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Les coulisses de la finale de l'Euro 1984, le jour où la France a appris à gagner

Christophe Rauzy le dimanche 26 juin 2016

Victorieux de l'Espagne en finale de l'Euro 84, les Français Michel Platitni, Alain Giresse, Luis Fernandez et Bruno Bellone brandissent le trophée au Parc des Princes à Paris, le 27 juin 1984. (LEHR / SIPA)

De l'Euro 1984 organisé en France, le pays garde une image, restée gravée : Michel Platini soulevant enfin un trophée vêtu d'un maillot bleu, symbole de la revanche d'une génération dorée, encore marquée par le cruel échec de la Coupe du monde 1982. Mais avant de brandir cette coupe, la "bande à Platoche" a vécu une finale aussi serrée que stressante.

Trente-deux ans plus tard, l'équipe de France de Didier Deschamps entame dimanche 26 juin la phase éliminatoire de l'Euro 2016, francetv info propose de revivre ce match de légende, qui a convaincu toute une génération de footballeurs français qu'elle pouvait gagner des titres.

Signé "Jésus Christ"

Michel Platini, le meneur de jeu des Bleus, n'a jamais réussi à se défaire du verrou espagnol, lors de la finale de l'Euro, le 27 juin 1984 à Paris. (MAXPPP)

Le 27 juin 1984, la France est en ébullition. Une foule immense est massée autour du Parc des Princes, à Paris. Le bus transportant les Tricolores peine à se frayer un chemin sur la route. Pour arriver jusque-là, les Bleus ont également eu du mal sur le terrain, en demi-finale, contre le Portugal. Un match épique remporté 3-2 en prolongations, dans un stade Vélodrome de Marseille en fusion.

L'ambiance n'est plus vraiment à la fête quatre jours plus tard. "Dans le bus qui nous emmène au Parc, ça moufte pas", témoigne l'ancien milieu des Bleus, Alain Giresse. Si les Français sont tendus, c'est parce qu'ils se sentent obligés de gagner. Deux ans plus tôt, ils ont été éliminés en demi-finale du Mondial par l'Allemagne. Un match cauchemardesque perdu aux tirs au but alors que les Bleus menaient 3-1 en prolongations. Maintenant qu'ils ont réussi à se qualifier pour une finale, ils se doivent de l'emporter, d'autant que cette revanche sur l'histoire se joue à domicile. "On peut pas se louper", résume l'attaquant Bruno Bellone sur le site de la FFF.

Dans les vestiaires, le sélectionneur, Michel Hidalgo, dessine une montagne sur le tableau : "Il y avait un drapeau à planter et il restait une marche, la dernière, la plus dure, pour arriver au sommet", raconte Joël Bats à Sports.fr. Juste en dessous, le patron des Bleus écrit une phrase de Confucius : "Quand on arrive au sommet de la montagne, il faut continuer de monter." Alors que Michel Hidalgo s'absente, Michel Platini en profite pour écrire "Jésus Christ" sous cette phrase, histoire de bénir le vestiaire.

"Ça, on peut dire qu'ils étaient 'véner' !"

Les Espagnols, au jeu particulièrement physique, ont maltraité les Français pendant la finale de l'Euro 84. (MAXPPP)

Comme le raconte Luis Fernandez dans Luis, son autobiographie, le numéro 10 des Bleus tente une autre blague, pour détendre un peu l'atmosphère : "Bon les gars, si on obtient un penalty à la 89e minute, on laisse Bossis le tirer, on rentre au vestiaire avant et on écoute le silence du Parc." Une pique amicale adressée à Maxime Bossis, le défenseur des Bleus, qui avait raté le tir au but fatidique contre l'Allemagne, deux ans plus tôt en demi-finale du Mondial.

Mais rien n'y fait. Les Français sont tendus quand ils arrivent sur la pelouse. Dans les tribunes, les supporters sont là, mais on voit surtout des VIP. On est loin des ambiances populaires et brûlantes de Marseille et Saint-Etienne, qui avaient porté les Bleus lors des matchs précédents. "La finale, on l'a jouée la peur au ventre, se souvient encore Luis Fernandez. On était pas libérés. Je me souviens qu'au début, nos jambes tremblaient."

Et effectivement, les Français, pourtant favoris, n'y arrivent pas et balbutient leur football dès les premières minutes. Il faut dire qu'en face, l'Espagne adopte une tactique destinée à annihiler le jeu léché des Français :  marquage individuel "à la culotte", pressing constant et tacles appuyés. "Ce match de savetiers qu'ils nous avaient fait ce jour-là, témoigne Alain Giresse, dans un numéro hors-série de France Football. Ouille, ouille, ouille ! Ça, on peut dire qu'ils étaient 'véner'."

Les Espagnols ont également ciblé un point faible chez les Tricolores : Luis Fernandez est né en Espagne et il est connu pour avoir le sang chaud. "Renegado ! ("Traître" en espagnol) Comment tu peux trahir ton pays ?", lui glissent plusieurs joueurs de la "Roja" dès le début du match.

<em>"Ils voulaient que je sorte de mon match.</em><span>&nbsp;</span><em>Si j'avais eu un marteau, j'en aurais peut-être 'arrangé' deux ou trois."</em>

Luis Fernandez, milieu de terrain de l'équipe de France

Plusieurs Tricolores calment le fougueux milieu défensif, qui prend tout de même un carton jaune. Mais il finit par se retenir, malgré sa fureur. "Ma première victoire de la soirée", se félicite-t-il.

"J'aurais préféré marquer un autre but"

Le ballon frappé par le Français Michel Platini vient d'échapper à Luis Arconada, le gardien espagnol, à la 57e minute de la finale de l'Euro, le 27 juin 1984 à Paris. (AFP)

La première période n'a rien d'emballante. Même Michel Platini n'y est pas. Le capitaine français est pourtant au sommet de son art, lui qui a déjà inscrit 8 buts en 4 matchs depuis le début de l'Euro. Mais cette fois, rien ne fonctionne et ce sont même les Espagnols qui se montrent les plus dangereux en contre, Patrick Battiston sauvant sur sa ligne une tête de Santillana. La "Roja" hache le jeu en multipliant les fautes. Depuis le début de l'Euro, cette stratégie lui sourit puisqu'elle est parvenue en finale en ne marquant qu'un but à chacun de ses matchs, et en s'appuyant sur une défense de fer. Elle peut surtout compter sur son gardien et capitaine, le célèbre Luis Arconada, qui a écœuré les Allemands en phase de poules et les Danois en demi-finale.

La seconde période part sur les mêmes bases quand survient la 57e minute. Bernard Lacombe, l'avant-centre français, marqué par le rugueux Salva, s'écroule à 18 m du but espagnol. La faute semble très légère, mais l'arbitre se laisse abuser. "Je ne l'ai jamais touché", assure le défenseur espagnol fautif, qui enrage d'offrir un coup-franc imaginaire, et idéalement placé, à Michel Platini.

L'artificier français place le ballon, sûr de lui. Il faut dire que c'est sa spécialité et, surtout, qu'il est né sous une bonne étoile. Joël Bats rappelle que lors de la préparation de l'Euro dans les Pyrénées, il avait déjà eu la main heureuse : "On va au casino de Font-Romeu, il met une pièce dans la machine à sous et ça s’est mis à tomber dans tous les sens !"

Le meneur de jeu s'élance et envoie une frappe molle et courbée à mi-hauteur. "C'est raté, se dit au départ Michel Platini, comme il le confie dans un album Panini de l'Euro 1984. Arconada se couche dessus. Il faudra remettre ça une autre fois." Mais l'impensable se produit. L'infranchissable portier espagnol laisse échapper la balle, qui lui roule sous le ventre, et franchit lentement la ligne. Les Français sautent de joie, Michel Platini tombe à genoux, bientôt recouvert par ses coéquipiers hilares.

Sur le moment, Luis Arconada est dévasté, mais il ne réalise pas vraiment que sa boulette a non seulement fait basculer le match, mais aussi sa carrière. "Faire une Arconada" deviendra bientôt une expression footballistique synonyme de raté ridicule, balayant l'immense carrière du gardien de la Real Sociedad. "J'aurais préféré marquer un autre but, parce qu'Arconada était un grand gardien, regrette Michel Platini. C'est dommage pour lui, j'aurais voulu marquer un but où il ne pouvait rien faire."

"L'arbitre a été le meilleur... joueur français"

Bien que favoris de la finale de l'Euro 1984, les Français ont souffert face aux Espagnols, et Joël Bats, le gardien des Bleus, a eu beaucoup de travail, ce 27 juin 1984 à Paris. (AFP)

Commence alors un tout autre match. Ce sont maintenant les Français qui s'appliquent à défendre rugueusement, à rebours de leur habituelle philosophie de jeu tournée vers l'attaque. "C'est un match qu'on veut gagner, explique Alain Giresse dans France Football. On est obnubilés par ça. On a donc joué sur un autre registre. Mais justement. Notre intelligence de jeu consistait à bien analyser chaque match, chaque situation, et à s'adapter." Un frisson parcourt quand même le stade lorsqu'une nouvelle tête de Santillana frôle la transversale de Joël Bats.

Toutefois, une tuile tombe sur la tête des Bleus à la 72e minute. Patrick Battiston, l'arrière-droit français, se blesse et demande à sortir, avant d'être remplacé par Manuel Amoros, qui trépigne sur le bord de la touche. Il faut dire que le nouvel entrant était titulaire au début de l'Euro, mais il paie son expulsion idiote pour un violent coup de tête asséné à un Danois lors du premier match de la compétition. Une fois revenu sur le banc, Patrick Battiston se plaint de la cuisse, puis glisse au sélectionneur, Michel Hidalgo : "Michel, en fait je n'ai rien." - "Comment ça, tu n'as rien ?", s'étonne le technicien français. "Je voulais que Manu ait sa part de finale", confie le simulateur, symbole de l'esprit d'équipe qui anime les Bleus à cette époque.

Les minutes s'égrènent et la France subit les assauts espagnols sans fléchir. A cinq minutes du terme, pris de vitesse sur une accélération de Roberto Fernandez, Yvon Le Roux décide de "découper" l'attaquant de la "Roja" d'un tacle très dangereux, juste sous le nez de l'arbitre. Le défenseur central français est expulsé. Le suspense monte encore d'un cran.

Les Espagnols partent à l'abordage, ouvrant des boulevards aux attaquants français. On entre dans les arrêts de jeu, Jean Tigana récupère un ballon dans sa moitié de terrain, et lance en profondeur Bruno Bellone, qui part seul défier le gardien espagnol.

"Face à moi, Arconada joue bien le coup.&nbsp;Il ne plonge pas, cet enfoiré, il attend. Si je frappe fort, je vais lui taper dedans. Alors je la pique au dernier moment, c’était le seul moyen de marquer."

Bruno Bellone, attaquant de l'équipe de France, au Monde.

Le ballon lobe le portier et entre dans le but. La France mène 2-0 et crucifie l'Espagne.

L'arbitre, le Tchécoslovaque Vojtech Christov, laisse les Espagnols engager pour un baroud d'honneur. Une minute plus tard, l'homme en noir prend le ballon des mains de Manuel Amoros et libère le Parc des Princes en sifflant la fin du match. Il est rapidement entouré d'Espagnols qui l'insultent copieusement. "L'arbitre a été le meilleur... joueur français", dira le lendemain le Mundo Deportivo, quand d'autres quotidiens espagnols accusent carrément les Français d'avoir acheté le match.

Le trophée était caché dans le sac

Les Français exultent sur le terrain du parc des Princes, posant pour la postérité devant le trophée Henri Delaunay. (AFP)

Les Bleus, éreintés, se jettent dans les bras du premier coéquipier venu et le stade exulte. Mais sur la pelouse, la tension reste palpable. Alors que les deux équipes sont toujours sur le terrain, Luis Fernandez échange encore des invectives avec des joueurs espagnols, pointant le tableau d'affichage en souriant. Les Français laissent finalement éclater leur joie dans la minute qui suit, quand ils suivent Michel Platini en haut de la tribune, pour brandir le trophée de champion d'Europe, le premier titre majeur pour une équipe de sport collectif français. "Tu peux parler de tout, du jeu, du reste, mais un titre, ça balaye tout ! affirme Alain Giresse. Surtout quand c'est le premier. C'était énorme !"

Le tour d'honneur est mémorable. Michel Hidalgo, qui vivait là son dernier match de sélectionneur des Bleus, est porté en triomphe par ses joueurs. "Demain matin, ça sera peut-être difficile... Mais c'est une sorte de roman, et il y a cette histoire d'amour qui se termine avec une belle fin", déclare, ému, le technicien tricolore, en direct sur TF1. Pendant son tour d'honneur, Joël Bats lance de joie ses gants dans le public en liesse du Parc des Princes, sans savoir que c'est... Henri Salvador, qui en attrape un au vol.

Michel Hidalgo, le sélectionneur des Bleus, porté en triomphe par les défenseurs français Yvon Le Roux et Manuel Amoros, lors de la finale de l'Euro 1984 contre l'Espagne, le 27 juin 1984 à Paris. (AFP)

Les joueurs se retrouvent rapidement dans le vestiaire où l'ambiance est assez tranquille. "A la fin du match, on a d'abord eu la sensation d'avoir 'fait le boulot', explique Luis Fernandez. On a célébré la victoire, sans plus. Le groupe était sérieux, avec 20% de déconneurs et 80% de modérés." 

Trois joueurs vont quand même terminer la soirée sur une plaisanterie. Les Bordelais de l'équipe, Patrick Batiston, Bernard Lacombe et Alain Giresse sont les derniers à se rhabiller, et au moment de partir, ils s'aperçoivent que la coupe a été oubliée dans le vestiaire. " Je l’ai prise, je l’ai mise dans mon sac et j’ai rejoint le car, raconte Bernard Lacombe à Sports.fr. Ce sac, j’avais une peur bleue qu’on me le fauche ! On se retrouve ensuite à la Fédération, justement pour présenter le trophée aux dirigeants et moi, je lance : 'Mais la Coupe, elle est où ?' Personne ne savait bien sûr, il y a eu un moment de flottement… Bon, j’ai fini par ouvrir mon sac !"

Dans les rues de Paris, des Français peinturlurés de bleu, de blanc et de rouge envahissent les Champs-Elysées en klaxonnant à tout-va. "Mais rien à voir avec la folie du 12 juillet 1998 !", assure Luis Fernandez. Ce n'était, en fait, qu'une prise de rendez-vous pour plus tard. Car sans ces Bleus-là, le pays n'aurait jamais pris conscience qu'il pouvait gravir des montagnes et monter sur le toit du monde.

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