Tchouameni six ans, Badiashile sept ans et demi... Pourquoi les contrats longs se développent dans le football
Et si le long terme devenait l'apanage du footballeur moderne ? L'international français Benoît Badiashile (deux sélections) a quitté Monaco pour Chelsea, jeudi 5 janvier 2023, en signant un bail jusqu'en juin 2030. Au-delà du transfert, les sept ans et demi de contrat du défenseur de 21 ans rappellent que son compatriote Wesley Fofana a rejoint les Blues pour sept ans, l'été dernier, ou que le Real Madrid s'est offert Eduardo Camavinga et Aurélien Tchouameni pour six années.
"Sept ans, ça représente parfois la moitié, voire un tiers de la carrière entière d'un joueur de haut niveau", fait remarquer Antoine Semeria, avocat spécialiste en droit du sport. Qu'est-ce qui pousse les clubs à proposer ces contrats de longue durée aux jeunes joueurs ? "C'est un artifice comptable", estime Bruno Satin, agent et président de BS&PARTNERS. "Dans les comptes de Chelsea, on va diviser le montant du transfert de Benoît Badiashile par le nombre d'années, ce qui est extrêmement important pour le fair-play financier", et son obligation d'avoir un équilibre comptable. Cette pratique peut également contrer les transferts libres, quand le joueur attend la fin de son contrat pour négocier une prime de signature avec son futur club. "Tout cela est fait pour sécuriser toute velléité de clubs extérieurs ou, dans le cas de l'Espagne, de monnayer un maximum la clause libératoire", ajoute l'avocat Antoine Semeria.
En avril 2018, l'Observatoire du football CIES expliquait que sur 98 clubs des cinq grands championnats, la durée restante moyenne des contrats de l'effectif allait de 0,99 année à Amiens, à 3,23 au FC Barcelone, avec une médiane de 2,23 pour Bournemouth. Des durées bien éloignées des contrats proposés par Chelsea lors des derniers mercatos.
"La durée de ces contrats me paraît dénaturer l'esprit du contrat à durée déterminée", s'étonne Antoine Semeria. "C'est-à-dire un contrat mis en place à titre temporaire pour pallier un besoin de main d'œuvre." Car signer un bail aussi long pour des joueurs à la carrière courte peut s'apparenter à un contrat indéterminé.
Des contrats longs réservés à une certaine élite
Alors que ce CDI déguisé peut s'apparenter à un frein pour le footballeur qui a des envies d'ailleurs, c'est également une sécurité. "Si le joueur ne joue pas ou n'est pas performant, à aucun moment le club a l'opportunité de se refaire sur un transfert", tranche Bruno Satin. "Non seulement le club paye l'intégralité de son salaire pendant la durée, mais en plus, il ne peut pas récupérer sa somme de départ". Un jeu à double tranchant qu'une poignée de clubs peut se permettre, comme Chelsea, les Blues "ayant tendance à tout surpayer depuis son rachat par l'Américain Todd Boehly", juge l'agent, quand Luc Arrondel, économiste du sport et chercheur au Centre national de recherche scientifique (CNRS), souhaite "distinguer les clubs anglais et leur manne financière phénoménale du reste du monde". L'économiste rappelle au passage, que seulement un transfert sur trois fait l'objet d'une transaction financière dans le football professionnel.
À l'instant T, il est donc difficile de dire si le phénomène des contrats longs restera propre aux clubs les plus riches d'Angleterre ou d'Espagne, ou s'il se généralisera. "Il faut avoir un peu plus de recul pour en tirer vraiment des conséquences à long terme au niveau du fonctionnement du marché", estime Luc Arrondel. Pour Antoine Semeria, le CDD a encore de beaux jours devant lui dans le football. "Ça répond extrêmement bien aux pratiques du sport de haut niveau avec toute cette période de transferts, d'exigences de résultat, d'adaptabilité. Le CDI ne permet pas cette souplesse."
Mais quand la Ligue de football professionnel (LFP) a validé en mars 2022, l'extension de la durée du premier contrat des joueurs majeurs, de trois à cinq ans, difficile d'imaginer que les clubs français n'aient pas le vœu pieux, de conserver leurs pépites pour une durée encore supérieure, à terme.
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