: Interview Didier Drogba : "Le monde manque de leaders emblématiques pour la paix"
Il a troqué son maillot de footballeur contre le costume de fervent défenseur de la paix. Didier Drogba, vice-président de Peace and Sport – association internationale indépendante placée sous le Haut Patronage du Prince Albert II de Monaco –, était de passage à l'Unesco, jeudi 4 avril, pour évoquer son expérience, et son rôle dans cette quête d'un monde pacifié.
Pour l'ex-buteur de l'OM et de Chelsea, le chemin vers cette nouvelle mission était tout tracé. En 2005, après la qualification de la Côte d'Ivoire pour sa première Coupe du monde et alors que le pays était en plein conflit, il avait tenu à faire passer un message à la télévision, persuadé que sa voix pouvait porter. "On vous a prouvé que toute la Côte d'Ivoire pouvait cohabiter, jouer ensemble pour un même objectif. (…) Aujourd'hui, on se met à genoux pour vous demander, s'il vous plaît, de déposer les armes, d'organiser des élections, et tout ira mieux." Des paroles qui avaient eu un vrai retentissement au pays des "Eléphants".
A l'occasion du dialogue international "Athlètes en-Jeux pour la paix" et juste avant la journée internationale du sport au service du développement et de la paix (ce 6 avril), franceinfo: sport s'est entretenu avec Didier Drogba.
Franceinfo: sport : Didier, d'où vient votre engagement pour la paix ? A quand remonte-t-il ?
Didier Drogba : Ce n'est pas une envie que j'ai toujours eue, c'est surtout une nécessité de vivre dans un pays en paix, dans un monde en paix. Comme je suis un personnage public, mes faits et gestes, mes actions ont peut-être plus de portée que "Monsieur tout le monde". Donc, forcément, cela fait écho. Ce message que j'ai fait passer il y a quelques années (en 2005 en Côte d'Ivoire) a eu une portée un peu plus forte, même si je pense que c'est un message que n'importe qui aurait pu porter. Le premier président de la Côte d'Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, a dit que "la paix n'était pas un vain mot, mais un comportement". Ce sont des mots qui me parlent.
Lorsque j'ai eu la chance d'être nommé vice-président de Peace and sport, cela a été une fierté, mais aussi une suite logique parce que j'aspire à cela en tant que citoyen du monde. De par ma personnalité, je suis quelqu'un qui aime quand il y a de l'harmonie, la paix autour de moi.
Vous dites que vous avez grandi avec les ravages des conflits. Qu'avez-vous appris de cela ?
Quand je parle de cela, il ne s'agit pas forcément des conflits en Côte d'Ivoire, même s'il y a eu la crise de 2012 et celle d'avant. Il y en a eu partout dans le monde : le génocide au Rwanda, les guerres au Tchad, en Centrafrique. Ce ne sont pas des moments faciles à vivre. On pense tous que ça n'arrive qu'aux autres, jusqu'au jour où ça arrive chez toi. Et là, on se dit "mince, qu'est-ce qu'on fait ? Comment est-ce que l'on agit ?" Quand on en arrive à ce stade, ce n'est pas qu'il est trop tard, mais l'engrenage est difficile à arrêter. C'est tellement facile d'entrer en conflit.
Mieux vaut dialoguer, échanger, pour tenter de faire perdurer une paix qui est si fragile. Mais c'est beaucoup plus difficile de garder un état d'esprit chaleureux, d'accueil, de compréhension, de compassion, afin de faire avancer les choses positivement.
"Quand une jeune fille de 15 ans vient te raconter ses souffrances, c'est très difficile de trouver les mots justes"
Que vous ont appris vos voyages, dans différents pays du monde ?
On a fait récemment un voyage en Colombie, à Cartagena, pour rencontrer des groupes de jeunes qui venaient de différents endroits du pays. J'ai vu des enfants qui vivent dans les favelas, et qui sont exposés à la violence, à la drogue, au crime. Ils n'ont qu'une envie : s'en sortir. Ils veulent être des gens bien. Ces personnes-là, il faut les encourager.
On a rencontré l'ex-président de la Colombie, Juan Manuel Santos, et on a fait quelques activités avec ces jeunes. C'était vraiment un beau moment, un grand moment d'inclusion, de partage d'expériences de vie. J'ai eu la chance de vivre beaucoup de choses, mais quand une jeune fille de 15 ans vient te raconter sa vie et ses souffrances, te dire qu'elle a perdu son père et sa mère... Sincèrement, c'est choquant, et très difficile de trouver les mots justes pour la réconforter et lui donner de l'espoir. Mais c'est mon rôle en tant que vice-président, en tant qu'ambassadeur de la paix.
Manque-t-il de grandes figures, de grands défenseurs de la cause pacifique ?
Il y a quelques années, on avait des leaders de paix. Il y avait Nelson Mandela, par exemple, et aussi des leaders sociaux comme l'abbé Pierre et Mère Teresa de Calcutta. J'ai eu la chance de me retrouver aux côtés de Nelson Mandela, et quand tu es face à lui, c'est inspirant. Il y a un respect immédiat pour la personne qui est en face de toi. Il a une crédibilité de par son expérience, sa vie, son histoire. Ces gens-là ont pu jouer un rôle déterminant dans les résolutions de conflits, et il y a certainement des personnes qui le font aujourd'hui, mais dans l'ombre. Je pense que ce serait vraiment bien d'avoir des figures fortes, emblématiques, qui peuvent faire s'asseoir deux chefs d'Etat pour discuter, et de faire passer des messages positifs. Je pense que le monde se porterait mieux.
Qu'est-ce que vous gardez de cette rencontre avec Nelson Mandela ?
J'ai énormément de beaux moments, de souvenirs en tête. Le simple fait d'être à côté de lui et de l'écouter... C'était presque parole d'évangile ! Il a une histoire forte. J'ai eu la chance de côtoyer un peu la famille Mandela, et c'était vraiment une belle opportunité, extrêmement enrichissante.
Utiliser le sport pour promouvoir la paix est une chose, pacifier le monde sportif en est une autre. Etes-vous inquiet quand vous entendez la multiplication des actes racistes dans le sport ?
Ça m'inquiète parce que c'est un phénomène de société. On vit cela dans presque tous les pays, et cela se retranscrit dans les stades de foot, de rugby, et d'autres encore. Cela signifie que le problème ne vient pas du football, ni du rugby. Le problème est beaucoup plus profond que ça.
Pourquoi n'arrive-t-on pas à l'éradiquer ?
Parce que personne ne veut prendre de risques. Chacun reste sur ses positions, chacun "défend son bifteck". L'un accuse l'autre, et vice-versa, mais personne n'a le courage de dire : "Mettons ça de côté. Asseyons-nous, discutons. Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi fait-on ça ?" Est-ce qu'on ne peut pas se poser et communiquer, pour essayer de trouver un terrain d'entente afin de limiter les dégâts ? Parce que ça commence à faire beaucoup.
"La Fifa, seule, ne peut pas résoudre les problèmes de racisme"
Les grands événements sportifs montrent que le sport peut unir les peuples, mais cela a tendance à être vite oublié une fois ces rendez-vous terminés…
Parce que ça prend du temps, et que les gens n'ont plus le temps ! Il faut aller vite, il faut essayer de gagner du temps, et personne ne va prendre le temps de se poser pour dire : "Ok, ces principes-là ont fonctionné, il faut les entretenir pour que ça perdure." Entretenir la paix entre les peuples, ça demande du sérieux, de la rigueur, de l'ingéniosité aussi, pour être capable de faire évoluer les choses. C'est important, parce que plus les choses durent, plus les gens se lassent. Il faut donc de la nouveauté, et ce n'est pas toujours facile à mettre en place.
Votre message serait : "Posons-nous, discutons pour résoudre les problèmes, et agissons ensemble" ?
On parlait tout à l'heure du racisme. Regardez ce que subit Vinicius en Espagne. Tout le monde a dit : "Quand est-ce que la Fifa va sévir ?" Je pense qu'elle a déjà commencé à sévir, mais la Fifa seule ne peut pas régler ce problème, puisque c'est un problème sociétal. On peut sanctionner les présidents de club, le club, le joueur. Mais pour ce qui se passe dans les stades, dans les tribunes, qui sanctionne-t-on et comment ? Il y a toute une charte à rédiger, que toutes les instances du sport doivent valider, et les nations aussi. C'est quelque chose qui doit être présenté à l'Union européenne, à l'Union africaine, à tous les sommets mondiaux. Cela doit être pris au sérieux. Aujourd'hui, on en est là, qu'est-ce qui vous dit que demain, cela ne sera pas pire ?
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