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Manga japonais, techno de supermarché et marketing : le destin improbable des chansons de l'Euro

Entre les hymnes officiels, les chansons de soutien aux équipes de foot et les morceaux d'habillage de la compétition, les musiciens ont toujours eu du travail pour l'Euro. Pas toujours pour le meilleur.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Le DJ français David Guetta, photographié le 12 décembre 2015 à Paris, a été choisi pour composer l'hymne officiel de l'Euro 2016, organisé en France. (CHRISTOPHE ENA / AP / SIPA)

C’est devenu un passage obligé pour les experts en marketing chargés de "vendre" une compétition sportive internationale : la chanson, l’hymne mais aussi le thème musical officiels doivent résonner pendant toute la durée de l'événement dans les stades, au cœur des "fan zones", mais aussi à la télévision et à la radio.

Pour l'Euro 2016, le DJ français David Guetta a produit l’hymne intitulé This One's For You et le groupe de rock Skip the Use s’est chargé de la chanson officielle de soutien aux Bleus : I was made for loving you, my team, adaptation très libre de Kiss. Pas sûr que ces titres restent dans l’histoire, comme le prouvent le funeste destin des chansons officielles composées pour les précédents Euro.

Le championnat d'Europe des nations a longtemps pâti de sa formule très courte qui ne regroupait que quatre équipes en phase finale. Rien à voir, alors, avec la Coupe du Monde, tournoi long et très médiatique, qui a droit à une chanson officielle depuis 1962 et El Rock del Mundial.

Un cimetière de chansons oubliées

En 1980, l'Euro devient un véritable tournoi puisque ce sont huit nations qui se rendent en Italie pour en découdre. Les organisateurs veulent donner une couleur jeune et populaire à la compétition. Pour composer un hymne, ils se tournent vers un chanteur nommé Luigi Lopez, célèbre en Italie pour être l'interprète du générique des Nouvelles aventures de Pinocchio, dessin animé qui passionne tous les petits Transalpins. Accompagné d'un batteur anglais, Lopez crée le groupe Eurokids et interprète Goal.

La chanson passe inaperçu, mais trouve rapidement une seconde vie. Elle sert immédiatement de générique à Arrivano y Superboys, un manga japonais sur le monde du foot (une sorte d’ancêtre de Olive et Tom) diffusé en 1980 et qui rappelle toujours de tendres souvenirs d'enfance de l’autre côté des Alpes.

En France, en revanche, beaucoup de supporters ont oublié que l'Euro 84, organisé dans l'Hexagone, avait lui aussi un hymne officiel. Là encore, la chanson, interprétée par un certain Yves de Roubaix parle uniquement de ballon rond, mais pas question de prendre parti : dans En avant le foot, c'est le concept du football qu'on encourage : "En avant le foot, la France te rend hommage, elle acclame tes shoots, et salue ton courage."

La chanson officielle, un chat noir ?

Quatre ans plus tard, pour l'Euro en Allemagne, le Danemark croit dur comme fer en son équipe, portée par un des génies européens de l'époque : l'attaquant Brian Laudrup. Du coup, Frank Arnesen, milieu de terrain de l'équipe nationale qui avait interprété la chanson officielle de l'équipe lors du Mondial 86 au Mexique, sort de sa retraite pour un nouveau morceau. En for alle, alle for en ("Un pour tous, tous pour un") épaulé par le groupe pop Rocazino. Le titre est un succès au Danemark.

Ça rigole beaucoup moins sur le terrain, puisque la bande à Laudrup perd tous ses matchs et quitte l'Euro le casque viking entre les jambes.

On se demande alors si la chanson officielle ne serait pas une sorte de chat noir. Car c'est finalement en Suède, sans musique, que le Danemark remporte l'Euro en 1992. Les Allemands, eux, ont abordé la compétition avec le soutien du groupe The Winners, qui lui ont dédié Stay On Top. Mal leur en a pris, puisque les champions du monde en titre ont échoué en finale face, donc, au Danemark.

Quand le marketing veut en mettre plein les yeux

Cet Euro 92 voit la retransmission télévisée de la compétition ainsi que son habillage musical d'avant-match prendre de l'importance Pour répondre à cette nouvelle tendance, les organisateurs suédois voient grand : ils missionnent Benny Andersson, le chanteur et compositeur du groupe Abba, pour produire une mélodie… qui ne marquera pas l'immense carrière de cette star mondiale.

Les années passent et les pro du marketing aiguisent leurs campagnes. En 1996, les organisateurs de l'Euro en Angleterre, pays des Beatles, des Stones, de David Bowie et d'Oasis veulent en mettre plein les yeux. Le célèbre groupe de pop Simply Red est mis à contribution : We're In This Together devient la chanson officielle de la compétition. Le coup marketing est raté, puisque le titre passe inaperçu et que, coïncidence ? le groupe perd en popularité.

Ce morceau très gospel ne soulève donc pas les foules, au contraire de la chanson officielle de soutien à l'Angleterre. Three Lions (Football's Coming Home), signée par un duo de comiques anglais, devient numéro un des ventes cet été-là. Le morceau, très second degré, est repris en chœur par les supporters anglais pendant des années.

Ces titres anglais assez lents détonnent avec les hymnes sportifs actuels, construits sur fond de techno ou de salsa, invitant à faire la fête toute la nuit. Quatre ans plus tard, pour l'Euro 2000 aux Pays-Bas et en Belgique, les Suédois de E-Type produisent Campione, un magnifique spécimen de techno de supermarché de la fin du XXe siècle, genre musical aujourd'hui mort et enterré. Enfin, on espère.

En 2004, c'est Nelly Furtado qui se voit confier la responsabilité de l'hymne de l'Euro au Portugal. La chanteuse canadienne d'origine portugaise compose Força, qu'elle interprétera en live lors de la cérémonie de clôture, à Lisbonne. 

A l’époque, Nelly Furtado est une chanteuse pop parmi tant d'autres. Deux ans plus tard, elle parvient tout de même à atteindre les sommets des charts mondiaux – pas grâce à l'Euro 2004, mais en confiant les clés de sa carrière au rappeur Timbaland, qui produit notamment pour elle les tubes Promiscuous et Say It Right. Comme quoi, chanter pour l'Euro n'est pas forcément un boulet que l'on traîne à vie.

Des tubes torrides, même en Autriche

Preuve en est avec Grand Corps Malade, dont la carrière artistique ne s'est pas effondrée malgré un slam officiel dédié à l'équipe de France pour l'Euro 2008. Le morceau, plein d'emphase et d'espoir, donne presque la chair de poule. Tout le contraire du jeu des Bleus de Raymond Domenech, piteusement éliminés dès le premier tour.

La compétition marque aussi un tournant en matière d'ambiance musicale. Car cet Euro a beau se dérouler loin des plages brésiliennes, il faut que l'ambiance soit caliente. Alors malgré les montagnes suisses et autrichiennes, ce sont l'Espagnol Enrique Iglesias avec Can You Hear Me et le Jamaïcain Shaggy avec Feel The Rush qui sont choisis pour interpréter les chansons officielles.

En 2012, rebelote avec Endless Summer. Oceana, Allemande d'origine martiniquaise, tente de faire monter la température malgré la localisation de cet Euro, ogranisé en Pologne et Ukraine.

Cet appel au soleil n'avait pas empêché un orage dantesque de s'abattre sur Donetsk lors du match France-Ukraine, interrompu pendant près d'une heure. Ce jour-là, des Bleus enthousiastes et fringants l'avaient finalement emporté 2-0.

Pour 2016, il n'y a plus qu'à espérer que David Guetta saura produire un remix tout aussi efficace de la danse de la pluie.

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