Pas encore de ferveur pour l'Euro 2016 ? Pas de panique, en 1998, c'était pire
Alors que la compétition débute vendredi avec le match France-Roumanie, l'Euro ne soulève pas encore les foules dans l'Hexagone. Un manque d'engouement lié au climat social et sécuritaire ? Pas sûr...
Ce matin, dans le métro, tout était normal. Les mêmes regards embrumés des mêmes usagers plongés dans leur smartphone, casque sur les oreilles, évitant soigneusement tout contact visuel avec le voisin. Vous n'avez pas pu réfréner un mouvement de surprise : mais enfin, c'est le début de l'Euro ce vendredi 10 juin, on va tous se retrouver devant la télé, dans un bar, au stade, pour assister à France-Roumanie, coup d'envoi de la compétition tant attendue ! Où est passée la ferveur qui avait embrasé le Mondial 1998 en France ? Petit retour en arrière pour vous rafraîchir la mémoire.
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De l'indifférence, avec une dose d'hostilité
Avant d'être une fête populaire qui a rassemblé plus d'un million de personnes sur les Champs-Elysées, la Coupe du monde 1998 a longtemps ressemblé à une mayonnaise qui refusait de prendre. La préparation des Bleus était loin de se dérouler dans la joie et la bonne humeur. Prenez le match amical contre l'Afrique du Sud, à Lens, à l'automne 1997. Didier Deschamps, le capitaine, expliquait dans L'Humanité toute la difficulté d'obtenir l'adhésion populaire : "A nous de susciter ce courant de sympathie. Même si, en France, c'est plus difficile à obtenir qu'ailleurs." Le président de la fédération du Nord, Fernand Duchaussoy - qui deviendra président de la FFF au début des années 2010 - se souvient dans Nord Littoral : "On n'avait pas réussi à remplir Bollaert", stade populaire et chaleureux s'il en est.
"L'équipe de France avait commencé dans une certaine indifférence, avec même une dose d’hostilité", rappelle dans Le Parisien Jacques Lambert, bras droit de Michel Platini au sein du comité d'organisation. Un des membres de ce comité se souvient dans Le Monde s'être heurté à l'inertie de l'administration alors que l'évènement approchait : "Dans une préfecture, un type ne savait pas que la Coupe du monde avait lieu en 1998. Il pensait qu'elle se déroulait quatre ans après les Jeux olympiques..."
Obélix plus fort que les Bleus
A quelques mois de l'évènement, le tableau est sombre : audiences télé tristounettes - 6,5 millions de personnes seulement pour la demi-finale perdue contre les Tchèques à l'Euro 1996 - moqueries contre la mascotte Footix, et surtout campagne de presse très critique du journal L'Equipe - dont le directeur Jérôme Bureau promet en direct sur LCI de se flageller en public si les Bleus passent le premier tour du Mondial. Les Tricolores en sont réduits à s'exiler au Maroc pendant une partie de leur préparation.
Si l'on avait interrogé jusqu'à la fin juin, les habitants de Clairefontaine, le camp de base des Bleus, le vrai évènement de l'année dans leur ville, c'était le tournage du film Astérix et Obélix contre César, premier du genre, avec Christian Clavier et Gérard Depardieu en têtes d'affiche. Les décors de la forêt de Rambouillet toute proche se prêtaient particulièrement à la chasse aux sangliers et aux Romains.
Pour les femmes, Papin et Ginola jouent pour les Bleus
Une enquête de l'Ifop (pour les abonnés) prend le pouls de la gent féminine avant le début de la compétition, et les résultats laissent craindre qu'une moitié de la population ignore l'évènement : "La grand-messe footballistique glissant sur la majorité des femmes comme l'eau sur les plumes du canard, une personne interrogée sur deux ne regardera aucun des matches à la télévision. Na !", écrit l'institut de sondage. Pire, quand on leur demande de citer un joueur tricolore, ces dames évoquent Zinedine Zidane, Fabien Barthez mais aussi Jean-Pierre Papin et David Ginola... deux joueurs qui ont été snobés par Aimé Jacquet et ne participent donc pas à la compétition.
Les premières diffusions sur écrans géants ne prennent pas : 250 personnes dans un amphithéâtre de 2 200 places au salon Univers Foot du Bourget pour France-Arabie saoudite, deuxième match de poules, une centaine de personnes, pour les 5 000 places prévues pour le match d'ouverture Brésil-Ecosse, à Ozoir-la-Ferrière, la ville de Seine-et-Marne qui accueille la Seleçao, assure alors Le Parisien. On ne compte pas plus d'une vingtaine de supporters à faire le pied de grue pour obtenir un autographe des Bleus à la descente du bus en début de compétition. Ils seront 700 au mois d'août après le sacre mondial...
Le jour où tout a basculé
Tout bascule le 28 juin, lors du huitième de finale face au Paraguay. La journée commence pourtant mal au stade Félix-Bollaert de Lens, qui ne faisait toujours pas le plein. Fernand Duchaussoy, encore lui, raconte s'être retrouvé avec 400 places sur les bras : "Ma femme peut en témoigner que le matin de France-Paraguay, en Coupe du monde, le fameux match qui a tout déclenché, j'étais encore en train de rameuter les foules pour remplir le stade."
Mais avec une victoire au forceps, grâce à un but en or de Laurent Blanc pendant les prolongations, les Bleus accèdent aux quarts de finale, ce que la majorité des Français considèrent comme une Coupe du monde réussie, selon les enquêtes d'opinion réalisées avant le début du Mondial. "On prend conscience de l’engouement du pays lorsqu’on rentre en bus à Clairefontaine", raconte au Monde Emmanuel Petit. L'indicateur qui ne trompe pas : les ventes du ballon du Mondial (à 500 francs pièce, environ 75 euros) décollent après ce match. L'objet sera en rupture de stock après France-Croatie, tout comme le maillot des Bleus, Adidas n'ayant pas anticipé le brusque engouement populaire.
Les Français, premiers supporters de la victoire
"En France, les gens attendent de voir si les victoires suivent pour s'engager, ils ont peur d'avoir à soutenir une équipe qui les décevrait. Ce côté spectateur, plus que supporter, explique l'engouement tardif pour l'équipe nationale", analysait le sociologue Patrick Mignon dans le quotidien belge Le Soir.
Tout ça, Didier Deschamps l'a parfaitement en tête. Et l'a rappelé pour sa première conférence de presse comme sélectionneur, à l'automne 2012, face à la Biélorussie. "Vous savez, l'engouement n'a pas toujours été là [en 1998]. Il s'est plutôt déclenché sur la fin, quand on se rapprochait de la victoire." La date pour paniquer, si vous ne voyez pas de drapeau tricolore dans le métro, c'est le 26 juin, donc. Au début de la phase finale.
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