasion qu'ils n'ont pas le droit de rater.
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Parce que la Roumanie veut renouer avec son glorieux passé
Lors du tirage au sort, nombre d'observateurs du foot français se sont réjouis de la présence de la Roumanie dans le groupe des Bleus. Vingt ans plus tôt, les réactions auraient été différentes tant les Roumains représentaient, à l'époque, une menace très sérieuse en matière de football.
En 1986, le Steaua Bucarest estomaque d'abord l'Europe en remportant aux tirs au but, face au FC Barcelone, la Coupe des clubs champions, avant de se hisser à nouveau en finale en 1989 (défaite 4-0 face au Milan AC). Lors du Mondial 1994 aux Etats-Unis, c'est l'équipe nationale qui fait des merveilles. Sortis premier de leur groupe après avoir battu notamment la Colombie et les Etats-Unis, les Roumains éliminent l'Argentine de Gabriel Batistuta en huitième de finale, avant de s'incliner aux tirs au but en quart contre la Suède. Le meneur de jeu roumain s'appelle alors Gheorghe Hagi, surnommé le "Maradona des Carpates", milieu de terrain aussi génial que caractériel, qui jouera au Real Madrid et à Barcelone.
Eliminée au premier tour de l'Euro 1996, la Roumanie se rattrape un peu lors du Mondial 1998 en France, toujours sous la houlette de Gheorghe Hagi, et se fait éliminer avec les honneurs par la Croatie en huitième de finale. Depuis ? Plus grand chose. Chaque compétition internationale se résume à une non-participation ou à une piteuse élimination au premier tour.
Les stars de la trempe de Gheorghe Hagi, Gheorghe Popescu, Dan Petrescu, Florin Raducioiu ou Viorel Moldovan se sont peu à peu raréfiées. "Ce n'est pas plus mal, explique à francetv info Hadrian Stoian, rédacteur pour Footbalski, site spécialisé dans le foot d'Europe de l'Est. La dernière 'star', c'était Adrian Mutu, l'ancien attaquant de Chelsea et de la Juventus, qui s'est plus fait remarquer pour ses frasques [cocaïne, sorties en boîtes de nuit...] que pour son talent. Aujourd'hui, les Roumains veulent être fiers de leurs footballeurs, mais aussi les voir renouer avec le meilleur niveau européen."
Parce que le pays croit en son équipe
Le supporter de la "Tricolirii", le surnom de l'équipe de Roumanie, en est persuadé : la traversée du désert va prendre fin lors de l'Euro. D'abord parce que son équipe a réussi à se qualifier, derrière la surprenante Irlande du Nord. Mais surtout parce qu'elle n'a encaissé que deux buts en 10 matchs, terminant meilleure défense de ces éliminatoires,
C'est clair qu'ils ne lâchent rien. C'est une équipe jeune, motivée et super bien organisée. Bon, en revanche, offensivement, c'est moins fort.
Comme tout le monde, les Roumains s'attendent à ce que leur équipe pratique un jeu très défensif contre la France. Mais ils comptent aussi sur leurs attaquants pour se montrer beaucoup plus décisifs contre l'Albanie et la Suisse. Notamment l'avant-centre de Cordoba, Florin Andone, qui a fini meilleur buteur de la deuxième division espagnole.
L'ambition du pays est de sortir des poules et de miser sur un exploit en huitième de finale. Il compte pour cela sur sa seule star : le sélectionneur Anghel Iordanescu, ancien joueur du Steaua Bucarest vainqueur de la Coupe d'Europe en 1986, et ex-coach de la glorieuse équipe nationale des années 1990. De retour à la tête de la sélection, il a imposé ses schémas simples, mais efficaces.
"La présence d'Anghel Iordanescu donne envie aux Roumains de repartir de l'avant, explique Hadrian Stoian. Il est très apprécié par les supporters, mais c'est surtout parce qu'il obtient des résultats. S'il échoue, c'est-à-dire si la Roumanie est éliminée dès les phases de poule, ce sera une énorme déception, personne ne l'épargnera et il sera viré sans état d'âme."
Parce que les joueurs veulent se montrer à tout prix
Si les Roumains sont aujourd'hui fiers de leur sélection, c'est aussi parce qu'une partie des joueurs (13 sur les 28 présélectionnés) évoluent dans le championnat roumain, la Liga 1.
Cette compétition, proche du niveau de la Ligue 2, peine à retenir ses pépites. "C'est clair que beaucoup de joueurs souhaitent quitter le pays, témoigne Harlem Gnohéré, l'attaquant du Dinamo Bucarest. En Roumanie, un joueur gagne bien sa vie par rapport au travailleur moyen. Mais ailleurs, il gagnerait 20 fois plus. Constantin Budescu, un joueur très fort, a préféré partir en Chine, où il gagne bien sa vie, plutôt que de rester au pays, quitte à ne pas être retenu pour l'Euro."
Au-delà de l'argent, ce qui pousse souvent les joueurs à fuir la Roumanie, c'est la corruption et ses conséquences : les scandales financiers et judiciaires fragilisent grandement le championnat, y compris les équipes les plus puissantes. L'Astra Giurgiu, sacré champion en 2016, a commencé la saison avec un président en prison et des finances dans le rouge, forçant le club à se séparer de ses meilleurs joueurs.
C'est également ce qui s'est passé au FC Petrolul Ploiesti, où le défenseur français Guillaume Rippert venait de s'engager. "Sur le plan sportif et personnel, ça se passait très bien, explique à francetv info l'ancien international espoir, passé par Valenciennes et Evian. En revanche, au bout d'un mois, on n'a pas été payés. Moi, j'avais été très clair, à la moindre embrouille, je pliais bagage. Alors au bout de quelques semaines, je suis parti et j'ai signé à Cholet, en CFA [4e division française]."
Dans la foulée, six autres Français de l'effectif claquent la porte, et le club est finalement relégué en fin de saison. "Le plus étonnant, c'est que les Roumains, eux, ne se plaignaient pas, confie Guillaume Rippert. Ils avaient sûrement peur des patrons mafieux, ou de ne pas jouer."
Personne ne le dira publiquement, mais un joueur du championnat roumain n'est pas un joueur serein. Là-bas, tout ne dépend pas que du terrain, mais aussi des problèmes judiciaires ou politiques. Et quand votre club est relégué en deuxième division, c'est la catastrophe, les conditions sont très mauvaises, les joueurs ne sont pas ou sous-payés.
Rien d'étonnant donc à ce que les candidats à l'exil soient nombreux. Mais le championnat est très peu suivi au-delà des Carpates. Hormis quelques exploits, comme l'élimination de Lyon en Ligue Europa par l'Astra en août 2014, les occasions de se faire connaître sont extrêmement rares. Participer à une compétition internationale est donc une occasion à ne pas rater. "L'Euro, c'est un peu une épée de Damoclès, ajoute Hadrian Stoian. Si un joueur roumain n'est pas repéré par un club étranger durant la compétition, ça peut être un coup d'arrêt dans sa carrière, aussi prometteuse soit-elle. Pour lui, ça peut être vital."
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