Trois moments où Dimitri Payet a failli être mis sur la touche
Héros du match des Bleus contre la Roumanie, le Réunionnais mène une carrière jalonnée d'incidents et de dégringolades. Mais il s'est toujours relevé.
Depuis quelques jours, il est comparé à "dieu" et qualifié sans retenue de "sauveur". A écouter les louanges qui pleuvent sur Dimitri Payet depuis la victoire française contre la Roumanie en ouverture de l'Euro 2016, son but et sa passe décisive, on a la sensation que le "génie" du nouveau héros bleu a toujours été une évidence.
Pourtant, le parcours de l'attaquant français, qui prendra part mercredi 15 juin à France-Albanie, n'a rien d'une voie royale. Au cours de sa carrière, il a subi échecs, chutes et déceptions en club et chez les Bleus, où il ne compte que 20 sélections à 29 ans. Mais le Réunionnais a souvent bénéficié de secondes chances, comme le prouvent trois épisodes de sa vie où il a transformé des situations mal embarquées en brillants succès.
2003 : un surdoué rejeté et rattrapé de justesse
Voilà maintenant quatre ans que Dimitri Payet a quitté sa Réunion natale pour intégrer le centre de formation du Havre, l'un des plus cotés en France. Il a seize ans et se trouve à un point critique de sa toute jeune carrière de footballeur, celui où l'on peut basculer du côté des pros. Sauf que le Havre Atletic Club décide de ne pas le garder et le renvoie vers son île. Son potentiel semblait pourtant évident : "C’était déjà un joueur avec des qualités bien au-dessus de la moyenne", raconte à Paris-Normandie François Rodrigues, ancien dirigeant du club normand. Son problème ? "Il était petit et rachitique. Et à l’époque, au HAC comme dans beaucoup d’autres clubs, on préférait miser sur du costaud." On lui reproche aussi d'être "dillettante", de ne pas "avoir pas conscience qu’il lui (faut) changer beaucoup de choses dans sa façon de s’entraîner, de jouer, de se préparer"
Bien qu'atteint du mal du pays, et même s'il est marqué par le froid de la métropole qui l'obligeait à porter des sacs plastiques aux pieds l'hiver, il vit mal son retour forcé à La Réunion. "Ça forge un mental" estime-t-il à l'époque, jurant alors de ne plus remettre les pieds en métropole. Il rebondit vite à l’Excelsior de Saint-Joseph, où il brille en équipe première alors qu'il n'est encore qu'un ado. Son coach de l'époque, Hosman Gangate, croit encore en son avenir : "Dimitri faisait des trucs assez fous, explique-t-il à 20 minutes. On avait un partenariat avec le FC Nantes et on a insisté pour faire venir un recruteur sans lui dire qui regarder. Quand il nous a demandés 'C’est qui le numéro 20 ?', on n’a pas cherché à le retenir."
Ce recruteur, c'est Laurent Guyot, ancien joueur emblématique des Canaris et directeur du centre de formation nantais : "J’étais allé animer un stage là-bas pendant une dizaine de jours, raconte ce dernier à La Provence. Ils m’ont amené voir un match le premier soir. Dimitri jouait..." Après avoir flashé sur le potentiel de Payet, il le convainc de reprendre l'avion pour la métropole. Cette fois, le "dilettante" s'accroche, fait plus d'efforts et parvient à son but un an plus tard : il fait ses grands débuts en Ligue 1 avec Nantes et marque dès son deuxième match en pro. Sa carrière est enfin lancée.
Aujourd'hui pourtant, les dirigeants du Havre sont persuadés de ne pas avoir fait une erreur en l'écartant à 16 ans, mais au contraire d'avoir contribué à son éclosion. "Cela a eu l’effet d’un déclic pour lui, assure Johann Louvel, actuel patron du centre de formation du HAC. Parfois, certains jeunes ont besoin de prendre des chemins détournés pour prendre conscience qu’ils passent à côté de quelque chose de grand."
2011 : un affectif difficile à gérer remis en selle
De Nantes à Marseille, partout où il a joué, Dimitri Payet n'a laissé personne insensible. Il est souvent décrit comme un "affectif" qui a "besoin d’une relation forte avec les gens et de chaleur humaine", comme l'explique Christophe Galtier, son ancien entraîneur à l'AS Saint-Etienne. Un caractère entier avec lequel les Verts ont souvent dû composer. Coutumier de sautes d'humeur, l'attaquant pète les plombs sur le terrain, un soir de défaite à Toulouse, en mai 2010 : après une altercation avec son coéquipier Blaise Matuidi, il lui donne un violent coup de tête en plein match. L'incident symbolise la saison galère de l'ASSE qui sauve sa place en Ligue 1 d'un cheveu. Les joueurs, et notamment l'inconstant Payet, sont conspués par le bouillant public stéphanois.
La saison suivante, la tendance s'inverse : Saint-Etienne cartonne dès les premières journées grâce à un Payet virevoltant qui devient le chouchou du stade Geoffroy-Guichard. Il est pour la première fois convoqué en équipe de France et tout semble aller pour le mieux. C'est là que son caractère refait surface. En janvier 2011, pendant le mercato d'hiver, il est courtisé par le PSG, et il souhaite partir, mais les dirigeants stéphanois refusent de le céder au club parisien. Le montant proposé, 7 millions d'euros, est jugé trop faible. Courroucé, Payet sèche une mise au vert avant un match, entraînant son éviction de l'équipe. Même le coach du PSG, Antoine Kombouaré, désapprouve son attitude rebelle. On craint une nouvelle fois pour l'avenir du néo-international qui est de facto, écarté de l'équipe de France.
Mais Christophe Galtier, le coach des Verts, sait qu'il peut désamorcer la situation, en jouant sur la psychologie du joueur. Il le relance progressivement dans l'équipe et l'incite à prouver aux autres clubs qu'il vaut plus que la valeur qu'on lui donne. Résultat, il conclut la saison en trombe, finissant meilleur buteur du club avec 13 buts. Et cette fois-ci, lorsque Lille se présente avec un chèque de 10 millions d'euros en juin 2011, tout le monde signe avec le sourire.
Un épisode semblable intervient quatre ans plus tard, en 2015, alors qu'il joue à Marseille. L'entraîneur phocéen, Marcelo Bielsa, pousse souvent Payet à bout, le forçant à travailler physiquement. Mécontent de son équipe lors d'un entraînement en janvier, le technicien argentin va même jusqu'à le congédier devant le groupe, comme le relate RMC. Payet boude à nouveau, mais, piqué au vif, il réalise une fin de saison pleine, lui ouvrant la voie d'un futur transfert très lucratif en Angleterre : "[Bielsa] m'a fait devenir plus mature et régulier, dit aujourd'hui le Réunionnais cité par le JDD. Savoir quand il faut jouer simple, quand il faut provoquer… Il a mis de l'ordre dans mon jeu, et je me sens épanoui."
2016 : le retour du banni d'Elbasan
C'est un match qui reste comme un point noir dans le mandat de Didier Deschamps à la tête de l'équipe de France : le 13 juin 2015, à Elbasan (Albanie), les Bleus s'inclinent 1-0 contre l'Albanie. Le match a beau être amical, ce revers face à cette nation mineure, et surtout le niveau de jeu indigent des Français, restent en travers de la gorge du sélectionneur tricolore. Plusieurs joueurs sont pointés du doigt comme responsables du naufrage, notamment Dimitri Payet, en charge du jeu des Bleus.
Ce 13 juin, le Réunionnais a manqué une énorme occasion de marquer des points, lui qui n'a pas participé à l'Euro 2012 ni au Mondial 2014, et qui n'occupe désormais qu'un rôle de remplaçant de Mathieu Valbuena, l'habituel titulaire du poste. A la rentrée, les Bleus disputent quatre matchs amicaux en un mois, mais Payet n'est jamais convoqué. Pourtant, à West Ham, où il vient de signer, il réalise des performances remarquables. On soupçonne alors Deschamps de se méfier du fameux caractère volcanique du Réunionnais.
Ce dernier confie son incompréhension sur Canal + : "J'ai du mal à comprendre ce que le sélectionneur attend vraiment de moi alors que je suis dans la meilleure période de ma carrière." Le patron des Bleus lui répond du tac-au-tac et déclare qu'il a déjà expliqué à Dimitri Payet ce qu'il attend de lui sur le terrain, sans succès : "Il a le droit de ne pas comprendre, ce n'est pas mon problème, à la limite."
Une nouvelle fois, à quelques mois de l'Euro 2016, on se dit que l'éternel espoir du foot français va rater son heure, d'autant que de jeunes pousses nommées Fékir, Coman et Martial sont en train d'éclore. Et là encore, le destin s'en mêle. D'abord Fékir se blesse grièvement lors d'un France-Serbie. Puis l'affaire de la sextape élimine la concurrence de Valbuena et de Benzema. Mais surtout Payet travaille et maintient un niveau de jeu impressionnant, devenant un des meilleurs joueurs du championnat anglais.
Au mois de mars, pour les deux derniers matchs avant la préparation de l'Euro, contre la Russie et les Pays-Bas, Didier Deschamps se décide à lui redonner une chance. Et comme d'habitude, face aux doutes et à la pression, Payet fait ses preuves, inscrivant notamment un coup-franc renversant contre les Russes.
Depuis, il enchaîne les performances de haut-niveau et fait l'unanimité autour de lui. "Dimitri revient de loin, il a tout fait pour être là aujourd'hui" s'est félicité Didier Deschamps, après le match étincelant de son attaquant contre la Roumanie. On espère maintenant que la "maturité", qu'il assure avoir acquis, l'incitera à ne plus attendre les secondes chances pour briller.
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