Euro 2016 : quatre raisons de penser qu'un sélectionneur ne fait pas le même boulot qu'un entraîneur de club
Si votre héros s'appelle Pep Guardiola et pas Joachim Löw, c'est parce que les sélectionneurs sont une classe particulière de coachs, un peu masochistes tant les contraintes sont nombreuses.
Ils s'appellent Mourinho, Guardiola, Klopp ou Simeone : au moins autant que les joueurs, les grands entraîneurs sont devenus les stars du football moderne. Demandez à des fans de foot lequel est le meilleur et le débat peut s'engager durant des heures. Peu de chances, pourtant, d'entendre cités dans cette discussion les noms de Vicente del Bosque, Joachim Löw ou Antonio Conte, bref, ceux de sélectionneurs nationaux. L'Euro 2016 est l'occasion de reprendre des nouvelles de ces figures qui n'attirent la lumière que par intermittence, à l'image d'un football international qui passionne surtout lors des grandes compétitions. La raison est simple : un coach de club et un sélectionneur ne font pas vraiment le même boulot. Démonstration en quatre points.
Un sélectionneur passe plus de temps sur un canapé que sur le banc
"Je passe beaucoup de temps devant ma télé et à me déplacer aux stades" : c'est Didier Deschamps lui-même qui l'explique à Onze Mondial. A ce programme, il ajoute ses différentes obligations de représentation avec la fédération et ses passages obligés dans les médias. Pas question de dire qu'un sélectionneur se tourne les pouces entre deux matchs, mais son rythme est très différent.
"Etre entraîneur de club, c’est du continu, du 24h/24. En tant que sélectionneur, j’ai des périodes bien précises à haute intensité et entre ces périodes, j’ai un planning totalement différent", résume celui qui a entraîné l'AS Monaco, la Juventus Turin et l'Olympique de Marseille avant les Bleus. Sur l'année 2015, pourtant cruciale à l'approche de l'Euro, Didier Deschamps n'aura vu ses joueurs que 40 jours, pour cinq stages et dix matchs entre mars et novembre. Le reste de l'année, il a dû se contenter de les superviser depuis les tribunes ou son canapé.
Un mode de vie qui ne convient pas à tous les entraîneurs. Après son départ de la tête de la sélection algérienne, en avril, Christian Gourcuff témoignait dans L'Equipe (article payant) de sa frustration : "Je n’avais que trois entraînements lors de chaque rassemblement. Pour moi qui ai vécu ce métier au quotidien pendant 25 ans [principalement à Lorient], c’est peu. Comme je l’ai dit aux joueurs, eux, après les stages, retrouvaient leur quotidien en club. Moi, à 61 ans, je n’ai plus de temps à perdre." Il cherche actuellement un nouveau poste. Dans un club.
Un sélectionneur n'a pas vraiment le temps de travailler la tactique
Conséquence de leur emploi du temps contraint, les sélectionneurs ont moins de marge pour élaborer des tactiques aussi complexes que les autres coachs. Comme un récent exemple (dans un club, le PSG, cette fois) l'a montré, un dispositif ambitieux et novateur – disons une formation en 3-5-2 – ne s'improvise pas avec seulement une poignée d'entraînements. Dans l'urgence, le travail en sélection se résume parfois à mettre en place un système simple qui accommode ses meilleurs joueurs. Un point de vue résumé de façon un peu cruelle par Zinédine Zidane en pleine Coupe du monde 2010 : "Raymond Domenech n'est pas un entraîneur. Il a fait une sélection et doit faire jouer les joueurs ensemble."
"Le sélectionneur choisit ses joueurs en fonction de l'organisation qu'il veut mettre en place et de leur complémentarité. Il n'a pas le temps de les faire travailler, mais doit être capable de les faire jouer ensemble", résume l'ancien coach et sélectionneur Robert Nouzaret, interrogé par Le Monde.
L'actuel sélectionneur italien, Antonio Conte, expliquait lui au site de la Fifa que son travail était "de profiter le plus possible du travail [tactique] fait dans les clubs". A son arrivée en 2014, le triple champion d'Italie a voulu changer les choses, et organiser, hors des périodes de matchs, des camps d'entraînement pour ses joueurs. Devant la fronde des grands clubs, qui refusent de laisser partir leurs cadres, la fédération abandonne l'idée. Deux ans plus tard, l'ambitieux Conte a annoncé son départ pour Chelsea au terme de l'Euro.
Mais comment font les sélectionneurs à succès ? Leur rôle est moins celui de tacticiens que d'encadrants. ESPN (en anglais) s'est penché sur le cas de Luiz Felipe Scolari, champion du monde avec le Brésil en 2002. En 2008, il tente pour la première fois d'entraîner un grand club européen, Chelsea, et le résultat est un fiasco : "Les joueurs étaient incrédules devant le manque d'intensité, de préparation physique, et de détail sur leurs plans tactiques. L'atmosphère était davantage celle d'un camp de vacances que d'un cadre de travail." Le lot, parfois ingrat, d'un sélectionneur. A moins d'avoir la patience et l'ambition de Marcelo Bielsa, à qui il a fallu quatre ans et un travail acharné pour transformer le style de jeu du Chili et la façonner à son goût. Tout cela pour que l'équipe ne remporte un trophée que quatre ans après son départ, lors de la Copa America 2015.
Un sélectionneur ne choisit pas un joueur juste pour son talent
Comme son nom l'indique, le sélectionneur est au cœur de son rôle quand il compose un groupe avant un stage ou une grande compétition. Comme tous les entraîneurs, les sélectionneurs insistent sur l'importance du mental, mais c'est particulièrement le cas en équipe nationale : les joueurs doivent être disciplinés, pour appliquer les consignes d'un coach avec qui ils s'entraînent rarement, et être capables de comprendre immédiatement leurs coéquipiers de quelques semaines.
Un autre facteur est potentiellement difficile à gérer : la promiscuité. En club, les joueurs s'entraînent quelques heures par jour et sont libres de passer le reste de la journée loin de leurs coéquipiers les moins sympathiques. Au contraire, s'ils vont loin dans une compétition internationale, les joueurs d'une même sélection passent jusqu'à sept ou huit semaines ensemble, entre la préparation et le temps du tournoi. "Une expérience très intense, explique ESPN, où des joueurs sont 24 heures sur 24 avec des collègues qu'ils connaissent parfois à peine, dans un pays où ils ne sont jamais allés."
Un bon sélectionneur doit donc bien juger les caractères des joueurs, là où un club peut plus facilement mettre à l'écart un joueur mécontent. "Je ne vais pas prendre les 23 meilleurs, mais les 23 les plus aptes à aller loin ensemble", expliquait Didier Deschamps avant le Mondial 2014, pour justifier notamment l'absence de Samir Nasri, trop mécontent d'être remplaçant. Nasri avait déjà été laissé à la maison en 2010, tout comme Karim Benzema, également absent à l'Euro 2016 en raison de ses ennuis judiciaires. Dimitri Payet a aussi failli manquer la compétition pour des raisons indépendantes de son talent balle au pied, l'insistance de Deschamps à ne pas l'appeler suscitant l'incrédulité outre-Manche où le joueur brille à West Ham. Il a finalement été rappelé en mars. Ce n'est pas sur le terrain qu'il a finalement convaincu le sélectionneur, mais lors d'une discussion.
Un sélectionneur ne peut pas régler les problèmes à coups de transferts
A l'heure où les grands clubs disposent parfois de trois joueurs de haut niveau pour chaque poste et n'ont qu'à attendre le prochain mercato pour combler une faille dans leur effectif, les sélectionneurs subissent une contrainte qui semble d'un autre temps : travailler avec un réservoir de joueurs limité. Le pays que vous entraînez ne compte aucun attaquant de pointe de talent ? Il faudra attendre l'éclosion d'un jeune prodige, en espérant qu'il arrive un jour, et contourner le problème en attendant. Ou recourir à la naturalisation, méthode employée occasionellement par des pays comme l'Italie, mais décriée par les fans.
En France, si la sélection déborde de jeunes talents, le poste à problème est celui de l'arrière droit, un poste "un peu moins fourni", selon l'euphémisme utilisé par Deschamps l'an dernier. Le titulaire, Bacary Sagna, est critiqué, Jallet reste un joueur mineur et la seule alternative était représentée par Mathieu Debuchy, qui s'est blessé. Ailleurs, la pénurie force parfois à des ajustements inconfortables : au Mondial 2014, les outsiders belges ont été plombés par une défense composée de quatre défenseurs centraux, en l'absence – là aussi – de bons latéraux.
La fortune d'un sélectionneur peut donc dépendre de ce facteur sur lequel il n'a pas de prise. Demandez à Roy Hodgson, le sélectionneur anglais : "C'est tout ce que j'ai", concédait-il en août 2014, en présentant une liste d'appelés en sélection composée de beaucoup de seconds couteaux. "Il y a cinq ans, il était impensable qu'un joueur de l'équipe d'Angleterre ne soit pas le premier choix dans son club. Je n'ai plus ce luxe. (...) Je ne peux pas, d'un coup de baguette magique, faire revenir un leader en défense, un ou deux au milieu et un ou deux devant". Deux ans plus tard, sans baguette magique, l'éclosion d'une grosse poignée de jeunes prometteurs a transformé l'Angleterre en prometteur outsider pour l'Euro 2016. Elle a finalement échoué contre l'Islande, un pays qui ne compte qu'une centaine de joueurs professionnelle : s'il y a une illustration du fait qu'un sélectionneur doit faire avec ce qu'il a, c'est bien l'équipe islandaise.
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