Foot : "Battle of Marseille", un documentaire choc sur les affrontements entre Russes et Anglais sur le Vieux-Port lors de l'Euro 2016
"On a été fêté comme si on avait gagné l'Euro." Voilà comment Alexander Chpryguine, responsable des supporters russes à l'Euro 2016 en France, raconte son retour à Moscou après avoir été expulsé du territoire français en juin 2016. Quelques jours après le saccage de Marseille par les Russes, ces derniers sont accueillis en Russie en héros. En marge de la rencontre Angleterre-Russie, plusieurs centaines d'entre eux s'étaient regroupés dans la cité phocéenne avec un objectif : en découdre avec les supporters anglais, qui profitaient des terrasses et du soleil marseillais.
Les incidents, d'une violence rare, s'étaient prolongés jusque dans l'enceinte du stade Vélodrome, pendant la rencontre. L'indignation avait été mondiale. Six ans plus tard, Cyril Domanico, journaliste indépendant, dévoile un documentaire inédit sur france.tv slash [disponible gratuitement] sur cette journée noire. Un récit qui revient sur les événements du 11 juin 2016, leurs conséquences judiciaires et politiques, tout en essayant de démêler les responsabilités et motivations de chacun. Avec un constat clair : quelques mois après le désastre du Stade de France, aucune leçon n'a été tirée de la "Bataille de Marseille".
Un commando russe préparé
Natif de Marseille, Cyril Domanico se souvient parfaitement de cette journée : "J'étais avec l'équipe de France, loin de tout ça. J'ai découvert les images sur Twitter, ça m'a fait mal de voir ma ville comme ça". Quelques coups de fil aux proches plus tard, le journaliste - qui travaille alors à Canal + - comprend que ce qui est raconté dans les médias diffère de la réalité du terrain. "On nous expliquait qu'il s'agissait d'une bagarre classique entre supporters, mais c'était bien plus que ça", pose le réalisateur. C'est un sujet qui dépasse de loin le sport, qui mêle football, violences, politique et justice. Scotland Yard a quand même ouvert une enquête internationale !"
Six ans plus tard, après un interminable travail de reconstitution des événements minute par minute, en récupérant des images d'amateurs, il dévoile Battle of Marseille. Pour décrire ces événements et tenter de les expliquer, le journaliste n'a pas hésité à reprendre les codes des films de guerre et d'espionnage : "Je me suis beaucoup inspiré du Bureau des Légendes notamment", précise Cyril Domanico. A l'image, cela saute aux yeux, avec des intervenants plongés dans des ambiances sombres, et des plans aériens de Marseille agrémentés d'images 3D pour expliciter le champ de bataille et les manœuvres russes.
Un tour de force
"Vers 17 heures, on voit nettement deux groupes de supporters russes se réunir en moins de quinze minutes, et marcher un kilomètre vers le Vieux-Port pour aller attaquer les Anglais, qui buvaient des bières et ne cherchaient pas l'affrontement", restitue Cyril Domanico. Les Russes sont là pour en découdre et s'équipent d'armes de fortune en chemin, à travers les rues de la cité phocéenne. "Ils sont venus faire un tour de force, montrer que maintenant, ce sont eux, et plus les Anglais, les patrons du hooliganisme", explique le réalisateur. D'autant plus que, vingt ans plus tôt, ces mêmes Anglais avaient déjà mis Marseille à sac en marge d'Angleterre-Tunisie au Mondial 1998. Pour les hooligans russes, il y avait donc un symbole fort.
Pour Cyril Domanico, cette attaque en règle est aussi une manœuvre géopolitique. "Alexandre Chrpyguine, le responsable des supporters russes de l'époque, était un proche du Kremlin. Personne n'a empêché ces hooligans notoires d'embarquer dans des vols officiels de la Fédération russe pour Marseille", développe Cyril Domanico. Il ajoute : "Derrière, Poutine joue la carte de l'agressé, mais c'étaient bien les Russes les agresseurs. Les images parlent d'elles-mêmes".
"A deux ans du Mondial en Russie, discréditer l'Euro en France était une façon de mettre en avant la gestion du Mondial russe. D'ailleurs, la plupart des hooligans présents à Marseille n'ont été emprisonnés que juste avant la Coupe du monde."
Cyril Domanicoà franceinfo: sport
Le film revient également sur la longue enquête judiciaire qui a suivi en France et en Angleterre, avec l'appui du témoignage d'une enquêtrice de Scotland Yard. "On a aussi retrouvé Alexander Chpryguine, parce que c'était important d'avoir le point de vue russe aussi, sans lui donner une tribune non plus", ajoute le journaliste. Depuis, seuls deux hooligans ont été condamnés, alors qu'un supporter britannique reste handicapé à 75 %.
A l'écran, le résultat est saisissant. Et laisse interrogatif. Quelques mois après les incidents lors de la finale de Ligue des champions au Stade de France, le constat final de l'enquête est clair, conclut Cyril Domanico : "La gestion des foules pose problème depuis des années en France. Ces événements le montrent. Le film détaille les manquements et responsabilités de chacun. Car si les Russes ont attaqué, c'est aussi que rien n'a été fait pour les en empêcher. Ou pas assez."
"On n’a jamais réglé ce problème d'anticipation des phénomènes de masse et de violence urbaine autour du sport, parce qu’on préfère interdire aux gens de se déplacer, c’est plus simple."
Cyril Domanicoà franceinfo: sport
A quelques jours de la Coupe du monde 2022 au Qatar, mais surtout quelques mois du Mondial de rugby en France et des Jeux olympiques de Paris 2024, cette plongée dans l'enfer du 11 juin 2016 met en lumière des failles du système français, tout en soulignant les dimensions géopolitiques de ces incidents.
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