Football : après les folles dépenses de l'été, où en est le championnat saoudien ?
L'élimination d'Al-Ittihad dès le 2e tour de la Coupe du monde des clubs face à un club égyptien, l'accueil triomphal de Cristiano Ronaldo lors d’un déplacement en Iran... Rares sont les images marquantes du football saoudien depuis le début de la saison et les plus marquantes ont été captées en dehors du cadre de la Saudi Pro League. Quatre mois après les investissements massifs sur le mercato estival (957 millions de dollars d’après le cabinet Deloitte), seules la blessure de Neymar - en sélection - et les critiques liées au niveau de jeu de Karim Benzema sont parvenues aux oreilles du grand public en France.
La mi-saison vient tout juste d’être franchie. Al-Hilal, le club qui a recruté Neymar cet été, survole pour l’instant le championnat avec aucune défaite en 19 rencontres, seulement neuf buts encaissés et un matelas de sept points d’avance sur son dauphin Al-Nassr, le club de Cristiano Ronaldo. Le quintuple Ballon d’or portugais se porte comme un charme alors qu’il s’apprête à fêter ses 39 ans. Il est actuellement le meilleur buteur et le meilleur passeur de la Saudi Pro League (20 buts, 9 passes décisives). Karim Benzema ne peut pas en dire autant. Le Français déçoit avec seulement neuf buts en 15 matchs et son équipe Al-Ittihad, pourtant tenante du titre, n’est que 7e, à 25 points du leader.
Des affluences parfois embarrassantes
Dans les stades, les affluences sont assez inégales. Certains stades paraissent remplis comme celui d’Al-Nassr, avec un taux de remplissage à 81,2% (en moyenne 20 308 personnes, une hausse de 10,6 % par rapport à la saison dernière). Mais, il arrive que certaines affiches attirent moins de 700 spectateurs, comme lors du match entre Al-Riyad et Al-Ettifaq (696 personnes). Surtout, les trois gros stades du championnat, ceux dont la capacité dépasse les 60 000 places (Al-Ahli, Al-Ittihad, Al-Hilal), sont en moyenne remplis au tiers d’après le site spécialisé Transfermarkt. Même si Hervé Renard a insisté sur le fait que l'Arabie saoudite était "un grand pays de football" lorsqu'il en était le sélectionneur lors du dernier Mondial, ces chiffres sont assez décevants.
En ce qui concerne les audiences du foot saoudien en France, Canal+ ne souhaite pas les dévoiler. La chaîne cryptée, qui en a acquis les droits de diffusion l'été dernier, ne diffuse pas toutes les rencontres et n'a pas (encore) de commentateur attitré. En plus de cette rotation, seulement une dizaine de résumés de matchs ont été publiés sur Youtube, avec une meilleure audience fixée à 392 000 vues (au 28 décembre) pour le résumé d'Al-Nassr-Al-Fateh. En comparaison, la chaîne publie environ quatre résumés par journée de Premier League cette saison avec des scores atteignant jusqu'à 1,8 million de vues pour le résumé de Tottenham-Chelsea.
A l'international, difficile encore de mesurer l'engouement de la Saudi Pro League. Pour le président de la Ligue de football espagnole, Javier Tebas, "l'Arabie saoudite doit travailler sur le niveau de ses droits TV". "Personne ne regarde le championnat saoudien en Amérique. Personne ne la regarde en Afrique", a insisté ce dernier lors du Thinking Football Summit à Lisbonne, en septembre. Javier Tebas a par ailleurs révélé que le diffuseur de la Saudi Pro League en Espagne n'avait eu à débourser que "60 000 euros". Un montant dérisoire.
Des balbutiements logiques après une telle reconstruction
A son arrivée en août dernier, Neymar avait affirmé, un brin revanchard après la fin de son aventure tumultueuse avec le PSG, que le championnat saoudien était "peut-être meilleur que la Ligue 1". "J'étais le premier à rigoler quand Cristiano Ronaldo avait dit en conférence de presse 'Vous allez voir, ce championnat va devenir l'un des meilleurs au monde'. On n'en est pas là, mais je pense qu'ils sont en train de réussir ce qu'ils voulaient faire. Le football n'est pas au niveau du foot européen mais quand tu es Saoudien et que tu vas au stade, je pense que tu es satisfait de ce que tu vois", décrit François Poulet, qui a eu l'occasion de commenter plusieurs matchs du championnat saoudien pour Canal+.
"La vague d'arrivées de cet été a apporté beaucoup de qualité mais aussi d'instabilité. Certains clubs comme Al-Ittihad ont perdu sur le plan collectif", observe Killian Besson, rédacteur Asie pour le site Lucarne Opposée et suiveur assidu du football asiatique et de la Saudi Pro League depuis 2016. Ce dernier note même un désintéressement des supporters du club, moins présents au stade quand les résultats ne sont pas là. Même si le niveau global du championnat "s'améliore depuis septembre", certaines stars déçoivent largement, à l'image du Français Allan Saint-Maximin ou du Brésilien Roberto Firmino.
"Le public que la Saudi Pro League attire le plus vient d’Asie."
Killian Bessonà franceinfo: sport
Cela n'empêche pas les têtes pensantes de la Saudi Pro League de continuer à voir plus grand. En décembre, le directeur sportif du foot saoudien, Michael Emenalo, a déclaré dans un entretien à Sky Sports qu'il serait "très content d'accueillir Lionel Messi". "Les Saoudiens ont l'objectif Coupe du monde 2034. Ils veulent un championnat de haut niveau et des stades plein. Mais, il ne faut pas sous-estimer le niveau des matchs actuellement", explique Yvan Le Mée qui représente l'ancien dijonnais Julio Tavares, en Arabie saoudite depuis bientôt quatre ans et dont le club d'Al-Raed, qui joue le maintien, a battu l'équipe de Karim Benzema et de N'Golo Kanté le 23 décembre (3-1).
Concurrencer le Top 5 européen, un objectif impossible ?
D'après l'agent, le projet saoudien ne suit pas les mêmes traces que la Chine, un autre pays qui avait injecté d'énormes sommes d'argent pour attirer des stars du foot européen il y a quelques années, mais dont le système avait fait faillite. Le championnat n'est pas non plus uniquement destiné à des pré-retraités en quête de salaires mirobolants. "Julio Tavares est parti à 31 ans, à un moment où ta valeur n'est plus importante pour les clubs en France. Eux sont en mode trading et veulent renflouer les caisses pour terminer avec un bilan positif ou le moins négatif à la fin de l'année. Il n'y a pas ce problème-là quand tu vas vers des championnats dits exotiques", explique Yvan Le Mée.
"L'Arabie saoudite, ce n'est pas très loin. C'est plus compliqué pour un joueur européen d'aller jouer aux Etats-Unis à cause des heures d'avion et du décalage horaire. La plupart des familles des joueurs vivent à Riyad où le mode de vie est très occidentalisé."
Yvan Le Mée, agent de joueursà franceinfo: sport
Pour devenir un championnat très compétitif, la Saudi Pro League doit mener plusieurs chantiers de front. Quatre clubs concentrent la majorité des stars du championnat grâce au Fonds public d'investissement (PIF). Une réflexion doit être menée sur l'équilibre entre joueurs étrangers et saoudiens. "Les quotas passeront peut-être de huit à dix joueurs étrangers. Les stars à court terme c'est très bien. Mais à long terme, tu ne pourras pas continuer à aligner des centaines de millions à chaque mercato. J'ai l'impression que de moins en moins de jeunes jouent. Pourtant le foot asiatique a montré que la formation était nécessaire. Pour moi, il y a trop de paillettes et le journalisme local n'aide pas. Il ne se concentre presque exclusivement que sur les quatre grands clubs", analyse Killian Besson.
Pour jauger le développement du football saoudien, un grand rendez-vous est déjà pris. La nouvelle formule de la Coupe du monde des clubs, qui verra le jour en 2025, permettra à quatre des meilleurs clubs de la confédération asiatique de se frotter aux cadors européens au sein d'un tournoi réunissant 32 formations. Yvan Le Mée se prend au jeu des prédictions : "Plafond de verre il y aura. Les clubs saoudiens ne remplaceront pas la Premier League, la Liga, la Serie A ni la Bundesliga ou même la Ligue 1 d'ailleurs. Après, être au niveau ou faire mieux que les Pays-Bas, la Belgique ou la MLS, pourquoi pas".
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