Football : "L'arrêt Diarra est l'extension de l'arrêt Bosman" qui "libéralise encore plus le marché des transferts", explique un avocat
La Cour de justice de l'Union européenne a donné raison à l'ex-footballeur Lassana Diarra, qui s'est retourné contre la Fifa après son départ du Lokomotiv Moscou en 2014. Ce dernier contestait l'indemnité de 20 millions d'euros réclamée par son ancien club, lequel estimait que le milieu de terrain français avait rompu son contrat sans motif. Certaines règles édictées par la Fifa, portant sur les transferts entre clubs, sont "contraires" au droit de l'Union européenne et "de nature à entraver la libre circulation" des footballeurs professionnels a écrit la CJUE, vendredi 4 octobre.
Certains observateurs du monde du football y voient le début d'une révolution, un arrêt Bosman 2.0. Ce texte datant de 1995, né d'un litige opposant le footballeur belge Jean-Marc Bosman au RFC Liège, le club l'ayant empêché de s'engager à Dunkerque, avait fait sauter les quotas (très faibles) de joueurs étrangers dans les championnats européens et complètement changer la face du foot international. Thierry Granturco, avocat et spécialiste du droit du sport, se projette pour franceinfo: sport sur les possibles conséquences de ce qui porte déjà le nom de "l'arrêt Diarra".
Franceinfo: sport : La décision de la Cour de justice de l'Union européenne est-elle un nouvel arrêt Bosman ?
Thierry Granturco : Je dirais plutôt que cela en est l'extension. Le principe posé en 1995 consistait à ne plus rendre impossible un transfert international par le biais d'indemnités de transfert déraisonnables. A l'époque, on ne parlait que des indemnités de transfert fixées entre clubs. Avec l'arrêt Diarra, on étend ces entraves à l'indemnité qu'on peut demander à un joueur en cas de rupture de son contrat. Ce que dit la Cour de justice est que, quelle que soit la méthode utilisée par les clubs et les agents, il est hors de question d'entraver la libre circulation d'un travailleur par une indemnité quelle qu'elle soit, qu'elle soit versée d'un club à un autre club ou d'un joueur à son club en vue de rendre le transfert impossible financièrement.
L'application de cet arrêt est-elle immédiate ou d'autres étapes doivent encore être franchies ?
La décision se suffit à elle-même. L'arrêt est immédiatement transposable dans les pratiques juridiques qui vont s'en suivre. Les indemnités vont devoir être calculées de manière sérieuse et non plus aussi folklorique qu'elles ne l'étaient jusqu'ici. Par contre, il va certainement se passer ce qu'il s'était passé juste après l'arrêt Bosman. Sur la base de cet arrêt-là, la Commission européenne et, d'autre part, la Fifa et l'UEFA vont devoir se mettre autour de la table et réfléchir à quoi faire de cet arrêt. Peut-on casser un contrat n'importe quand, en dehors périodes des fenêtres de mercato ? J'en doute très fortement. L'arrêt de la Cour de justice semble vouloir dire : "Il faut modifier la manière de calculer les indemnités de rupture, par contre on laisse aux autorités footballistiques le soin de déterminer comment régler ça en pratique".
"On est en train de libéraliser encore plus le marché des transferts en abaissant les prétentions indemnitaires des acteurs."
Thierry Granturco, avocat et spécialiste du droit du sportà franceinfo: sport
Doit-on s'attendre à ce que la prochaine fenêtre de mercato soit déjà transfigurée ?
Très clairement. Si au prochain mercato, vous ne voulez pas transférer votre joueur, vous en demandez 50 millions d'euros alors que vous savez très bien qu'au-delà de 10 millions il est intransférable, vous allez certainement vous retrouver face à des agents et des joueurs qui vont s'en référer à l'arrêt Diarra. Tout ce qu'on a pu vivre jusqu'ici, avec un doigt mouillé dans l'air, lorsqu'on mettait un chiffre derrière une indemnité, va devoir se transformer en un calcul un peu plus rationnel.
Quid des clauses libératoires excessives, devenues monnaie courante ?
En Espagne, depuis un peu plus de trois saisons, des clauses libératoires approchant le milliard d'euros ont été inscrites dans les contrats de certains espoirs. C'est mettre les deux pieds dans l'entrave à la liberté de circulation des travailleurs. Ces clauses-là vont très facilement se retrouver devant les instances judiciaires en cas de blocage.
En revanche, tant que toutes les parties s'entendront, il sera encore possible de voir des sommes allant à 200 millions d'euros. Si le vendeur, l'acheteur et le joueur sont d'accord, il n'y a pas d'entrave. Kylian Mbappé et l'ensemble des stars internationales, de mon point de vue, vont échapper à cet arrêt-là. Je pense que c'est plutôt la classe des joueurs juste en dessous, celle des très bons joueurs de Ligue 1, de Premier League ou de Bundesliga, recrutés pour des sommes allant de 30 à 50 millions d'euros. On peut imaginer que les acteurs se crispent et que cela implique de grands changements, notamment pour les recettes des clubs qui sont déjà plutôt mal en point et qui risquent de voir une source de financement se tarir.
Est-ce que cet arrêt Diarra est un argument de plus pour les partisans de la Superligue ou de tout autre projet de ligue fermée ?
On met de nouveau en péril les recettes des clubs. On ajoute de l'incertitude à l'incertitude. Il y a évidemment l'aspect sportif : quel sera mon classement à la fin du championnat et donc la somme qui me sera attribuée en termes de droits TV ? On voit bien, d'ailleurs, qu'il est très difficile d'arriver à vendre ses droits TV à hauteur des espoirs des dirigeants de clubs.
Finalement, la Cour de justice fait encore un pas en avant dans la libéralisation de l'économie du football. Le coup d'après, c'est la création de championnats privés. La même Cour de justice a déjà laissé entendre qu'ils étaient juridiquement compatibles avec le droit européen. Ces ligues fermées peuvent permettre de gérer cette incertitude parce qu'on ne monte plus, on ne descend plus, on sait avant de commencer quelles seront les recettes et les dépenses.
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